Hélène Caron-Am I still nobody?

Attention : dépression, guerre et maladie (soft)

Toutes les vies ne sont pas intéressantes. Toutes les vies ne méritent pas d’être racontées ou souvenues. Avant même de naitre, de penser, ta vie semble déjà tracée. Cela n’a aucun sens. Hélène regardait ses mains, elle regardait ce qu’elle apprenait… Pourquoi ? Ses yeux bleus se posèrent sur les tâches ménagères. Ses yeux bleus…Il paraissait que c’était son point fort, sa beauté la plus précieuse. Elle était une femme. Elle devait donc rester là, à faire ces tâches ? Pourquoi ? Elle avait entendu que certaines filles pouvaient aller à l’école. Certes, pas aussi prestigieuse que celle des garçons, mais c’était mieux que ce qu’elle avait… Mais il fallait de l’argent et, même ça, elle en était privée. Elle se sentait vide, impuissante, sans valeur.

Elle était une coquille vide, sans volonté. Elle obéissait, sans savoir quoi, sans espoir. Chaque seconde qui passait lui semblait plus futile, plus inutile. Elle voulait apprendre, même travailler dans un champ lui semblait préférable à cette routine morne et sans saveur. Elle n’avait pas l’impression d’être quelqu’un. Elle ne sentait pas si différente qu’un meuble, un outil…Quoique… Elle avait l’impression que certains prenaient plus soin d’objets que sa personne. Sa vie serait-elle ça ? Une poussière qui sera oubliée en un clignement d’œil ?

Mais non, elle essayait de se rassurer. Elle pouvait enfanter, donner la vie… Mais pourquoi ? Pour leur donner une vie misérable ? Sans saveur ? Elle n’en voulait pas de cette vie… Et pourtant…Elle fut mariée. Elle ne l’avait pas vraiment choisi. Elle n’avait même plus la volonté de se battre. Et ce mari ? Bah. Quelle importance ? Elle l’avait à peine connu. Il ne faisait que vendre ses charmes, ses yeux bleus, ses cheveux bruns… comme on vend un tapis. Il l’écœurait. Son ton, sa tenue… Mais elle fut surprise car ce calvaire ne dura que quelques mois.

Guerre. Ce mot sonna étrangement à ses oreilles. C’était censé être une malédiction, un fléau qui allait frapper le monde, mais Hélène sourit. Elle sourit… Le karma allait être cruel ? Bien sûr, mais pas totalement. La guerre était horrible, des civils mourraient aussi, des soldats. La mort était proche, les conditions de vie de plus en plus difficile…Et pourtant, elle se sentait vivre. Elle n’avait pas d’enfants à charge, plus de mari…Elle pouvait travailler sans soucis. Elle devint ainsi une des premières factrices de Paris. Pour les normes d’aujourd’hui, cela semble si peu, mais pour elle, c’était une preuve qu’elle pouvait faire quelque chose de ses dix doigts. Elle pouvait aider, apporter son aide. Elle avait une importance, un sens.

Il y a fallu la mort de milliers, de millions de personnes pour qu’elle puisse gouter à la vie. Puis, elle pouvait décider de ce qu’elle avait envie. Car la guerre était là, mais Paris n’était pas morose. Au contraire ! En sachant où allait, on pouvait assister à des spectacles, des lieux remplis de vie, de danse, de musique et de chant. Elle arrivait même à se dire que cette guerre… Ce n’était vraiment pas si mal.

Certes, il y avait cette peur constante et impossible à oublier…les bombardements. Oh, pas pour elle. Elle ne se souciait toujours pas de sa vie mais, à force, elle avait forgé des liens et les voir mourir de la guerre, ce n’était pas plaisant… Ou de la maladie. Car la grippe espagnole avait frappé durement la ville. Elle y avait perdu une personne chère… très chère. Une autre femme, une amie, une confidente, une amante. Autant dire que ce n’était pas vraiment la chose la plus facile à prendre sur soi. Enfin, la guerre prit fin et l’armistice fut déclaré.

Mais elle se sentit vide une nouvelle fois. Elle avait été séparée de sa bien-aimée et le monde était en fête. Elle ne savait quoi penser, surtout avec le retour des hommes. Elle pensait, elle craignait que sa vie retourne à ce qu’elle avait été avant. Elle se laissa embarquer dans les années folles, se faisant embarquer dans une série d’abus toujours plus important. Elle voulait se perdre encore et encore, oubliée qui elle était, ce qu’elle faisait… Et elle se perdit. Et on la retrouva sur les berges de la Seine. Un corps sans vie. Une nuit de trop, un glissement et une mort pathétique. Ainsi s’acheva la vie d’une femme. Ni bonne, ni mauvaise. Une vie qui ne laissa aucune trace dans le monde…Car c’était la vie qu’elle était destinée à vivre.

Mais ce n’était que le commencement. Déjà, premier problème… La belle langue française ne lui servait à rien.  On lui avait expliqué des choses qu’elle avait à peine compris. Avec la guerre, elle comprenait quelques mots d’Allemand et d’Anglais, mais il ne fallait pas lui en demander plus. Puis. Le film de sa vie…Elle n’avait rien compris à cet endroit et on venait lui projeter ça en face. Oui, sa vie ne fut guère incroyable et elle crut qu’on se moquait ouvertement d’elle. Rapidement, ce fut un logement qu’il lui fut attribué.

Il lui fallut du temps pour comprendre tout ce bazar. Par chance, elle avait rencontré une femme bien particulière dans sa collocation…une femme avec des pattes d’araignées… Assez particulier, on va l’admettre. Elle expliqua cependant un peu le tout. Elle comprit, elle écouta, hocha la tête en compréhension. Elle avait droit à avoir une seconde chance, sans se soucier de sa condition. Mais plus que ça, son amie chimère lui insinuait un peu plus une haine qu’elle entretenait en son sein : l’injustice de son sexe. Elle avait du vivre constamment dans l’ombre des hommes pendant tellement de temps et cela lui était juste insupportable. Elle voulait être une vraie personne. Etre quelqu’un qui n’aurait pas besoin d’hommes pour se définir.

Ainsi, son amie chimère l’emmena un soir un peu à l’écart de tout le monde. Elle lui proposa l’injection, les risques, les conséquences possibles sur son apparence. Mais elle s’en moquait. Elle voulait changer, ne plus être ce à quoi on l’avait destiné. Elle accepta l’injection de grès. Ainsi, son adn se mélangea avec une espèce animale : la vipère à cils. Autant dire que cette variété a eu un effet assez colossal sur la jeune fantôme. Ses pupilles devinrent des fentes entourées de rouge, une queue lui poussa, des écailles apparurent sur son corps, sa peau devint bleue. Elle se sentait plus vivante que jamais…alors qu’elle n’avait jamais été aussi morte et inhumaine.

Et pourtant, ce ne fut passez pour elle. Elle chercha activement à perdre toujours plus de son identité, être méconnaissable. A cette injection, elle voulut en ajouter d’autres. Elle s’injecta aussi de l’adn de Rousette de Malaisie et de rhinocéros noirs pendant les décennies qui suivirent, la métamorphosant de plus en plus.

Et pendant ces années, elle fit autre chose…Elle apprit, elle se cultiva. Elle apprit le japonais et avait continué à développer son anglais et allemand. En 100 ans, croyez bien qu’elle a eu le temps d’apprendre. Elle voulait vivre ce qu’elle n’avait jamais pu vivre auparavant. Gouter à la vie, au savoir. Elle devint aussi une ardente recruteuse de chimère. Elle voulait apprendre des langues pour aider les femmes à s’insérer au mieux dans cet endroit. Aujourd’hui encore, elle apprend de nouvelles langues pour parfaire ses compétences. Aujourd’hui, elle est une traductrice assez prisée vu son dévouement à apprendre.