Feed the beast

L'expression « se jeter dans la gueule du loup » n'a jamais été aussi avérée. À l'origine, c'était déjà une mauvaise idée que d'être Phineas et échanger avec une chimère. Toutefois, être Phineas et rencontrer en personne une chimère est une idée encore plus folle.

Loin d'être inconscient, il ne s'est pas encore retiré de sa cachette alors qu'elle l'attend au point donné. Avant de s'en mordre les doigts, ce sont ses dents qui broient sa lèvre inférieure. La réalisation le rend craintif. C'est qu'on le croit si audace, quand on se met à lui parler. Sa langue est bien pendue ou il est trop culotté, qu'on lui dit. Ouais, en effet, il a quand même été assez culotté pour demander un entretien avec une chimère. Et actuellement, lui-même se demande s'il est assez culotté pour, tout compte fait, lui poser un lapin ?

Sa hantise se construit sur des expériences passées avec des chimères, récalcitrantes à son approche mais sans que quelconque raison explicite ne lui soit communiqué. Alors il s'est toujours convaincu que toutes sont simplement apeurées les hommes et pas lui spécifiquement. Lui qui ne souhaite que les défendre, après tout !
S'il a peur, c'est parce qu'il craint seulement d'intimider en tant qu'homme. Voilà c'est ça la raison, et non pas parce que les questions qu'il voudrait poser à cette inconnue sont intrusives et qu'on pourrait le rejeter.

Sur cette réflexion, le poltergeist retrousse les manches du T-shirt qu'il n'a donc pas et vient à la rencontre de la dénommée Kamara. Du moins, c'est ainsi qu'il l'a connue par le biais des forums anti-nécromancien·ne·s. Il essaye d'avancer avec une assurance qu'il a laissé sur Internet, les mains dans les poches de son short. Il en sort une pour la tendre vers elle puis se ravise. Oui, encore une fois, les chimères sont méfiantes.

« C'est toi Kamara ? J'suis NPC. Enchanté d'enfin te rencontrer. »

Le sourire béat lui pend aux lèvres. Parler avec une chimère et rester avec elle plus de cinq secondes, c'est un truc de dingue quand même ! Vivement, il camoufle l'air idiot qu'il peut avoir sur le visage en exécutant une courbette à la japonaise, remplaçante de la poignée qu'il prévoyait initialement.

Son enthousiasme le presse à poser deux questions en même temps mais il lui demande déjà comment elle va, comme si les deux personnes étaient ami·e·s mais Phineas court vite sur de fausses déductions : les ami·e·s de NPC ne sont pas les sien·ne·s.

Le dernier pas avant n'est pas posé. À l'image d'une balance, le corps bascule de l'autre côté, effectue un pas en arrière, mesurant qu'on devrait plus peser de précaution que d'hâte. Aux crocs retroussées, ses incisives se plantent dans sa lèvre inférieure, essuyant la réalité des propos.

Exact, il a complètement menti sur son identité et même avant de rencontrer réellement Kamara, l'idée d'enfiler une bague chimérique lui a plus que traverser l'esprit, c'était une évidence ! Jusqu'à ce que l'adolescent se dise que son but n'est pas de tromper une chimère. Ça fait mal, d'entendre de sa part qu'il pourrait se jouer d'elle. C'est toujours très mal tourné avec lui mais c'était pas l'intention.

« J'comprends. Non vraiment. J'comprends ta colère.. Je le serai aussi contre moi-même. »

Mais c'est déjà le cas, il est agacé de lui-même, ou plutôt davantage déçu. Ainsi, il éprouve assez de honte pour ne pas plus blesser l'ego et jouer la carte complète de la modestie. Non, il ne lui dira pas qu'il ne comprend pas sa décision qui avait du sens en premier lieu mais plus aucun en face d'elle. Enfin elle ne comprendrait de toute manière pas puisqu'elle réfute avant même qu'il ne le donne quand même, son argument.

« Si tu savais dès le départ que j'étais un mec, tu m'aurais pas parlé, j'ai tort ? Mais c'est clair, j'aurais jamais dû continuer à te faire croire être une des vôtres. »

Dans son mea culpa, se glisse tout de même en premier une fatalité froussarde, un poil accusatrice. La faute n'est jamais que sienne puisque procéder de cette manière n'a aucun sens mais c'est un garçon empli de bon sens. Il a des valeurs louables.
Phineas déglutit, ne s'avance plus vers Kamara mais adopte une posture plus défensive, les bras barrant sa poitrine, rendant les prochaines paroles plus timides. Le poltergeist reste convaincu de ce qu'il avance mais jamais de la manière dont il les délivre.

« La raison c'est que j'ai besoin des conseils d'une chimère pour mieux... les comprendre. Pour mieux conseiller... »

Ses pouces appuient trop forts sur la fin de ses avants-bras. Ça lui suffira pas d'entendre ça. Ça va la faire hurler. Elle va hurler. Il hurle intérieurement.

Sa posture s'affole, il la change brutalement alors qu'il pourrait davantage l'hérisser avec ce comportement-là. Il veut donner un certain poids à son discours et qu'il ne tombe pas à plat. Tout autant qu'une tirade, il multiplie désormais les gestes manuels pour accompagner sa parole et expliquer plus clairement, comme si les mains l'aideraient mieux à faire passer le message.

« Pour les détails, j'tiens une chaîne de stream où j'ai souvent des chimères qui viennent et m'disent avoir besoin d'aide. Me demande pas pourquoi à moi... J'ai pas les infos, je sais pas vers qui orienter. Peut-être si j'étais plus au courant, j'me suis dit, j'sais pas en fait. Vraiment, tu peux me croire. Idem ma chaîne c'est NPC si tu veux vérif'. »

Sans être un tissu de mensonges, il y a clairement de l'exagération puisqu'éventuellement trois chimères ont demandé de l'aide non pas à Phineas particulièrement mais à sa communauté dans la globalité. En revanche, il est vrai que durant ces trois occasions, il a directement rebondi sur le sujet comme s'il avait le pouvoir et devoir d'intervenir. Comme s'il en savait assez. Mais le troisième malaise créé il y a moins d'un mois lui a prouvé que non.

Alors aujourd'hui, le voilà à construire un quatrième malaise avec une chimère inconnue, sans communauté, sans défense, pour se constituer de meilleurs conseils, une meilleure image, plutôt que rediriger vers les personnes dédiées.

Ses intentions ne sont pas néfastes mais quand même sacrément égoïstes pour y jouer son image publique.