Secret Santa 2023 : Distribution des cadeaux

Un vent froid giflait les branches nues des arbres. Le silence emplissait la nuit. Dans un ciel dégagé, les rayons opalescents de l’astre lunaire portaient des ombres démesurées sur les rues pavées et glacées. Le givre constellait vitraux et fenêtres, le bitume gerçé était recouvert d’une fine couche blanchâtre. La morsure du froid guettait quiconque s’apprêtait à franchir le seuil d’un portique.

Dans un lit aux couvertures étouffantes, le sommeil paisible d’une jeune femme était sur le point de sombrer dans les griffes cauchemardesques du croque-mitaine. L’animal poilu qui dormait à ses côtés était, dans l’antre imaginaire de son esprit, roulé en boule sur ses genoux. Une paisible rêverie dans laquelle, concentrée sur le livre que parcouraient ses yeux, ses doigts s’emmêlaient dans les longs poils du félin d’un geste machinal.

Un son résonna contre la porte d’entrée, rompant le silence et l’attention de la brunette. Ses yeux quittèrent le livre et la jeune femme porta son regard sur la porte, intriguée, mais elle ne se décida à se lever que lorsque le bruit fut réitéré. Un coup sur le bois, frappé de façon déterminée.

Que pouvait-on lui vouloir ?

Elle s’approcha de la porte, quittant à regret le confort de son fauteuil, et tendit la main vers la poignée. Un mauvais pressentiment l’envahit, comme si son corps entier lui hurlait que quelque chose n’allait pas. Mais peut-être l’un.e de ses colocataires avait besoin de son aide ? Elle ouvrit la porte.

Rien ni personne ne se trouvait à l’entrée. Le couloir vide lui faisait face. D’un haussement de sourcil, elle s’apprêtait à refermer la porte de sa chambre quand une voix s’éleva, couvrant les chants de Noël en arrière-plan, l’appelant.

Maya ?

Elle ne reconnut pas l’origine de cette voix qui semblait émaner du salon de l’appartement. Se résignant à fouler la neige artificielle abondant au pas de sa porte, elle attrapa une écharpe et sortit de sa forteresse de solitude pour répondre à l’appel.

Lorsque le salon s’offrit à sa vue, l’angoisse noua son estomac. Tous.te.s les colocataires étaient là, visiblement à l’attendre. Un air solennel planait dans l’atmosphère. Debout et droit, dans un air de défi, le menton en avant et un sourire satisfait sur ses lèvres, Cassian semblait mener la troupe.

Ah, te voilà. Réunion de colocataires, tu as oublié ?

La chimère ouvrit la bouche pour protester, trouver une excuse - en vain, car aucun son ne sortit de sa bouche tandis que toutes les têtes se tournaient vers elle. Sans autre délai, on l’attrapa, on l’attira au centre du cercle, et elle se retrouva au milieu d’une réunion qu’elle aurait souhaité éviter.

Le sujet du jour, c’est justement toi et ton manque d’implication.

Elle cligna des yeux, ses mains se crispèrent sur le siège en bois sur lequel elle était assise. Sur l’estrade devant elle, vêtu d’une robe noire de procureur, Cassian la regardait de haut. Son visage arborait un air sérieux et sévère. Le regard éperdu de Maya frôla ses amis et ses colocataires, assis à la place des jurés, qui dardaient sur elle un regard inquisiteur. Derrière son propre siège, sur des bancs en bois, des centaines de visages inconnus l’épiaient.

L’angoisse la saisit. Quelque part, dans la réalité, une chimère endormie s’agitait devant cette vision de l’enfer.

Chers jurés, je pense que toutes les preuves incriminantes à l’encontre de Madame Niangui ont été fournies. Peu d’implication dans la colocation, un manque d’empathie certain envers moi-même et un manque de respect à mon égard ont été formellement établis. Vous avez tou.te.s pu constater cette ignominie envers ma personne, qui n’est nullement justifiée.

Théâtral, Cassian allait et venait sur l’estrade, portant une main sur son coeur et affichant un air affligé convainquant. Ses gestes, gracieux et grandiloquents, lui conférait un charisme sans pareil. Ses mots en paraissaient même vibrer de sincérité. Mais lorsque ses yeux rencontraient ceux de Maya, l’espace de quelques secondes, elle voyait son sourire infernal et ses dents pointues démoniaques apparaître, une queue de diablotin pointée sur elle d’un air accusateur. Personne d’autre ne voyait ce démon caché sous son masque ?

Un manque de politesse - que dis-je ? Une méchanceté totalement unilatérale de sa part ! Lui ai-je donc témoigné la moindre malveillance ? Vous en êtes témoins : j’ai toujours été avenant et n’ai fait que subir cette cruauté injustifiée !

Les jurés - amis de Maya, connaissances et colocataires, hochaient la tête en murmurant. La chimère effarée assistait en direct à son procès. Et Cassian, jouant de sa superbe dans un acte splendide, emmenait le monde avec lui ; Il emmenait le monde contre elle, et on la regardait, et on la jugeait. Devant les assentiments qui parcouraient la salle, devant les regards déçus qu'on lui envoyait, la crainte submergea la chimère. Elle ouvrit la bouche et se releva fébrilement pour protester d’une ridicule voix faiblarde.

Non, c’est faux…

Si cela continuait ainsi, elle allait tout perdre.

Elle tenta d’hausser le ton, de donner du poids à ses dires, de contester ces accusations qui s’abattaient sur elle, mais sa voix blanche résonna dans un étrange silence empli de jugements.

C’est un manipulateur !

Cassian se stoppa en plein élan pour la fixer de ses yeux écarquillés. L’air affligé sur son visage ne semblait que trop réel, et les reflets humides dans ses yeux appuyaient la tristesse candide qu’il affichait. Un émoi secoua la salle, compatissant à la peine démesurée affichée par l’artiste.

Voyez, chers juré.e.s, comme elle n’assume pas et me traite de menteur ? Moi, Cassian ! Vous tous.te.s me connaissez et savez qu’il n’en est rien ! Ne me dîtes pas que vous me pensez être une personne aussi malhonnête ?

Une larme qui roule sur une joue, brillante de perfection, clou du spectacle.

Le peuple se leva en grognant, grondant, hurlant ; Et Cassian leva les bras en se tournant vers la coupable, sa lourde cape rouge bordée de fourrure blanche à pois noirs suivant son mouvement, la couronne d’or trônant sur sa tête parfaitement droite et immobile malgré la rapidité de son tour. Le sol tremblait sous les pieds des badauds, qui ne rêvaient que d’un mot de leur roi pour châtier la misérable traîtresse ayant proféré les pires atrocités à l’égard de leur prophète. Comme si le sol s’était dérobé sous ses pieds, celle-ci se trouvait à genoux devant ce souverain fier et impassible, le regard levé avec horreur vers le visage de Cassian, plissant les yeux face au soleil qui auréolait sa tête..

Heureusement, je suis clément.

Quelques applaudissements et exclamations d'admiration.

Submergée par la situation, Maya paniqua, alors que son ennemi s'apprêtait à rendre son verdict. Elle aurait aimé fermer les paupières pour dérober la scène à son regard, mais son corps se refusait à son contrôle. Prostrée aux pieds de Cassian, elle ne pouvait fuir les intrications d’évènements menées par le marchand de sable.

La regardant de haut, un sourire narquois sur son visage, Cassian fit tomber la sentence.

Je te condamne… A une éternité de servitude !

Et alors que son détestable rire diabolique emplissait l’air, Maya écarquilla les yeux devant la mousse qui débordait de l’évier, ses mains frippées par le savon et les piles d’assiettes sales s’élevant jusqu’au plafond.

Une vision d'horreur.

Mais la suivante descendait d'un degré encore dans l'atrocité, plongeant Maya au fin fond d'un abîme de terreur.

La chimère se retourna en sursaut pour faire face à un Cassian au sourire maléfique, assis sur un trône richement décoré. De longues cornes diaboliques trônaient sur son crâne. Et, sur ses genoux, les deux chats de Maya qui semblaient avoir allègrement changé d’allégeance.

Un hurlement résonna dans Courchevel tandis que Maya s’extirpait en sursaut de son cauchemar, trempée de sueur et tremblante, la respiration saccadée, le sang palpitant à ses tempes.

De longues minutes lui furent essentielles pour reprendre son souffle et ses esprits. Une fois sa respiration ayant repris un rythme normal, elle prêta l’oreille aux éventuels bruits émanant du couloir. Rien.

Elle soupira, se mordillait les lèvres pensivement, sourcils froncés, espérant de tout coeur que son colocataire et rival n’avait rien entendu… Il ne manquerait plus qu’il la taquine sur cette terreur nocturne et qu’elle ne parvienne pas à enlever de sa tête son air triomphant, vêtu d’atours royaux. Maya grimaça. Inutile de préciser qu’elle avait encore moins envie de le croiser après un tel cauchemar.

Frissonnante, elle se rallongea et maudit son colocataire détesté et l’insécurité qu’il devait, quelque part, lui inspirer. Pouvait-on dire que Cassian était son némésis ? Peut-être. Il était, en tout cas, un ennemi qu’elle craignait et qu’elle avait l’intention d’éviter pour le restant de ses jours - pourvu qu’il ne requiert pas sa présence dans une nouvelle réunion de colocataires !