Sur le champ de bataille, où résonnaient les fanfares,
Chevaliers et archers se livraient à une lutte barbare.
Les lances scintillaient, les arcs se tendaient,
Dans ce ballet de mort où les destins se suspendaient.
Les chevaliers, fiers et vaillants, chargeaient avec fureur,
Leurs armures étincelantes, symboles de grandeur.
Les sabots des destriers martelaient le sol,
Comme le cœur des hommes, battant dans le désordre.
Les archers, habiles et rusés, tiraient avec précision,
Leurs flèches sifflantes, messagères de perdition.
Les cordes des arcs chantaient, dans l'air vif et pur,
Semant la terreur, comme des ailes d'azur.
Sur ce champ de bataille, où le sang se mêlait à la terre,
Les destins se croisaient, dans une danse éphémère.
Les lames et les flèches, telles des étoiles filantes,
Traçaient des trajectoires funestes, sous le ciel brûlant.
Dans cette chorégraphie macabre, où se jouait leur destin.
Sur ce champ de bataille, où la mort et la gloire se mêlaient,
Chaque coup porté, chaque flèche décochée,
Rappelait aux hommes leur fragilité, dans cette épopée.
Dans cette scène peinte, où les forces françaises, sous le commandement de Philippe VI de Valois, affrontaient l'armée anglaise dirigée par le roi Édouard III d'Angleterre, une énième âme s’apprêtait à rendre son ultime souffle, entourée de cadavre.
« Bouge. Relève-toi. »
Son esprit avait grande peine à s’orienter, nageant en pleine confusion depuis ce qu’il lui semblait une éternité. Les bruits par milliers qui l’entouraient étaient devenus un brouhaha de son incompréhensible et sa vision de plus en plus flou.
« Debout. »
Mais aucun mouvement ne s’était fait, son corps ne réagissait point.
« Relève-toi. »
Sa vie continuait de se déverser abondamment de la plaie béante à son cou, bien plus que des autres blessures. Il avait mal, terriblement mal, une douleur s’estompant au profil de l’épuisement.
« Ne t’endors pas, relève-toi. »
Les milliards de couleurs différentes, dansant sans aucune forme ni logique s’obscurcissaient et le silence trônait depuis il ne savait quand. Le froid le gagnait, malgré le liquide chaud contre sa peau continuant sa course sur le sol tel un ruisseau doux et incessant. Il sentait que c’était la fin, il savait que c’était la fin.
« Pardonnez-moi, »
Dans les derniers instants de sa vie, avant que son âme ne quitte sa prison d’argile suite au dernier battement de son cœur, ce qui défila devant ses yeux ne fut pas l’intégralité de son existence, mais un souvenir d’enfance cher à son cœur.
« Mon père »
L’astre solaire s’alanguissait et paressait sur le voile d’azur fourni de quelques strates blanches, ses doux rayons lumineux faisaient verdoyer, resplendir, le feuillage d’un immense arbre. La douce brise subtile en ce jour ensoleillé caressait délicatement les branches du vieil arbre, faisant doucement onduler les ombres percés de lumière de ces dernières.
Au pied de l’arbre, adossé à son écorce, un petit corps recroquevillé peinait à essuyer ses larmes coulant à flot et à réprimer ses hoquètements. Des pleurs que l'enfant ne parvenait pas à retenir malgré toute sa bonne volonté tant la douleur était vive.
L'enfant, accablé de chagrin, ne remarqua pas l'approche d'un homme jusqu'à ce qu'il soit à sa hauteur, genoux à terre et les mains reposant dessus.
-Quel est la raison de ces larmes, mon enfant ?La voix exprimait une douceur et une affection profondes, familière à l’enfant qui releva sa petite tête rousse, le visage toujours baigné de larme et rouge. Les gouttes salées doublèrent et ses traits se tordirent davantage reconnaissant l’homme.
-Mon père. Gémit-il d’une voix tordue de peine.
« Je vous ai toujours vue avec le sourire, mon père. »
-Les enfants t'ont-ils encore ennuyé ? Ou était-ce encore sœur Thérèse ?La mine chagrinée, les larmes incessantes, le petit garçon serra ses genoux contre lui, détournant la tête en silence. L’une des mains chaudes d'affection du prêtre vint se perdre dans la petite chevelure écarlate en douces caresses paternelle tandis que l’autre fouilla une poche.
-Clément, peux-tu s'il te plaît lever la tête quelques instants ?L’enfant obéit, d'un geste tendre le prêtre essuya les larmes avec un mouchoir blanc, sans que ni sa patience et ni son sourire ne fane face aux larmes persistantes.
-As-tu fait une chose répréhensible que tu n’oses me dire ?
-Non, père Uriel.
-As-tu mal quelque part ?L’enfant serra davantage ses jambes entre ses bras, sans répondre, laissant l’adulte poursuivre sa tâche.
-Les autres enfants t’ont encore comparé à l’apôtre Judas Iscariote et sœur Thérèse les a laissé faire. L’expression de l’enfant confirma les paroles du prêtre qui lisait en lui comme dans un livre ouvert, l’homme poursuivit.
Mon enfant, Judas avait effectivement une chevelure similaire à la tienne, mais tu es Clément et non Judas. En dehors de ta rousseur, tu es et tu restes un enfant comme les autres.« Vous ne perdiez jamais patience à mon égard, mon père. Qu’importe combien de fois vous deviez me répéter ces paroles, me consoler pour les mêmes motifs, vous le faisiez sans perdre votre sourire et votre calme. »
-Mon père, si je suis comme n’importe quel enfant, malgré ma rousseur. Commença l’enfant d’une voix nouée de peine, faisant suspendre tout geste au prêtre.
Pourquoi suis-je rejeté et maltraité par tout le monde ? Pourquoi suis-je victime d'insultes et de mépris ? Les adultes me discriminent, les enfants me persécutent. Je n'ai pas choisi d'être différent. Je n'ai pas demandé à naître ainsi. Qu'ai-je fait de mal pour mériter ça, mon père ? Pourquoi Dieu me soumet-il à cela ? Vous m’avez appelé « Clément » pour que la vie soit clémente à mon égard, tout comme je dois l'être envers mon prochain, mais ce n'est pas le cas.L'enfant se remit à pleurer et essuya ses larmes de ses manches déjà trempées. Une paire de bras le souleva haut dans les airs, lui donnant l'impression que le monde était plus grand, plus vaste, et que les branches étaient plus proches. La lumière du soleil qui traversait le feuillage dense se refléta dans ses yeux verts, le remplissant d'émerveillement et lui faisant momentanément oublier sa tristesse.
« Moi dont personne ne voulait. »
« L’enfant inutile et insignifiant que j’étais, vous aviez bien voulu de lui. »
« Vous m’aviez accepté dans mon intégralité. »
-Désormais, tu dois prendre de la hauteur pour respirer, Clément. Dit l’homme de foi d’un sourire tendre et rassurant poursuivant de son calme caractériel.
« Si, au contraire, vous vous conformez à la loi du royaume de Dieu, telle qu’on la trouve dans l’Ecriture : Tu aimeras ton prochain comme toi-même, alors vous agissez bien. Mais si vous faites preuve de favoritisme, vous commettez un péché et vous voilà condamnés par la Loi, parce que vous lui désobéissez. » Jacques 2:8-9. « En effet, voici le message que vous avez entendu dès le commencement : aimons-nous les uns les autres. » 1 Jean 3:11. Tu n’as donc rien fait de mal, Clément. Ce sont les autres qui sont dans l’erreur. Les hommes rejettent par peur et incompréhension tout ce qui est différent d’eux, que Dieu et toi puissiez leur pardonner un jour pour leur péché à ton égard. Termine-t-il d’une voix désolée accompagnée d’un sourire sincèrement contrit.
Il vint caler l’enfant contre lui, un bras le soutenant comme assise et l’autre contre son dos pour l’éviter de tomber. Sa voix grave retrouva sa douceur habituelle.
-Dieu, ne nous inflige que des épreuves qu’il est possible de surmonter. Ce n’est qu’en surmontant leurs souffrances que les hommes trouvent le vrai bonheur, et ça, personne ne peut le faire à leur place. Mais cela ne veut pas dire qu’ils doivent le faire seuls. Ce n’est pas interdit ou un péché de quémander de l’aide à autrui, ni à Dieu, pour y parvenir. De sa manche, il vint essuyer les dernières larmes suspendues aux coins des yeux émeraude sans détourner son regard de celui de l’enfant.
Et moi, je ne peux point t’aider si tu ne me confis pas tes peines, Clément. Tu veux bien me dire ce qui te chagrine encore. « Votre considération et votre gentillesse, envers moi, le temps que vous m’accordiez. Me rappellent qu’il y a eu quelqu’un qui m’a aimé et a pris soin de moi. »
La peine s’aggrava sur le visage juvénile, il fixa le sol, ses petites mains accrochées au vêtement religieux de l’homme le tenant toujours.
-Aujourd’hui, les autres enfants de l’église ont encore été méchants avec moi. Ils m'ont appelé Judas, enfant de sorcière, hérésie et mauvais présage, alors que je voulais juste jouer avec eux. Sœur Thérèse ne m'a pas défendu, ni les autres sœurs. Elle a même dit : « Une chose aussi laide et impure que toi doit rester loin des enfants. » Ensuite, elle a dit que vous allez vous débarrasser de moi car je ne fais que causer des ennuis et dérange les autres enfants de l’église. Ses yeux se remplirent de nouveau de larmes et ses mains se resserrèrent sur le tissu, sa voix se noua à mesure qu’il confessait sa peine.
Elle a dit que les incidents se multiplient depuis mon arrivée, que je porte malchance, que vous vous occupez de moi par foi et non par envie, que je suis un poids et nuisible. Je ne peux m'empêcher de penser que tout ce qu'elle dit est vrai, puisque personne n’est heureux depuis que vous m’avez recueilli, mon père. L’enfant releva la tête, son visage baigné de larme, le nœud de chagrin demeurant présent dans sa voix. Ses petites mains froissent davantage le tissu sombre.
Je fais tout mon possible pourtant, je vous le jure mon père que je fais de mon mieux pour m’intégrer et pour ne pas nuire à quiconque, mais je n’y arrive pas. Peu importe ce que je fais, je fais toujours les choses mal. Même lorsque je veux faire les choses bien, le résultat est encore pire. Je n’arrive à rien, j’en suis désolé mon père.La large main quitta le dos pour venir essuyer une nouvelle fois les larmes, puis elle vint englober chaleureusement la petite tête rousse pour l’amener contre une épaule large. Le petit corps s’écrasa davantage contre cette chaleur rassurante que ses petites mains accrochées au vêtement refusaient de lâcher, y trouvant du réconfort en plus des paroles.
-Merci de faire de ton mieux, merci de t’accrocher, et merci de continuer à faire de ton mieux malgré les échecs. Moi, j’ai foi en toi, je sais que tu parviendras à te faire accepter des autres. Tu es un enfant intelligent et persévérant, tu y arriveras. La voix demeurait douce et patiente tout comme le sourire inépuisable d’indulgence. Il se mit à tapoter délicatement le petit dos.
Tu apprends très vite, tu connais sur le bout des doigts l’alphabet latin, tu parviens à écrire et lire beaucoup de mots, tu sais correctement compter, et tu connais beaucoup de versets de la Bible.« Vous m’avez toujours encouragé et soutenu. Si vous n’aviez pas été là, mon père, que serais-je devenu ? Aurais-je mal tourné ? Nullement. Peut-être, aurais-je été mort depuis longtemps.»
L’homme de foi remplaça les petits tapotements par des caresses.
-Clément. N’oublie jamais, je t’ai amené à mon église de mon bon vouloir. Quel serait l’intérêt de t’abandonner ? Il n’y a nul besoin d’avoir de motifs pour venir en aide à son prochain, et encore moins à un enfant injustement stigmatisé.« Vous aviez tout à y perdre mon père en m’élevant, mais vous n’y prêtiez pas attention.»
« La balance profits-pertes, vous ne vous en souciez point. »
-Moi, j’aime la couleur de tes cheveux. Le rouge, malgré son association à l’innommable, est ma couleur préférée, car elle est également associée à la vie et à l'amour. C'est la couleur du sang qui circule dans nos veines et nous maintient en vie, mais aussi la couleur des pommes, des fraises, des baies rouges, des cerises, des roses rouges, des coquelicots, des bouvreuils, des renards, et bien d'autres choses encore. Aucune de ces choses n'est mauvaise ou nuisible, alors pourquoi le serais-tu ? Ces choses citées donnent le sourire et réconfortent, il en va de même pour ta personne. Moi, je suis remplie de bonheur quand je te vois.L’enfant enroula ses bras autour du cou de l’adulte, enfouissant sa tête. Il ferma les yeux, se laissant bercer par le geste affectueux et par les paroles réconfortantes.
« Je vous admirais, mon père. Je désirais être comme vous plus grand. J'aurais aimé être prêtre comme vous, mais cela aurait juste provoqué plus de problèmes à votre église et à votre personne.»
« Vos semblables auraient désapprouvé la chose également, car à leurs yeux j’étais une hérésie. Être chevalier était ce qui se rapprochait le plus de prêtre à mes yeux d’enfant, aider son prochain et prouver ma valeur. »
-Sache aussi qu'aucune naissance n'est une erreur en ce monde, car Dieu est Parfait contrairement à sa création. Si malgré tout, tu ne crois pas en mes paroles, et persistes à penser que tu es un enfant méchant, n'oublie jamais que le diable fut un ange au commencement et qu'il n'est jamais trop tard pour se repentir. « Si nous reconnaissons nos péchés, Dieu est fidèle et juste et, par conséquent, il nous pardonnera nos péchés et nous purifiera de tout le mal que nous avons commis. » 1 Jean 1:9.L'enfant s'endormit doucement sans relâcher sa prise, et il n'entendit plus qu'un lointain fredonnement religieux apaisant.
« Je voulais devenir quelqu’un dont vous seriez fière. »
« Prouver que j’en valais la peine. »
« Je suis désolé mon père »
« Je n’ai pas réussi à trouver ma place, ni à me faire accepter »
« J’aurais aimé être suffisamment bien pour une fois »
« J’aurais souhaité pouvoir vous rendre un tant soit peu votre grâce »
« C’est frustrant et douloureux »
« Père Uriel, vous aviez vraiment été un père pour moi »
« Ça m’a rendu heureux. »
« J’ai vraiment eu de la chance de vous avoir Père Uriel. »
« Merci mille fois mon père pour tout.»
« Merci. »
Le crépuscule, toile enflammée par l’astre couchant, enveloppait toutes choses sous elle dans un linceul pourpre, sans honneur ni or. Les corps inanimés des chevaliers, le sang versé, les couleurs verdoyantes et chatoyantes, les armes abandonnées faisant miroiter des reflets écarlates.
Tout était baigné d’un rouge criant et brûlant, mais tout était déjà noir et froid.
Tableau écarlate où le jour s’enfuyait, laissant sa couleur rougeâtre se refléter et remplir les regards vitreux.