TW ante-mortem : accidents de voiture (deux, graphique), conduite illégale
Années 1992 – 2018
Ethan est un garçon qui n’a pas eu une vie particulièrement difficile. Bien sûr, il a dû faire face à quelques problèmes, mais n’est-ce pas le cas de tout le monde au moins une fois dans sa vie ?
Ainsi, l’enfant est né au sein de la famille Foster, une très riche famille résidant à Los Angeles. Il vivait dans un grand manoir, entouré d’un jardin qui faisait que plus d’un l’enviait considérablement même s’il ne s’en vantait jamais.
Honnêtement, il ne supportait pas l’idée d’être apprécié par les enfants de son âge juste à cause de ses conditions de vie.
Il y avait quelque chose dont il était bien plus fier : son père. Son père et son métier.
Parce que cette richesse, elle n’était pas acquise de nulle part. Une partie par héritage, bien entendu… Mais le reste avait été obtenu grâce au métier de son père. Richard Foster était un pilote automobile très reconnu, ayant concouru plusieurs fois pour des courses sur circuits et remporté au moins la première place pour quelques-unes.
Malheureusement, le domaine automobile n’intéressait pas vraiment ses camarades d’école. Ils restaient fixés sur tout ce qu’il avait, et non pas comment sa famille en était arrivée là. De ce fait, il a toujours eu du mal à maintenir ses amitiés avec les autres.
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Son père parlait énormément de ses journées derrière un volant. L’adrénaline de rouler à des vitesses élevées, l’instinct et les calculs à effectuer pour emprunter les virages sans ralentir, les drifts et autres manœuvres qui demandent beaucoup de pratique…
Il n’arrêtait pas, et Ethan l’écoutait toujours avec une grande attention jusqu’à ce que sa mère l’envoie au lit.
Il écoutait avec des étoiles dans les yeux. Il en rêvait nuit et jour. Lui aussi, il deviendrait un grand pilote comme son père ! Et puis, il passerait à la télé comme son père ! Il serait applaudi et félicité pour ses victoires comme son père !
Ça semblait être un métier qui se transmettait de génération en génération, puisque d’après son papa, son grand-père était aussi un pilote automobile renommé. Même si un accident l’avait emporté. Tous les pilotes savent les dangers dans lesquels ils s’embarquent en choisissant cette voie.
Ethan ne faisait pas exception.
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Mais pour devenir pilote automobile (et se démarquer à l’avenir), il fallait s’y prendre dès le plus jeune âge. Ce qui, honnêtement, était loin de déranger l’enfant.
Ainsi, dès qu’il eut ses six ans, l’âge minimum requis pour participer à du karting, son père l’emmena à l’un des clubs de karting pour qu’il commence à se faire la main.
Évidemment, ses débuts étaient très… laborieux et désastreux.
Ce qui était normal pour un enfant de six ans qui ne connaissait rien aux mécaniques réelles d’un véhicule. Et les karts pour enfants n’étaient que des copies loin d’être fidèles à des vrais, avec des manettes qui simplifient grandement la plupart des choses qu’un vrai possède.
En plus, ça lui donnait un tournis considérable à force de faire les mêmes boucles du circuit.
Ce ne fut qu’à partir de huit ans qu’il fut réellement autorisé à suivre les cours proposés par le club de karting. Il était estimé que la maturité des enfants pour comprendre les enseignements donnés était meilleure à partir de cet âge. Il y apprenait donc les bases de la conduite et de la sécurité.
Bien entendu, il allait y revenir encore et encore pendant des années, pour s’améliorer lentement mais sûrement. Il n’avait pas besoin de précipiter les choses.
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À côté, son père lui enseignait également ses autres connaissances. Il expliquait les différentes parties d’une voiture, les boutons, le fonctionnement du levier de vitesses, les deux freins – hydraulique et à main –, ainsi de suite.
Bien sûr, comme pour le karting, il dut y aller par étape, et les répéter plusieurs fois, pour ne pas submerger son fils d’informations, ce qui provoquerait l’effet inverse de l’apprentissage. Et il ne le laissa pas conduire une véritable voiture, il n’était pas fou. De toute façon, Ethan n’atteignait pas encore les pédales.
Il lui donnait aussi quelques exercices sportifs divers et variés à suivre pour se renforcer sans nuire à son développement physique. Ainsi, les poids lourds étaient pour le moment prohibés. Mais en grandissant, il put pratiquer davantage de musculation qui l’aidera grandement en tant que pilote.
Pour les leçons, son fils, une fois plus grand, commença à prendre des notes dans un carnet pour pouvoir les réviser plus tard. Il ne se lassait jamais d’apprendre, même si son père lui disait quelque chose qu’il connaissait déjà.
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Déjà à l’époque, vers neuf ans, Ethan participa à sa première course de karting réservée aux jeunes enfants de huit à quatorze ans. Elle était organisée par son club, et il rencontra donc ses aînés par ce biais.
Ils étaient bien plus imposants que lui. Surtout les plus âgés. Il se sentait un peu intimidé à côté d’eux.
Sans surprise, il termina la course dans les derniers. Il était bien loin d’être aussi expérimenté. Mais il ne se découragea pas pour autant.
Surtout pas quand certains d’entre eux vinrent le féliciter pour avoir tenu bon face à eux.
Ce fut au sein de ce club qu’il trouva ses premiers véritables amis. Des amis qui partageaient sa passion pour la course automobile. Une partie envisageait de poursuivre vers les courses de Formules, tandis que d’autres se dirigeaient, comme lui, vers les courses sur circuits. Les restants pratiquaient juste pour le plaisir.
Son père le félicita également, car il avait conscience de la pression que subissait son fils, encore plus pour sa première course.
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Loin de s’arrêter en si bon chemin, le garçon concourut à d’autres courses de karting que son club proposait. Mais son père l’inscrivit occasionnellement aussi à des courses locales. Celles-ci étaient plus rares et extérieures au club, donc avec nettement plus de participants.
Ses amis ne pouvaient pas toujours y participer eux-mêmes. Ils n’avaient pas les mêmes moyens financiers que la famille d’Ethan.
Toutefois, lorsque les courses se déroulaient dans les environs de Los Angeles et que leurs parents les y autorisaient, ils venaient y assister pour les encourager. Pas seulement lui, mais aussi d’autres jeunes adolescents qui conduisaient.
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Avec l’âge et l’expérience, les dizaines de centaines de courses derrière lui, il remporta enfin sa toute première course à l’âge avancé de quatorze ans et demi.
Il s’en était approché plusieurs fois par le passé… Cependant, il n’avait encore jamais décroché au-delà de la seconde place. C’était frustrant, mais bon. S’il n’avait pas été assez bon cette fois-là, il le serait la fois suivante.
Il s’était répété cette phrase mainte et mainte fois pour s’encourager lui-même, pour ne pas perdre espoir d’en gagner au moins une avant ses quinze ans, avant que son père ne parte le mois suivant pour une nouvelle saison. Après tout, il ne le verrait plus qu’à la télé jusqu’à son retour. Il voulait que son père soit fier de lui avant son départ.
C’était donc chose faite. Son père était tellement heureux pour lui. Ils en firent la fête toute la nuit.
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Suite à cette victoire et avant que son père ne parte pour sa saison, ils discutèrent de la poursuite d’études à venir d’Ethan.
La fin de ses études en Middle School approchait. Et il devait décider de sa future école. S’il souhaitait absolument poursuivre dans le sport automobile, il lui fallait choisir une High School spécialisée dans le sport très vite pour pouvoir y postuler.
Parce que, malheureusement, il n’existait pas de cursus scolaire pour apprendre à devenir pilote automobile. Le mieux qu’il puisse trouver était des écoles qui proposaient des formations coûteuses sur trois jours.
Donc il songea d’abord à soit s’inscrire dans un lycée pour devenir mécanicien, soit à s’inscrire dans un lycée sportif.
Après un long moment à débattre des pour et des contre avec son papa, il opta pour cette deuxième option. En effet, le lycée sportif offrait des aménagements particuliers qui lui permettraient de trouver des professionnels qui accepteraient de le prendre en tant que stagiaire. Et peut-être des sponsors qui le soutiendraient également.
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Par ailleurs, Ethan commença à se vêtir de couleurs violettes vers ses quatorze ans. Il cherchait son style, quelque chose qui le distinguerait dans la foule des jeunes pilotes.
Ses parents étaient un peu sceptiques, mais le laissèrent faire. Il ne faisait rien de mal, après tout.
Ce fut aussi à ce moment-là qu’il essaya de se teindre les cheveux tout en violet. Le résultat fut… pas aussi grandiose qu’il l’espérait.
Alors après plusieurs mois à attendre que la teinture disparaisse, il retenta avec seulement le bout des cheveux en violet. Ce qui était nettement mieux, même si pas exactement encore ce qu’il aimait. Le troisième essai s’avéra être le bon, où il se teinta d’abord les cheveux en noir, puis le bout en violet.
Il allait avoir une personnalité qui marque les esprits !
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Ou peut-être pas.
C’est l’histoire d’un rêve qui prit fin prématurément.
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Les télés ne sont pas toujours une bonne chose pour ceux qui la regardent. Parfois, ils apprennent les bonnes et les mauvaises nouvelles en direct.
Comme maintenant. Sur une chaîne spécialisée dans la diffusion de courses automobiles. Surtout les Grand Prix.
(Aujourd’hui, Ethan ne sait toujours pas s’il regrette d’avoir regardé ce qui s’est passé.)
C’était la dernière course de la saison à laquelle son père participait. Jusqu’ici, tout s’était parfaitement déroulé. Il avait même réussi à remporter la première place à l’une d’entre elles. Et sinon, il restait dans les cinq premiers.
La veille, par visioconférence, il avait juré qu’il gagnerait cette dernière course.
Ethan y croyait. Il y croyait très fort. Son papa y arriverait. Une autre coupe ornerait l’étagère de leur maison.
…
Richard Foster n’atteignit jamais la ligne d’arrivée de cette dernière course.
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Tous les pilotes savent les dangers dans lesquels ils s’embarquent en choisissant cette voie.
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Les sirènes hurlaient à travers l’écran de télévision. Du moins, Ethan le pensait. Il n’en était pas sûr. Parce qu’il criait encore plus fort, appelant son père qui ne pouvait pas l’entendre. Sa mère pleurait sur le canapé derrière lui, les mains devant sa bouche pour étouffer ses sanglots. Il ne pouvait rien faire pour la réconforter. Après tout… lui aussi pleurait.
Ce n’était pas possible. Ce n’était pas possible. Ce n’était pas possible.
Pas son père.
Il allait bien, il y a une minute. Il roulait à toute vitesse dans sa belle voiture grise bariolée des marques des sponsors.
(Une fois, il avait expliqué pourquoi gris à Ethan. Il y a trop de voitures colorées sur la piste. Alors il en avait choisi une plus simpliste, plus neutre.)
Il devait imaginer la fumée émanant du véhicule à la télé. Il devait rêver les camions de pompiers qui arrivaient sur les lieux. Des mensonges. Que des mensonges que les caméramans diffusent.
Et puis, plus rien.
Un message informatif disant qu’ils interrompent le programme suite à un incident sur la piste. Avant de finalement présenter diverses publicités.
Un incident. Ils appelaient ça ’un incident’. Une vie était en jeu et ils appelaient ça ’un incident’.
Les larmes coulaient sur ses joues et il criait. Encore. Et encore. Et encore. Jusqu’à ce que sa voix s’éteigne et qu’il s’effondre sur le sol d’épuisement.
Sa mère le rejoignit immédiatement pour le prendre dans ses bras, toujours aussi peu grand malgré ses quinze ans. Elle l’amena dans le canapé et le serra aussi fort qu’elle pouvait, ses ongles s’enfonçant légèrement dans son dos. Il s’agrippa alors tout aussi fort à elle, pleurant dans le creux de son cou.
Faites que son père aille bien. Faites que son père aille bien. Faites que son père aille bien.
Il n’était pas un croyant, mais juste pour cette fois…
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Quelques heures plus tard, le téléphone sonna.
C’était l’hôpital. Son père avait été admis à l’hôpital de toute urgence. Ils téléphonaient car ils étaient la famille et les contacts d’urgence de Richard Foster. Ils téléphonaient pour annoncer les nouvelles.
Pour le moins peu réjouissantes.
Tout d’abord, le plus important. Il était en vie, et il ne courait plus aucun danger. Il se reposait actuellement dans sa chambre, et serait transféré prochainement à l’un des hôpitaux de Los Angeles.
Toutefois, il y avait eu un prix à payer pour cette victoire. Il était très peu probable que son père marche de nouveau.
Pour les explications, il pleuvait. Le sol était glissant, et il était dangereux de rouler. Un véhicule dériva et percuta le sien, au point qu’il en perde le contrôle. Sa voiture dérapa avec l’humidité du bitume et se fracassa contre le mur de la piste, prenant feu presque immédiatement. Des débris de métal volèrent et s’enfoncèrent suffisamment profondément dans ses muscles. Ils touchèrent également les nerfs, les coupant net. Il y eut des points de suture aussi à faire, et probablement un traumatisme crânien dû au choc.
Cela mis à part, les analyses étaient toujours en cours, et les médecins ne pourraient donner un diagnostic complet qu’au réveil du patient.
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Le transport fut laborieux.
Selon les médecins lorsqu’ils arrivèrent à l’hôpital de Los Angeles, son papa avait fait une crise d’angoisse violente à la vue de l’ambulance censée le conduire.
Ils avaient peiné à le calmer. Il se débattait comme un lion, et avait fini par tomber de son fauteuil roulant pour s’éloigner le plus possible du véhicule en rampant. Les infirmiers avaient dû s’y mettre à plusieurs pour le ramener sur le fauteuil. Et les médecins avaient dû recourir à un somnifère suffisamment fort pour l’endormir une bonne partie du trajet.
De part cette réaction, les médecins lui diagnostiquèrent une amaxophobie, la peur des véhicules, résultant très probablement de son accident. Il pourrait possiblement développer également un TPST en lien avec l’accident.
Ethan espérait qu’ils se trompaient…
Car si c’était vrai, alors… alors… Il avait un mauvais pressentiment à ce sujet.
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Ce pressentiment se confirma au fil des jours, puis des semaines.
Son père ne parlait plus du tout de voitures ou de courses. Il évitait activement le sujet, déviant sans même le cacher pour discuter d’autres choses.
La simple mention ne serait-ce qu’un peu proche du sujet lui déclenchait les souvenirs de son accident. Et il se mettait inévitablement à paniquer. Les infirmiers avaient dû intervenir plusieurs fois pour le calmer.
Ce fut donc un autre défi pour le ramener à la maison lorsqu’il fut finalement autorisé à quitter l’hôpital, son état jugé assez stable pour ça.
Monter dans la voiture était banni des possibilités.
Il en valait de même pour les autres types de véhicules.
Au final… ils rentrèrent à pied. Le chemin était long, mais pour le bien de leur être cher, ils le feraient. Et comme promis, ils le firent. La nuit était pratiquement tombée lorsqu’ils atteignirent, épuisés, leur grande maison.
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Ça ne s’améliora toujours pas les mois suivants. Au contraire. Ça empira.
Sa mère vendit leurs trois voitures. Elle lui interdit également de parler de tout ce qui concerne les courses et les voitures. Elle lui interdit de retourner au club de karting. Elle lui interdit de s’inscrire dans le lycée sportif. Elle lui interdit de participer à des stages auprès de pilotes professionnels.
Pour faire simple, elle lui interdit de devenir pilote.
Pour faire simple, elle avait peur qu’il ait un accident, lui aussi.
Il intégra un lycée classique et se dirigea vers une filière scientifique. Tout ce qui ne l’intéressait pas. Même si en apprendre davantage sur les forces s’avéra utile.
Lentement mais sûrement, sa famille s’éloigna de tout ce qui concernait le domaine automobile.
Et même si Ethan comprenait les raisons, il n’en était pas moins frustré.
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Cependant, cette frustration était difficilement compréhensible pour ses parents.
Après tout, il avait vu ce qui était arrivé à son père. Il savait ce qui était arrivé à son grand-père. Il avait conscience de ce qui risquait de lui arriver. Et pourtant… Pourtant, cette passion, cette envie dévorante, pour la conduite ne s’atténua pas.
Il rêvait toujours de devenir pilote comme son père et son grand-père avant lui. Et rien ne l’arrêtera. Peut-être était-ce parce qu’il n’avait pas frôlé lui-même la mort.
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Ainsi, en grandissant, sa frustration ne fit que croître. Et il entra dans sa phase rebelle.
Dès les premiers mois, il commença déjà à désobéir aux nouvelles interdictions de sa mère. Il continua de se rendre au club de karting. Ses amis pouvaient sentir sa mauvaise humeur, et le laissaient généralement tranquille.
Il ne pouvait plus monter dans un kart sans personne pour payer les frais, mais au moins, il pouvait regarder. Et il restait des heures à regarder.
Jusqu’à ce que l’un des ses amis finisse par lui dire que s’il demandait aux gérants, ils accepteraient sûrement qu’il roule de temps à autre. Il était tellement connu dans le club qu’il n’y avait pas de raison qu’on lui refuse…
Mais ce fut Ethan lui-même qui refusa. Il ne voulait pas profiter de la gentillesse des gens ici.
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Il vint. Encore. Et encore. Et encore.
Ses visites ne cessèrent jamais. Bien au contraire, elles devinrent plus courantes au fil des mois.
Il avait commencé à s’échapper hors de la maison, devenue étouffante pour lui sans plus personne avec qui parler de voitures et de courses, d’adrénaline et de vitesse extrême. Il avait commencé à s’échapper hors de l’école, devenue trop ennuyeuse pour lui qui n’avait jamais désiré intégrer ce lycée.
Il passait désormais à toute heure aléatoire de la journée, et restait là pendant des heures avant de repartir… où qu’il aille.
Les offres de rouler sur la piste ne diminuèrent pas non plus. Les gérants du club eux-mêmes vinrent lui proposer. Peut-être avaient-ils une mauvaise intuition, une idée que ça allait mal finir s’ils n’intervenaient pas.
Qu’est-ce qui pouvait mal tourner ?
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Ça. Cette suggestion. Sortie de nulle part. Venant d’une personne sortie de nulle part.
Qui était cet homme ?
Ethan n’en avait pas la moindre idée. Il ne l’avait jamais vu dans l’enceinte du club.
Personne d’autre n’était avec lui. Personne d’autre ne l’approchait non plus d’ailleurs. Il restait à l’écart, dans son coin. Mais les gérants lui jetaient un coup d’œil étrange, de temps à autre.
L’adolescent suivit les signaux discrets et l’évita également.
Les jours se poursuivirent. L’homme continua de se présenter dans le club. Toujours seul, toujours surveillé. Ça devenait vraiment bizarre. Même carrément louche.
Jusqu’au jour où tout changea.
L’homme mystère vint vers lui. Et tout le monde présent dans le club à cet instant se tendit subrepticement.
Il engagea naturellement la parole, malgré le fait qu’ils se parlaient pour la première fois. Eh bien, c’était plutôt comme s’il monologuait et qu’Ethan l’écoutait vaguement en diagonal. Il était plus préoccupé par les réactions des gens autour de lui.
L’inconnu mentionna une sorte de ’club’, différent du karting, où des personnes conduisaient de véritables voitures. Il se situait à la périphérie de la ville, sur un terrain vague, et des courses y avaient parfois lieu.
Il comprenait mieux pourquoi cet homme était autant surveillé. Ce dont il parlait, ça ressemblait à du street racing, des courses illégales.
Mais… Malgré tous les drapeaux rouges… Malgré tous les avertissements… La curiosité d’Ethan était piquée.
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Il découvrit donc le fameux ’club’ du terrain vague. Pas si vague, puisqu’il comportait une vieille route à proximité et clairement utilisée par le club.
Ils se faisaient appeler ’Checkmate’, et comptaient presque une dizaine de membres. Sans compter les nombreux autres qui n’étaient pas directement liés au club.
Beaucoup de ces gens venaient juste regarder. Tout particulièrement les courses qui se déroulaient à la nuit tombée.
Comme lui maintenant.
Le ’club’ semblait prendre une toute nouvelle vie dès le soleil couché. Le bâtiment principal s’illuminait de néons multicolores, la musique tonnait fort, les discussions remplaçaient le calme de la journée. Les pilotes s’affrontaient amicalement sur la vieille piste. Et parfois, d’autres groupes venaient les défier.
Il vint. Et revint. D’abord quelques fois occasionnelles. Puis de plus en plus régulièrement jusqu’à une visite journalière.
D’une manière ou d’une autre, il se fit une place parmi eux, dans ce groupe hétéroclite qui n’avait pas les moyens de participer à des courses officielles. Et Ethan n’était même pas sûr qu’ils désirent réellement concourir légalement.
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Mais regarder ne lui suffisait plus vraiment. Trouver ce club ne résolvait pas ses problèmes. Il voulait rouler. Il voulait piloter.
Alors il osa.
Il osa demander au ’club’ de lui enseigner la conduite, ce qui laissa la plupart des membres abasourdis.
Ce n’était pas vraiment la première fois qu’ils recevaient une telle demande… Juste pas de jeunes de l’âge d’Ethan. Ou du moins, de l’âge qu’ils supposaient qu’il avait à cause de sa petite taille. Faire seulement un mètre cinquante à presque dix-sept ans, il était vrai que ça devait être surprenant.
« Attends, t’es sérieux ? T’as pas treize ans ? »
Une fois son âge prouvé, ils cédèrent plus facilement à sa requête. Ils utiliseraient le véhicule de rechange qu’ils gardaient dans le garage pour ça.
Ethan se fichait de l’état de la voiture, tant qu’il remettait les mains sur un volant.
Ainsi, les minimums six prochains mois passèrent beaucoup plus vite pour lui, apprenant la conduite d’une voiture et non d’un kart, avec l’aide des membres du club.
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Une fois son permis métaphorique en poche, il continua de rouler avec le vieux véhicule du club. À côté, il était en train d’économiser pour s’acheter une voiture à l’insu de ses parents.
Pour le coup, il avait un avantage… Ses riches parents lui versaient près de 250 dollars chaque mois pour l’aider pour son logement à l’avenir.
Donc des économies… Il commençait à en avoir pas mal, même si ça restait loin d’être suffisant.
Il savait quelle voiture il désirait. La même que son père et son grand-père avant lui. Il comptait seulement prendre une couleur différente.
Là où il avait besoin de conseils, c’était pour la rendre plus performante.
Normalement, il aurait dû faire tout ça avec son papa. Il le lui avait promis lorsqu’il était encore enfant. Mais cela faisait maintenant plus de trois ans que cette option était hors de la table.
Les seules autres personnes ayant de l’expérience dans le domaine étaient les membres du club.
Et honnêtement, ils surent très bien le conseiller.
À dix-neuf ans, il était donc en possession… d’un faux permis et d’une voiture adaptée à la course.
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Il n’y avait pas grand-chose à raconter entre ses vingt et vingt-cinq ans.
Il s’était inscrit à l’université dans le domaine des sciences, suivant toujours des études qui ne l’intéressaient aucunement, mais il visait quand même un Master. Il avait l’impression de s’excuser auprès de ses parents pour ses magouilles par ce biais.
Par la même occasion, il avait trouvé un logement à proximité de l’université, et y habitait depuis lors. Avant ça, il avait temporairement vécu chez l’un de ses amis du club illégal.
Il avait également grandement gagné en popularité à force de répondre à des défis que d’autres coureurs lui lançaient, ou lançaient à son club. Beaucoup de spectateurs commençaient à le surnommer Amethyst, et ce nom se répandait bien dans les bas-fonds. De manière inattendue, il prenait du plaisir à faire du street racing, même si ce n’était pas ce qu’il visait initialement.
La plus grande surprise fut d’apprendre, lorsqu’il eut vingt-trois ans, que ses parents soupçonnaient fortement depuis longtemps qu’il n’avait pas arrêté la conduite.
C’est l’instinct d’une mère qui parle. Ce furent les mots de sa maman.
Ils n’approuvaient évidemment pas. Malheureusement, sans preuves concrètes parce qu’il était devenu un excellent menteur pour cacher les endroits où il se rendait et ce qu’il faisait de manière générale… Ils n’étaient pas en mesure de lui dire quoi que ce soit de plus que des avertissements.
Il était majeur. Il décidait de sa propre vie désormais.
Mais ils avaient peur. Peur pour lui, peur qu’il lui arrive quelque chose.
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Peut-être aurait-il dû écouter.
Cette fois, ce ne fut pas juste un rêve qui prenait fin.
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Une rumeur commença à se répandre rapidement dans les rues, parmi les pilotes. Du bouche à oreille. Et Ethan ne tarda pas à entendre parler.
Une série de vingt courses se déroulant sur six mois était organisée par un homme riche et connu dans le domaine du sport automobile. Il s’avérait apparemment qu’il avait aussi un pied dans l’illégalité… En récompense à celui qui marquerait le plus de points, il deviendrait son sponsor, le financerait et l’aiderait à intégrer un club légal – le Sports Car Club of America (SCCA) – afin que le pilote obtienne une licence officielle.
(Il cherchait un nouveau champion pour sa marque.)
C’était une occasion en or.
Car n’ayant pas de permis valable, ni suivi de stages appropriés auprès de véritables pilotes possédant cette licence, Ethan ne pouvait pas en obtenir une.
Il n’allait certainement pas laisser passer cette chance.
S’il gagne, il pourra enfin quitter le street racing et rouler sur des circuits officiels. Il serait un pilote digne de ce nom.
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Alors il se rendit aux courses les unes après les autres.
Il était loin d’être le seul présent. Ils étaient souvent près d’une trentaine, voire quarantaine, de participants selon les courses. Tous n’étaient pas toujours disponibles les soirs où elles avaient lieu. Tous ne sortaient pas forcément indemnes de la précédente non plus.
Mais ce n’était pas ça qui l’arrêterait. Ni les membres de ’Checkmate’. Et pourtant, ils avaient essayé. Ils l’avaient prévenu que c’était dangereux, que les autres participants ne seraient pas réglo.
Il était vraiment têtu quand il le voulait.
Et de toute façon, ça se passait très bien jusqu’à présent. Il ne finissait pas toujours premier, mais restait suffisamment proche sur le podium pour marquer un grand nombre de points.
Il prenait sûrement la grosse tête. Et la victoire à portée de main l’aveuglait stupidement. Tout le monde le lui avait dit.
Dans cette série de courses, tout le monde était son ennemi.
… Y compris ses anciens amis.
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Tous les pilotes savent les dangers dans lesquels ils s’embarquent en choisissant cette voie.
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Tout se déroula au ralenti. Ou peut-être pas. Peut-être était-ce juste son impression alors que ses pensées s’emballaient et qu’il paniquait considérablement.
Sa voiture avait été trafiquée lorsqu’il avait le dos tourné. C’était évident.
Lors d’un virage particulièrement difficile le long d’une montée montagnarde, prévoyant de se lancer dans un drift sans ralentir une seconde, son frein hydraulique se coinça sous sa main.
Il ne fut pas capable d’engager le virage comme il le souhaitait. Alors il tenta tant bien que mal de reprendre son véhicule en main et de tourner manuellement.
Ça ne fonctionna bien évidemment pas. Le virage était trop court pour lui permettre une telle manœuvre.
Avec la vitesse, il défonça la barrière de sécurité routière, et vola dans le ravin. Sa voiture partit en tonneau le long de la pente, explosant les fenêtres et enfonçant les portières et le toit.
Il sentit les bouts de verre transpercer sa peau à travers ses vêtements de rue. Il sentit sa tête se fracasser contre le volant, l’airbag de sécurité ne s’étant pas gonflé pour le protéger. Il sentit quelque chose de dur et de froid lui poignarder le dos. Il sentit l’espace autour de ses jambes se rétrécir et les écraser.
Il goûta le fer sur sa langue. Il entendit le sifflement dans ses oreilles. Il perçut le vent glacial sur sa peau. Il inhala le feu et l’essence. Il vit brièvement la forêt autour de lui.
Tout faisait mal. Tout faisait si mal. Regarder, respirer, toucher, écouter, avaler. Rien n’allait bien.
Il avait l’impression que tous ses organes brûlaient de l’intérieur. Ou peut-être qu’il brûlait réellement. N’avait-il pas senti les flammes plus tôt ? Il ne comprenait rien à ce qui se passait.
Il devait sortir. Il devait sortir. Il devait sortir.
Sauf qu’il ne parvenait même pas à bouger un muscle. Ses membres ne répondaient pas. Ou à peine. Et lorsqu’ils bougeaient… Tout faisait mal.
Ses forces le quittaient à vitesse grand V.
Ses sens captaient de moins en moins son environnement.
Et finalement, les ténèbres l’engloutirent.
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TW post-mortem : accident de voiture (mention), crise de panique (une, graphique), conduite ’illégale’ (mais avec permis)
Années 2018 – 2019
Cependant, le silence des ténèbres commença peu à peu à s’éloigner, le laissant percevoir des chuchotements autour de lui.
Ethan ne prononça pas un mot.
Il avait l’impression qu’il devrait avoir mal partout. Mais aucune douleur ne lui parvenait. Peut-être que des médecins l’avaient fortement anesthésié au point qu’il ne ressentait plus rien du tout.
Dans ce cas… Cela signifiait-il qu’il était en vie ?
Une minute. Marche arrière. Pourquoi devrait-il être mort d’abord ?
Il ne comprenait rien. Tout était si confus dans sa tête. Il y avait quelque chose qui ne tournait pas rond, ça, il en était certain.
Et puis, il y avait cette phrase inachevée, dite par une voix étonnamment familière. La première chose qui résonna dans sa tête lorsqu’il reprit conscience.
« Désolé Ethan, je voulais pas… »
Qui ne voulait pas quoi ?
Rien n’avait de sens, bon sang. Peut-être qu’il rêvait. Ça expliquerait tout le non-sens. Ouais, ça devait être ça. Il rêvait. Il lui suffisait d’attendre qu’il—
On le tira brusquement par le bras.
Il ouvrit les yeux, et se retrouva aussitôt intensément ébloui par des lampes suspendues au plafond. Ce n’était pas sa chambre. Ni sa voiture d’ailleurs. Ni la chambre d’un de ses amis.
La personne qui l’avait tiré jusque dans cette pièce s’écarta pour disparaître par la porte, l’abandonnant avec… un (royal) inconnu.
Qui se mit à parler. En anglais. D’accord. Bon début. Même si les trois quarts des propos lui passaient franchement par-dessus la tête. Il cherchait encore à aligner ses pensées désordonnées pour y voir plus clair. Au moins, il capta des bribes du monologue. Roi. Mort. Tokyo. S’amuser.
Ouais bon. Là, ça faisait juste trop de bribes sans queue ni tête.
L’inconnu diffusait une vidéo aussi sur un écran derrière lui. Bizarrement, la scène lui parlait. Une voiture, une pente, une forêt, des débris, du feu.
Oh bien sûr. C’était sa mort. Enfin, tout s’alignait dans sa foutue tête.
Aussi surréaliste que ça puisse paraître, il était mort et se trouvait dans l’au-delà. Parce qu’apparemment, il était devenu croyant en l’espace de dix minutes. Oui, tout à fait. Non. C’était juste un au-delà magique. Pourquoi pas.
Il ne put pas poser de questions. Son temps était écoulé. Il fut viré de la pièce trop lumineuse pour être jeté dans le vaste monde.
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Il passa la première semaine à essayer de… eh bien tout comprendre, en fait.
Pour faire court, il harcela ses – ? – nouveaux colocataires de questions. Les pauvres firent de leur mieux pour lui répondre. Ils s’en sortaient très bien. Il y voyait plus clair maintenant.
Donc récapitulons.
Il y a quelques jours, il avait participé à une course illégale. Sa voiture était trafiquée, et il perdit le contrôle, quittant la route et… s’écrasant.
Il n’était pas mort sur le coup, mais ça, c’était un détail.
Il s’était réveillé dans le Monde des Morts, car la… Faucheuse – sérieusement ? – avait jugé qu’il ne s’était pas assez amusé de son vivant. Et donc le voilà dans l’un des appartements de l’Agence Azazel, située à Tokyo.
C’était plutôt compréhensible, en fin de compte.
Une question subsistait, et pas des moindres.
Pourquoi avait-on jugé sa vie comme pas assez amusante ?Parce qu’il ne pensait rien de tel. Il y avait énormément de personnes qui méritaient davantage leur place dans ce monde que lui. Il était très satisfait de sa vie. Elle avait eu ses hauts et ses bas, mais il s’en était sorti. Il avait pu poursuivre son rêve, même si ses méthodes n’étaient pas aussi réglo qu’il le souhaitait.
Et puis, dans l’hypothèse selon laquelle sa voiture aurait vraiment été trafiquée et qu’il n’avait pas juste foiré, cela restait de sa faute. Il avait provoqué sa mort lui-même en suivant cette voie.
Alors quoi ? La vie après la mort était-elle censée lui faire réaliser la dangerosité de ses actes ? Il en avait bien conscience, merci.
∞
La première semaine toucha à sa fin. Il se décida finalement à mettre les pieds dehors pour découvrir ce nouveau monde.
Il sortit.
Pour être interpellé par un homme dans la cinquantaine dans le hall de l’Agence.
« Tu sais, fiston. Je m’attendais à voir ton père ici avant toi. »
Ethan s’arrêta sur place pour regarder l’inconnu qui lui souriait affectueusement comme s’ils se connaissaient depuis des années alors qu’ils se rencontraient pour la première fois.
Mais il n’avait pas peur de cet homme. À ses mots, il comprit immédiatement qu’il s’agissait de son grand-père paternel, celui décédé au volant d’une voiture comme lui.
Celui qui était pilote comme lui. Comme son père.
∞
Son grand-père l’invita à prendre un café – un chocolat chaud pour lui, beurk le café –, et lui raconta sa vie (et le fonctionnement alambiqué du Monde des Morts aussi). Il s’appelait Raymond Foster, père de Richard Foster et ancien pilote renommé comme Ethan l’avait deviné.
Et plus important encore…
Il encouragea vivement le jeune homme à suivre une thérapie dès maintenant s’il souhaitait remonter dans une voiture.
Là, Ethan était paumé.
Le vieil homme ne tarda pas à s’expliquer davantage, racontant sa propre expérience. Il n’avait pas jugé utile d’aller en thérapie, croyant que sa peur des voitures n’était que passagère à cause de son accident. Sauf qu’au final, celle-ci ne fit que s’aggraver, à tel point que même le simple fait d’en voir une lui provoquait une crise de panique.
Par conséquent, il avait considérablement tardé à guérir, et n’avait pas pu conduire à nouveau avant une éternité.
Pas de chance… Ethan était encore plus perdu suite aux explications. Parce que vraiment ? Il n’avait pas peur des voitures, comment pourrait-il ? La conduite était toute sa vie. Et il essaya de le répéter à son grand-père.
Ce dernier ne lâcha pas l’affaire. Alors le jeune adulte céda. Il suivrait une séance de thérapie pour lui prouver que ce n’était pas nécessaire.
∞
Il ne s’était jamais aussi trompé de toute sa vie.
∞
Sa première séance de thérapie avait lieu la semaine suivante. Son grand-père s’était proposé pour l’y conduire, puisqu’il affirmait encore et encore qu’il irait bien.
Mais alors… Pourquoi tout au long de cette semaine passée, lorsqu’il regardait circuler les voitures, il avait l’impression de sentir sa peau picoter désagréablement ? Pourquoi il ressentait un besoin urgent de s’éloigner le plus vite possible, même en étant en sécurité sur le trottoir ? Pourquoi il tressaillait au moindre crissement de pneu sur le bitume ?
Mais aussi, au milieu de toutes ces émotions d’horreur, une autre se démarquait… L’envie.
Pourquoi il devait attendre de gagner un peu plus d’argent – d’ossements, sérieusement ? – pour pouvoir investir dans une nouvelle voiture ? Pourquoi il devait passer son permis pour de vrai (ordre de papy), cette fois ? Pourquoi il devait
recommencer de zéro ?
Il n’avait pas autant de patience, bon sang.
Cette envie fut tuée à l’instant où il s’approcha de la voiture de son grand-père pour y monter.
Tout son corps se rebella lorsqu’il saisit la poignée. Ce fut comme s’il avait été électrocuté. Ou plutôt violemment brûlé. Il recula vivement, tandis que des douleurs surgissaient de partout dans ses membres.
Il faisait chaud. Il faisait froid. Il était à l’envers. Il était à l’endroit.
Il se serra dans ses bras. C’était comme si sa peau se déchirait en mille et une coupures. Son estomac se nouait, il avait la nausée. Il avait l’impression d’être ballotté dans une roue de hamster, il avait le tournis. Son souffle était court, il peinait à respirer. Ses oreilles sifflaient, il n’entendait rien. Il se recroquevilla sur le sol…
Et régurgita son petit déjeuner sur le trottoir.
Une main se posa délicatement sur son épaule. Une voix prononça des mots juste à côté de lui. Une personne le tourna dans sa direction et lui fit des signes.
Il ne comprenait pas.
Son cerveau paniquait de plus en plus. Ses pensées étaient incohérentes, confuses, perdues, sans queue ni tête. Il avait mal, mal, mal. Il suppliait pour que ça s’arrête.
Il perdit connaissance.
Ce jour-là, Ethan ne se rendit jamais à sa première séance de thérapie.
∞
Très bien, d’accord. Donc peut-être,
peut-être, qu’il avait sérieusement
peur des voitures. Et que la thérapie était
vraiment nécessaire.
La deuxième tentative de s’y rendre se passa à pied. Son grand-père l’accompagna, veillant plus que jamais à ce que la violente crise de panique ne se répète pas. Même dans la salle d’attente du médecin, il resta. Puis suivit Ethan dans le bureau du médecin.
Non, il ne demanda pas l’avis d’Ethan. Oui, Ethan était d’accord quand même.
D’autant plus que, comme son papy le souligna utilement, ils avaient la même thérapeute. Et il avait de l’expérience dans la peur des voitures.
Ensemble, ils passèrent la séance à analyser l’étendue de son amaxophobie nouvellement développée. Et ils mirent en place les étapes à suivre petit à petit pour qu’il puisse en guérir. Il fut averti que ça ne serait pas facile, et qu’il soit même possible qu’il fasse des rechutes en dépit d’une impression d’amélioration.
« La guérison n’est pas un processus linéaire. »
Ce n’était pas très rassurant. Surtout que cette envie, bien qu’atténuée, était toujours là, désirant un volant entre ses mains, désirant conduire à nouveau à des vitesses folles.
∞
Ça allait être long et fastidieux. Mais il devait passer par là, et s’y était vite résigné. Et adapté. Le fait que son grand-père ne l’abandonna pas un seul instant fut plus rassurant qu’il ne l’admettra jamais. Il envisagea même d’aller vivre avec lui.
∞
Comme attendu, la thérapie dura une bonne année entière. Tout ne s’était pas déroulé sans heurts. Et il n’était toujours pas sûr à cent pour cent d’être complètement guéri.
Du point de vue de son papy, ça avait été plutôt rapide.
Du point de vue d’Ethan, ça avait été mortellement long.
Le premier mois et demi, il avait activement évité de s’approcher de tous types de véhicules. Parfois, même voir une voiture ramenait les souvenirs de sa mort au premier plan, et déclenchait une crise de panique.
Ce fut seulement à partir du troisième mois qu’il parvint à monter dans une pendant un maximum de cinq minutes. Et encore, il devait garder les yeux fermés et se rappeler des exercices de respiration pour garder sa panique sous contrôle. Car dès qu’il les ouvrait, il se revoyait défoncer la barrière de sécurité et chuter dans le vide. Les arrêts parfois un peu brusques ou les virages trop serrés le stressaient également.
Au cinquième mois, il pouvait rester dans une voiture l’espace d’une petite promenade. Son estomac était noué tout le long, mais ça allait…
Malheureusement, c’était sans compter sur sa première grosse rechute. Et ce n’était même pas sa faute. Il assista à l’arrêt brutal et bruyant d’une voiture roulant un peu trop vite juste devant un passage piéton où une jeune fille s’était engagée pour traverser.
Le son et la terreur dans les yeux de la fille ravivèrent ses propres peurs. Il resta figé sur place, jusqu’à ce que quelqu’un le sorte de sa torpeur en lui demandant si tout allait bien.
Rien n’allait bien.
Il fallait recommencer les premières étapes, même si elles passèrent un peu plus rapidement la seconde fois.
Au septième mois, sa deuxième grosse rechute eut lieu. Entraînant les deux mois qui suivirent à lui faire vivre plusieurs crises d’angoisse.
La raison ? Il était grand temps qu’il affronte le chemin dans une zone similaire à sa mort : une route montagnarde. D’où les trois mois laborieux.
Heureusement, ils ne se contentaient pas d’emprunter cette route encore et encore jusqu’à vaincre sa peur. Ça aurait l’effet inverse et nuirait à tous ses efforts passés. Ils y allaient d’abord aléatoirement une fois toutes les deux semaines. Son grand-père ne l’avertissait pas des jours pour ne pas déclencher son instinct de fuite. Puis le mois et demi suivant, ils passèrent à une fois par semaine. Sa crainte diminuait lentement mais sûrement, jusqu’à majoritairement disparaître.
À partir de là, la thérapie sembla stable. Il lui arrivait d’avoir encore quelques micro-paniques, mais c’était loin d’être aussi alarmant que les premiers mois. D’autant plus qu’il était déterminé à guérir, souhaitant toujours reprendre le volant.
Pour faire passer le temps, il suivit des cours de japonais aux Catacombes, et d’autres activités aléatoires comme des cours de magie et de théâtre… Des choses qui paraissaient vraiment amusantes, n’avaient aucun rapport avec le sport automobile, et qu’il n’avait jamais pensé à essayer de son vivant.
Il trouva également quelques petits boulots en prévision de sa fin de guérison pour sa future voiture et le passage de son permis.
Un autre passe-temps auquel il commença à se livrer fut d’embêter un maximum ses colocataires ou des gens randoms qu’il croisait dans la rue. Ça les énervait, il trouvait ça drôle.
∞
Sa thérapeute l’informa qu’il allait mieux, beaucoup mieux, et qu’il pouvait être fier du chemin qu’il avait parcouru.
Il devait toujours venir à des séances par précaution, mais il n’y avait plus besoin qu’elles soient régulières. Juste une tous les trois mois, peut-être six mois éventuellement. Elle souhaitait garder contact avec lui, et lui aussi, pour être au courant à la moindre rechute.
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L’année 2019 arrivait à son terme.
Pour célébrer sa guérison (et Noël), Ethan prit un crédit à la banque et son grand-père l’aida financièrement à acheter une nouvelle voiture. Ce fut ainsi qu’il acquit sa Volkswagen.
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Année 2020
Grâce aux ossements gagnés au cours de l’année passée, il respecta la requête de son papy. Il s’inscrivit dans une auto-école pour passer son permis.
Il eut beaucoup de mal à acquérir le code. Les règles n’étaient pas tout à fait les mêmes qu’aux États-Unis… Et puis, sérieusement ? Quelle était cette invention tordue de rouler à gauche ? Quelle galère. Il n’était pas rare qu’il se plante sur les réponses parce qu’il inversait, par conséquent, la droite et la gauche.
Mais après cette horreur obtenue, il eut le déplaisir de devoir suivre les leçons pratiques avec un moniteur de l’auto-école. Le Japon ne proposait pas vraiment le processus en conduite accompagnée.
Son moniteur… le détestait.
Une bonne chose que ce fût réciproque.
Bien qu’extrêmement plus prudent que de son vivant, il était quand même… de nouveau un peu trop à l’aise et se laissait parfois emporter par la vitesse.
En clair, il était un danger public, et il manqua de se faire virer quelques fois par l’auto-école.
Même son grand-père le réprimanda tellement de fois qu’il cessa de compter. Il se reprit en main, il avait besoin de ce permis. Il surveilla davantage ce qu’il faisait pour respecter le code de la route.
C’était doucement mieux.
Et de mieux en mieux. À vrai dire, il découvrit un certain plaisir à rouler calmement, observant les rues défiler autour de lui. C’était très différent d’entendre le vent rugir contre ses vitres. À une vitesse tranquille, il entendait les bruits animés de la ville qui ne dort jamais.
« Il n’y a pas que la course dans la vie. »
Son moniteur tant détesté se permit de marmonner une fois, en le voyant se calmer avec la pédale d’accélération. Ethan ne put se retenir de lui tirer la langue comme un gamin.
Six mois plus tard, il valida son permis.
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Comme toujours, il ne se contentait pas d’une chose à la fois.
Quand il n’était pas à ses cours de conduite, au boulot ou à ses cours de japonais aux Catacombes, il customisait sa voiture. Il peignit les flammes blanches et violettes de chaque côté, et installa les néons à l’intérieur.
Puis vinrent les différentes pièces à changer ou ajouter pour améliorer ses performances.
Son grand-père l’aida un peu à mettre en place les plus compliquées d’entre elles qui nécessitaient la coordination d’au moins deux personnes.
C’était loin de se faire en une journée. Ça lui prit plusieurs mois car il devait rassembler les ossements nécessaires, même si le crédit qu’il avait emprunté comblait ses besoins principaux.
Il commença également à travailler comme mécanicien dans un garage pour pouvoir rembourser le crédit.
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[ Forumactif me déteste. Il me manquait pratiquement rien ! ]