Une pièce pour les troubadours
Ça, pour attirer les regards... Elle attire le tien, c'est une certitude. Quel move de génie de sa part, il faut lui accorder ce point ; user ta tendance à être
distrait à son avantage, elle aurait souhaité le faire exprès qu'elle n'aurait pas trouvé meilleure technique. À chaque fois qu'un grelot tinte, tes pupilles dilatées se braquent sur celle qui a attiré ton attention.
Ça démange quelque chose au fond de tes orbites, c'est à la limite de t'énerver, mais à la place, tu admets, ironique :
— Ce serait parfait si je vendais des sachets de thé d'aveuglement. C'est peut-être ce que je devrais boire, d'ailleurs.Plutôt que de t'ouvrir un soda énergisant alors que t'as déjà bu quatre cafés et probablement consommé d'autres trucs. À force, ça devient compliqué de deviner avec quoi tu as décidé de t'éclater les veinules autour de tes iris aujourd'hui. N'importe quoi pour te maintenir en éveil, vraisemblablement.
Tu descends une gorgée tandis que tu l'observes prendre ses aises sur ton comptoir, puis tu te cambres auprès d'elle, une main s'échouant sur sa cuisse pour tapoter contre l'intérieur de celui-ci, pas loin de son genou. Tes manières sont bien paresseuses et détachées pour quelqu'un dont la tachycardie pourrait alimenter une centrale électrique.
— En tout cas, si je te devais une faveur, je l'ai annulée y a deux semaines, décrètes-tu en toute nonchalance.
Tu l'observes d'en dessous, le menton posé dans le creux de l'autre, ta tête ainsi soutenue par ton coude plié contre le bois. Une joue un peu gonflée contre laquelle tes doigts pianotent, alors que tu bougonnes :
— Tu ne réponds même pas au téléphone quand j'ai besoin d'aide. Imagine si j'étais en urgence vitale.Oui.
Imagine juste.Ce n'est pas comme si tu avais trouvé le moyen de récupérer un peu de ta propre cendre dans une éprouvette. Ce n'est pas comme si tu avais passé pratiquement deux semaines à l'agonie. Ce n'est pas comme si ton pouvoir de nécromancien ne t'était pas finalement revenu qu'il y a trente-six heures à tout casser.
Ce n'est pas comme si tu as encore des élancements dans la mâchoire tandis que tes dernières molaires repoussent malgré les anti-douleurs, et ce n'est pas comme si tu as encore besoin d'une potion d'apparence chaque matin pour camoufler les bleus persistants autour de ton nez.
Si t'arrêtais de renifler, aussi.