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Spoiler :
violences conjugales, camps de conversions, torture, suicide
Ci-gît la mémoire de Mary Thompson.
Si vous lisez ces lignes, arrêtez immédiatement ou faites en sorte que je ne l'apprenne jamais, car ce qui suit m’est réservé et comptez sur moi pour vous le faire regretter amèrement.
Mais quitte à outrepasser mon intimité autant vous donner un peu de contexte je suppose : ce recueil me permet de me souvenir de ma vie, l'amnésie c'est nul. Est-ce que ça vous est déjà arrivé de penser à une célébrité, d'avoir son nom sur le bout de la langue mais impossible de réussir à vous en souvenir ? Et bien moi j’ai ça avec ma propre vie.
Ce recueil recense toutes mes expériences de mon vivant et j'y ajouterai peut-être même mes péripéties dans le monde des morts. Ça n'aura pas vraiment la même utilité mais appelons ça une mesure préventive.
Je suis née le 8 juin 1930 en Californie, juste au début de la grande dépression. C'était une période sans précédent pour ma famille, nous avions toujours été plutôt aisé et ce fut la première fois depuis des générations que les choses ne furent plus aussi roses qu'elles l'étaient. Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit, nous vivions toujours plus ou moins confortablement, mon père ne s'est même pas retrouvé au chômage comme la plupart des autres hommes. Nos revenus ont juste été fortement réduits.
On ne peut pas dire que j'eus une enfance difficile, j'avais une famille aimante et deux amis, Barbara et James, et nous étions inséparables. Nous étions voisins et passions tout notre temps ensemble
ce qui était facilité par le fait que nous allions tous dans la même école. Cela m'allait très bien, j'étais encore trop jeune à l'époque pour comprendre toutes les préoccupations des adultes. La vie était simple, j'allais à l'école, je passais tout mon temps avec Barbara et le soir nous nous retrouvions avec James puis nous ne nous séparions que pour rentrer diner.
Nous étions tous élevés dans la plus pure des traditions protestantes. On nous enseignait les valeurs pieuses, les bonnes manières et la discipline. Et bien-sûr, nous allions à la messe tous les dimanches pour étudier la bible en long en large et en travers. Je trouvais toujours cela assez ennuyeux de relire les mêmes textes encore et toujours, heureusement la présence de Barbara et James rendait la tâche plus supportable.
Je pense que la première fois que je compris la teneur des attentes qu'on avait de moi en tant que femme fut le jour de mes douze ans. Lorsque pour mon anniversaire je reçus un miroir de poche. Il était magnifique, en métal travaillé, mais le message était clair : mon unique rôle était d'être belle.
A partir de ce jour on commença à restreindre davantage les activités auxquelles je pouvais me livrer. La plupart étant jugée indigne d'une jeune bourgeoise. Je trouvais cela aberrant et je me suis battue de nombreuses fois pour essayer de faire céder mes parents mais en vain. C'était comme parler à un mur. La seule personne à qui je pouvais me confier sur tout cela était Barbara. Elle aussi vivait la même chose de son côté et elle me disait que tant que nous étions là l'une pour l'autre nous pourrions tout endurer.
James était aussi présent pour nous mais il ne pouvait pas vraiment comprendre ce que nous traversions. Nous avions essayé de lui expliquer et parfois il semblait comprendre mais cela a mis une sorte de distance entre nous.
Puis est arrivée la guerre. Mon père partit et nous nous retrouvâmes seules ma mère et moi dans cette grande maison. Seules mais plus libres. Sans la présence paternelle c’est comme si nous avions un poids de moins sur les épaules. C’est durant cette période que j’ai compris que ma mère aussi subissait toutes ces attentes utopiques et que le moindre écart pourrait lui couter cher, telle une épée de Damoclès au-dessus de sa tête.
Un soir où elle avait eu la main un peu trop lourde sur le vin elle m’avoua que mon père lui avait reproché de n’avoir fait qu’un seul enfant, une fille qui plus est ! Même pas de quoi transmettre notre nom. Comme s’il méritait d’être transmis. Je m’étais toujours demandé pourquoi j’étais fille unique quand la plupart de mes amis avaient plusieurs frères et sœurs. Apparemment la grossesse avait été compliquée pour ma mère et en conséquence elle ne fut plus capable de porter la vie de nouveau. Elle ne me reparla jamais plus de cela par la suite, allant même jusqu’à me traiter de menteuse quand j’essayais de presser le sujet. Je suppose qu’elle s’en voulait déjà de s’être confiée à moi.
Puis mon père est rentré à la maison, changé. Il avait toujours été strict mais au moins était-il souriant et dans certains moments on aurait même pu dire aimant. Tout cela était fini, d’Europe était revenu un homme froid et taciturne.
Cela tombait mal car j’arrivais à la fin du secondaire et je dus recueillir tout mon courage pour oser demander à poursuivre des études, je ne savais pas encore quoi exactement mais j’avais soif d’apprendre, peut-être même de voyager. Mais j’eus juste l’impression de faire face au même mur que j’avais rencontré à 12 ans.
Sans plus d’explications, ma voie était déjà choisie : je devais me trouver un mari et fonder une famille. Je n’avais pas d’autre issue.
C’est à ce moment-là que James m’avoua ses sentiments. Je ne sus pas réagir. Je n’avais jamais ressenti la même chose pour lui, je m’étais même fait la réflexion que je n’étais jamais tombée amoureuse d’aucun autre garçon non plus. J’ai longtemps hésité avant de me décider mais je me suis dit que quitte à choisir un mari, autant que ce soit lui : je le connaissais, il m’aimait, ce n’était pas mon cas mais peut être qu’avec du temps et suffisamment d’efforts cela finirait par arriver.
Alors nous nous sommes mariés. Barbara ne vint pas. Quand elle apprit la nouvelle, elle s’éloigna de moi. J’étais dévastée, elle qui avait été mon roc pendant toutes ces années, ma confidente, elle m’avait abandonnée. Je ne comprenais pas comment elle pouvait me faire ça. Les autres me disaient que la seule explication plausible était qu’elle fut jalouse que James ait jeté son dévolu sur moi. Mais je ne comprenais pas. Nous avions toujours pu tout nous dire et pourtant cette fois-ci, elle était partie sans un mot.
Je repensais à sa promesse et je me souviens avoir pensé qu’à partir de ce moment, ce serait peut-être James qui m’aiderait à tout endurer : je me trompais.
Nous avons donc emménagé ensemble lui et moi. Je m’étais dit que ce serait un nouveau départ, l’occasion de créer un foyer plus chaleureux, plus aimant que celui que j’avais connu. Ce fut le cas au début, James commença un travail dans l’entreprise de son père et moi je me retrouvai femme au foyer. Je m’occupais de la maison, m’assurais que les repas furent prêts quand James rentrait le soir. Et bien évidemment, un jour, je me devrais de porter ses enfants.
Mais ce ne fut jamais le cas. Au début ma mère essaya de me rassurer, me disant que cela viendrait. Nous allâmes voir des médecins mais ils n’avaient aucune explication à nous donner, tout semblait normal. Puis les reproches commencèrent à arriver, je faisais honte à la famille. Même le regard de James changea, il ne le disait pas mais je sentais qu’il regrettait son choix, que s’il avait su il ne m’aurait jamais épousée.
Comme un phare au milieu du brouillard, je recroisai Barbara un matin. J’étais partie faire les courses comme d’habitude car, faute d’avoir des enfants dont m’occuper, il fallait bien s’occuper de la maison. Elle était partie à Berkeley pour faire des études de droits et elle venait d’obtenir son diplôme alors elle rentrait au bercail pour exercer.
Je dois avouer que j’étais jalouse. Elle avait fait exactement ce dont je rêvais : partir, faire des études, être indépendante. Et moi qu’est-ce que j’avais ? Un mari qui n’osait même plus me regarder dans les yeux, des parents déçus et une maison aussi vide que triste.
A ma grande surprise Barbara ne fut pas froide à mon égard, c’était même la première personne à me parler avec respect depuis longtemps. Alors je l’invitai à diner avec nous le soir même et deuxième surprise, elle accepta sans hésiter, mentionnant que cela nous rappellerait le bon vieux temps.
Au début James avait l’air content de la voir. Nous discutâmes toute la soirée, nous racontions de vieilles histoires. Puis au fur et à mesure que James buvait son comportement changea à l’égard de Barbara, il devint plus doux, exactement comme il se comportait avec moi avant que l’on se marie.
Je pouvais voir que cela mettait Barbara mal à l’aise. Elle avait d’ailleurs trouvé une raison de rentrer chez elle peu de temps après. Ce soir-là fut le premier où James leva la main sur moi. Tout en martelant que tout était de ma faute, si j’avais pu porter ses enfants nous n’en serions pas là. Et qu’en plus de ça, il avait fallu que je ramène Barbara pour le narguer.
Il savait exactement où frapper pour que ça fasse mal, tout autant physiquement que mentalement. Il ne touchait jamais à mon visage car cela se serait vu. Non, les bleus étaient toujours cachés sous les vêtements. Après tout, il ne fallait pas briser le peu d’image qu’il nous restait.
James était de plus en plus absent, il avait toujours un voyage d’affaire ou autre et tant que ça lui permettait d’être loin de moi ça m’allait. Chaque soir, j’étais terrifiée à l’idée qu’il rentre du travail énervé et que je serve de défouloir. Toute mon énergie était dépensée pour que tout soit parfait à la maison et qu'il me fasse le moins de reproches possibles. J’étais prisonnière de mon propre foyer et je ne voyais aucune échappatoire.
Barbare était la seule raison pour laquelle je tenais. Nous étions restées en contact à la suite de nos retrouvailles, nous nous voyions en ville ou chez moi quand James n’était pas là. Lui et moi n’avions pas reparlé d’elle depuis le fameux repas et je redoutais ce qu’il dirait s’il apprenait que nous nous fréquentions. Surtout en connaissant les rumeurs à son sujet. Elle était mal vue. Après tout, elle avait rejeté les traditions et était partie étudier, elle vivait seule et n’avais pas de mari. C’était inhabituel à l’époque. Une fois, je lui avais demandé pourquoi elle n’en cherchait pas un maintenant qu’elle était revenue mais elle ne m’avait donné qu’une réponse vague « Ce genre de choses ne m’intéressent pas ».
Je n’avais jamais osé lui dire à quel point son départ m’avait fait du mal. Je lui en voulais, mais elle m’était revenue et je ne voulais pas risquer de la perdre à nouveau. Puis le courage m’est enfin venu, c’était un soir d’octobre, il faisait bon, je l’avais invitée à la maison comme souvent et nous étions sur la terrasse devant le coucher de soleil. J’avais bu un peu plus que d’habitude pour m’aider à me lancer. Voici la discussion exacte, s’il y a un moment dont je veux me rappeler, c’est celui-ci :
« P-Pourquoi es-tu partie à l’époque ? »
Elle m’a regardé avec étonnement mais je ne l’ai pas laissée réagir.
« Tout le monde disait que tu étais jalouse de moi. J’aurais pu comprendre que tu aies besoin de temps mais pourquoi est-ce que tu m’as complétement abandonnée ? »
Son regard est passé de la surprise à la tristesse, elle a posé son verre sur la table et m’a attrapé la main, la serrant fort entre les siennes. J’ai hésité à la retirer. Ce n’était pas son genre de se montrer aussi tactile, j’ai toujours cru qu’elle n’aimait pas le contact physique.
Quand son regard a de nouveau croisé le mien, il était empli de tendresse. Elle a inspiré un grand coup et a commencé à parler comme si chaque mot était un effort insurmontable.
« Oh, Mary… »
Mon nom ne m’avait jamais paru aussi lourds de sens, comme s’il avait une autre signification quand il sortait de sa bouche.
« Je- je n’étais pas jalouse de toi. »
J’étais dans l’incompréhension la plus totale. Mais elle a vite enchaîné.
« C’était de lui dont j’étais jalouse. Je ne pouvais pas supporter de te voir avec lui, alors je me suis enfuie. »
Je ne comprenais pas, mon cerveau n’arrivait pas à assembler ce qu’il recevait. Pourquoi aurait-elle été jalouse de m- Puis tout fit sens, je vis une larme couler sur sa joue. J’avais l’impression que ma cage thoracique allait exploser. Je n’imaginais même pas le courage que ça avait dû lui demander de me révéler ça.
Alors j’ai pris mon courage à deux mains moi aussi et je l’ai embrassée. Je n’avais jamais rien ressenti de comparable auparavant, mon corps tout entier s’embrasait. Cette nuit-là je découvrais pour la première fois ce à quoi l’amour, le vrai, devait ressembler.
Le lendemain matin je me suis réveillée à ses côtés, ayant pour la première fois de ma vie l’impression d’être à enfin à ma place. Je l’ai regardée dormir paisiblement. Quand elle a fini par se réveiller elle m’a demandé de s’enfuir avec elle.
Malheureusement, je n’ai jamais eu l’occasion de lui répondre. Nous ne l’avions pas entendu mais James était rentré, il était censé arriver trois jours plus tard. Mais il était là et nous a vu, dans le lit conjugal. J’ai compris à ce moment-là que ma vie allait basculer.
Il a demandé le divorce immédiatement, il avait enfin une raison valable de le faire et garder son image intacte. Quant à moi, mes parents ont décidé que j’avais besoin d’être remise dans le droit chemin, alors j’ai été envoyée dans un institut privé. Spécialisé dans la « guérison » de ma « condition ». En tout cas c’est comme ça qu’ils le décrivaient. J’ai enchaîné les rendez-vous avec les psychiatres en tout genre mais une seule chose m’importait : qu’était-il arrivé à Barbara ? Personne ne voulait me répondre.
Quand il devint évident qu’ils n’arriveraient à rien avec moi, ils décidèrent d’utiliser une méthode plus expéditive. Le miracle de la médecine dans ces années-là : les électrochocs. Encore aujourd’hui je continue d’en faire des cauchemars. Ma mémoire n’est peut-être plus ce qu’elle était mais la seule chose que j’aimerais oublier est celle qui fut gravée au fer rouge dans mon esprit.
Je n’ai plus jamais été la même après ça. Ma mémoire me fait défaut, surtout celle à long terme, c’est d’ailleurs pour ça que ces lignes existent.
Ils ont continué sans relâche jusqu’à me briser. Je ne pouvais plus tenir. Alors j’ai dit ce qu’ils attendaient de moi, n’importe quoi, j’ai arrêté de poser des questions sur Barbara, tant que cela m’évitait d’avoir à subir ça de nouveau. Puis ma mère est venue me rendre visite, elle m’a dit qu’elle était si fière de moi, que j’étais enfin guérie, que j’allais pouvoir retrouver une vie normale.
Pas avec James évidemment, mais elle disait qu’elle me trouverait un nouveau mari. Je m’en fichais. Je ne voulais juste pas retourner dans cette pièce horrible, tout sauf ça. Pour essayer de me réconforter, elle m’avait même ramené un cadeau : le miroir de mes douze ans. Je ne sais pas pourquoi elle s’est dit que ce serait une bonne idée et je n’eus pas la force de lui demander. Quand je me suis regardée à l’intérieur tout ce que je voyais était une femme brisée.
Ils m’ont laissé sortir le quatre juillet, pour la fête nationale. Je suis rentrée à la maison, nous avons mangé tous les trois. Puis une fois mon père parti retrouver des amis j’ai osé poser la question qui me brulait les lèvres depuis tant de temps.
« Qu’est-il-arrivé à Barbara ? »
Ma mère a hésité à répondre mais elle a vu mon regard et je suppose qu’elle a eu pitié.
« Elle a été envoyée dans un institut comme toi, mais son mal était bien plus grand. En même temps ce n’est pas étonnant puisqu’elle a même réussi à te pervertir toi ! De ce que j’ai entendu, leurs méthodes n’ont pas été aussi efficaces, elle est morte pendant les traitements. »
J’étais sans voix. Je ne pouvais pas montrer à quel point ça m’affectait, je ne pouvais pas leur donner une raison de me renvoyer là-bas. Mais il fallait que je réponde quelque chose.
J’ai essayé de rester le plus impassible possible. J’avais l’habitude de faire semblant, j’ai passé des années à le faire avec James. Cependant, je n’y arrivais plus. Je suis convaincue qu’une partie de moi n’a jamais quitté cet endroit maudit. Alors j’éclatai en sanglots en prononçant des mots qui me rendaient malades. Mais si j'avais réagi d'une autre manière je serais retournée dans cet endroit. C'était au-dessus de mes forces.
« J- je, »
Il fallait que j’arrive au moins à sortir une phrase complète.
« E-excuse-moi, je suis juste si triste. J’aurais tant aimé qu’elle puisse être guérie comme moi. Qu’elle ait droit à la même chance que moi. Pardonne-moi, je vais aller m’allonger un peu. Je suis fatiguée. »
J'avais l'impression de la trahir. Il fallait que je puisse la pleurer en paix. Mais j’eus à peine le temps de m’allonger que ma mère est revenue dans la chambre pour prononcer des mots qui me glacèrent le sang.
« Je vois bien que nous avons pris la bonne décision en t’envoyant là-bas. Tu es enfin guérie. Mais tu tiens encore trop à cette fille. Elle a ruiné ta vie. Je sais que ce n’étais pas ta faute, tu as toujours été trop influençable. Demain je rappellerai les docteurs, ils pourront peut-être t’aider pour ça aussi. Repose-toi bien. »
Je l’ai laissée partir et je suis restée immobile pendant plus de cinq minutes. Pétrifiée à l’idée de remettre un pied là-bas, je me suis enfuie par la fenêtre et je suis partie sur la colline où nous jouions avec Barbara quand nous étions enfants. J’avais besoin de me sentir proche d’elle. Il n’y a qu’elle qui aie réussi à me faire me sentir vivante.
Il faisait beau ce soir-là, et là-bas, sur notre colline, j'ai pris une décision. Je ne pouvais pas retourner à l’institut. Mais je ne pouvais pas non plus recommencer une vie normale comme si de rien n’était, c’était au-dessus de mes forces. Alors il ne me restait qu’une issue.
Tout le monde m’avait abandonné et Barbara n’était plus là, la vie n’avait plus aucun sens sans elle. Je n'arrivais même plus à me rappeler parfaitement d'elle. Parfois il m'était impossible de me souvenir de son visage. Ce dont j'étais sûre, c'était que son absence avait créé un vide impossible à combler.
La seule chose que j’avais sur moi était mon miroir de poche, je me suis dit que c’était une bonne ironie. Alors j’ai fracassé le verre sur le sol, attrapé le plus gros morceau et l’ai utilisé pour m’ouvrir les veines. Et j’ai attendu que mon esprit dérive en regardant le soleil se coucher pour la dernière fois. Ma dernière pensée fut que c’était une belle soirée pour mourir.
Quelle ne fut pas ma surprise lorsque je me suis réveillée dans une salle d’attente, mon miroir brisé dans la main. Les explications du roi des Lémures m’ont surprise, je n’avais jamais vraiment cru à ce que racontait la Bible mais je n’aurais jamais imaginé ça non plus. Regarder ma mort fut plus simple que je l’aurais pensé, après tout c’était une forme de libération.
Alors j’ai été placée dans un appartement de l’Agence. J’ai hésité à rentrer en Californie des morts mais rien ne m’attendait là-bas, alors j’ai rejoint les Catacombes pour apprendre le japonais. C’était bien d’avoir enfin un peu d’indépendance. Je pouvais finalement décider moi-même comment vivre. Enfin vivre c’est un bien grand mot au vu de notre situation… Bref, il a fallu se trouver un métier et je suis tombée amoureuse de la mécanique. Trouver d’où vient le problème dans un moteur, c’est comme un puzzle géant pour moi. A l’époque je n’y connaissais rien. Heureusement Yui m’a prise sous son aile, littéralement. C’était une chimère et elle m’a appris tout ce que je sais sur la mécanique. Nous avons tissé un lien commun dans notre haine du genre masculin.
A quoi sont-ils bon si ce n’est ruiner la vie des femmes ? Cite-moi un homme qui n’ait jamais eu un impact positif dans ma vie ? Je les détestais tout. C’est donc Yui qui m’a fait mon injection et m’a permis de devenir une chimère à mon tour. Ça nous a encore plus rapproché et je ne l’ai jamais regretté un instant.
J’ai eu des gênes de chauves-souris, ce qui m’as permis d’hériter de leur ouïe hors du commun. Mes cordes vocales se sont aussi modifiées, me permettant d’émettre des sons inaudibles pour le communs des mortels mais qui ont l’avantage de me permettre de m’écholocaliser. Très pratique pour aller pisser la nuit sans allumer la lumière.
Mais pour ce qui est des changements les plus visibles - si on omet mes superbes cheveux bleus évidemment – furent mes dents, Si je souriais grand on pourrait voir qu’elles sont toutes pointues. Mais les incisives hautes encore plus. Alors c’est très joli je vous l’accorde mais au moindre faux mouvement je m’ouvre facilement les muqueuses buccales. J’ai fini par m’habituer mais au début j’avais des aphtes en permanence. L’autre que je cache par contre sont des griffes ainsi qu’une paire d’aile. Ce qui est plutôt pratique… sauf quand on essaie de faire de la mécanique. Essayez d’atteindre quoi que ce soit avec une membrane qui se bloque dans chaque recoin. Donc j’utilise une potion pour me permettre de travailler sereinement, ce qui a pour effet secondaire de rendre mes yeux violets. J’ai bien retrouvé Barbara ici, mais les séquelles sur son esprit étaient trop importantes. Sa mort n’a pas été douce comme la mienne et elle ne m’a même pas reconnue quand je suis allée la voir. Je doute qu’elle s’en remette un jour. La nouvelle a failli me détruire. J’ai eu une seconde chance ici, une opportunité de tout recommencer. D’enfin pouvoir être qui je suis sans me cacher. Elle, elle n’aura jamais cette chance. Heureusement encore une fois Yui était là pour moi, là pour me réconforter quand je n’avais même pas la force de sortir de mon lit, là pour me motiver à continuer d’avancer.
Dans cette optique, m’a également appris à me battre. Je ne dirais pas que je suis une combattante hors-pair mais je sais me défendre convenablement. Je voulais juste m’assurer que je ne me laisserai plus jamais emmener de force par qui que ce soit.
J’ai donc commencé en tant que mécano dans le garage de Yui, puis, quand elle est tombée en poussière dans les années 90, j’en ai hérité. Depuis je vis ma vie relativement tranquillement, je répare des voitures, des motos, tout ce qui possède un moteur basiquement. C’est un travail honnête et gratifiant.
Je fais toujours des cauchemars régulièrement, et j’ai donc dû insonoriser ma chambre. La dernière chose que je veux c’est me réveiller en criant et me faire entendre de mes voisins. Je ne suis pas assez puissante pour les rendre fous mais évitons les problèmes.
Avec le temps ma haine des hommes s’est atténuée. Je ne dirais pas que je les apprécie loin de là mais je serais capable de ne pas être trop désagréable si un client venait à être un homme. Après je ne promets rien, il ne faut pas pousser non plus.
Bref, j’espère que ça suffira, n’hésite pas à revenir ici quand tu en as besoin, que ce soit parce que tu as oublié quelque-chose d’important, ou bien que Barbara te manque.