Derrière chaque chose magnifique, il y a une sorte de douleur
T'as déjà entendu cette phrase ? C'est Bob Dylan qui l'a dit.
Non, j'ai pas vraiment d'autres référence concernant Bob Dylan, mais le jour ou j'ai lu ça sur un forum un peu paumé, un soir d'ennui mortel, je me suis dit que ce gars avait touché dans le mille.
J'avoue, ça fait un peu le genre de truc que tu ressors en soirée pour te la péter un peu et faire croire que t'as un peu de culture, et, oui, ce serait tout à fait mon style. Mais si on est là toutes les deux aujourd'hui c'est pour en apprendre un peu plus l'une sur l'autre non ? Donc essayons d'être le plus sincère possible.
Quel rapport entre cette citation et moi ? Tu vas rire, mais ça fait étrangement écho à un moment bien important de ma courte existence.
Pour ça, repartons douze ans en arrière (oui, pas besoin de plus, je ne suis pas comme ces vieilles âmes qui parcourent nos rues depuis des lustres (si c'est ton cas, oublions ce que je viens de dire)).
J'ai toujours aimé sortir, même seule. Boire un (plusieurs) verres, rencontrer des gens, parfois juste le temps d'une soirée, ne plus jamais les revoir, n'avoir (presque) que les bons souvenirs. Vivre dans l'instant, sans attaches, c'est une forme de liberté extrêmement importante pour moi. La nuit, personne ne te connait vraiment. Personne ne te questionnera, que tu sois toi même où que tu t'inventes un passé de championne du monde d'échec. Seul compte l'euphorie de la fête qui permet d'oublier quelques heures le quotidien insipide qu'on se tape chaque jour.
Je sortais presque tous les soirs, au détriment de la patience de mon père, qui se lamentait auprès de qui voulait l'entendre que son seul enfant ne réussirait jamais sa vie (spoiler : j'ai pas vraiment réussi ma mort non plus papa).
Après une journée de travail terriblement ennuyeuse dans un konbini aussi fréquenté qu'un club d'UFC pour séniors, je me suis retrouvée dans un bar du centre ville où j'allais de temps en temps. C'était un petit endroit assez vieillot, plus fréquenté par les quarantenaires penchés sur la bouteille que par les gens de mon âge. Le patron, consommant presque autant que la clientèle, organisait régulièrement en fin de soirée des parties de fléchettes qui se terminaient souvent en dispute sur les règles qui avaient été établies au début du jeu (souvent oubliées par tous au bout de quelques verres). Tout le monde avait un surnom, ça favorisait cette ambiance chaleureuse tout en assurant l'anonymat des habitués. Puisqu'à chacune de mes apparitions je faisais chuter la moyenne d'âge de plusieurs années, j'étais surnommée "
la mioche". Les vieux m'avaient vite pris d'affection, impressionnés par mon répondant et ma résistance à la boisson. Ils me parlaient de leurs problèmes, de leurs gosses ou leurs femmes, et j'étais l'oreille attentive qui leur apportait des solutions.
Ce soir là, j'étais en plein débat avec
le dégarni (pas besoin de te faire un dessin) sur le changement de recette de sa bière favorite (ce qui le peinait profondément), lorsqu'
elle est entrée. En une poignée de seconde, toute la clientèle s'est tue et on n'entendait plus que la radio qui diffusait un titre de blues. Il faut dire qu'
elle n'avait clairement pas la tête de l'emploi : pas un cheveux rebelle sur son carré parfaitement coupé, pas un pli ou une tache sur son tailleur blanc resplendissant.
Elle s'est assise au bar, à côté de moi et du
dégarni, et a demandé au barman un verre de Shōchū sec. Tout le monde semblait retenir son souffle, comme si l'univers tout entier allait basculer au moindre de ses gestes.
Elle a attrapé la boisson qu'on lui tendait et l'a bu d'une traite sans sourciller. Lorsqu'
elle a reposé le verre sur le comptoir,
elle a regardé la foule avec un grand sourire. Le silence assourdissant s'est alors changé en un concert d'applaudissements et d'exclamations de fascination, et le temps à repris son cours.
Mais moi, j'étais encore bloquée. Je ne pouvais détacher mon regard de ses gestes délicats et de son sourire énigmatique. Je ne l'ai même pas entendu lorsqu'
elle m'a adressé la parole une première fois. J'ai repris rapidement mes esprits lorsqu'
elle m'a fait un geste de la main avec un grand sourire. Complétement sous le charme, j'ai changé de place pour me rapprocher d'
elle et entendre ce qu'
elle avait à me dire.
On a discuté pendant au moins deux heure qui m'ont paru aussi succinctes qu'une minute.
Elle avait beaucoup d'humour et tenait remarquablement bien l'alcool si l'on comptait tout les verres qu'
elle avait enchainé pendant ce laps de temps.
C'était fou qu'une fille comme
elle s'intéresse à moi aussi rapidement. Je ne lui avait même pas encore sorti mes disquettes préférées : « je stopperais toutes les fins du monde pour toi » (on était en 2012, c'était un peu la vibe de l'époque).
Elle était fascinante en tout point. Si j'avais avalé un verre de plus, je l'aurait probablement demandé en mariage sur le champs.
J'aurais du me douter que quelques choses clochait, mais son aura si irrésistible embrumait mon esprit et anesthésiait tous mes sens. Alors évidemment, quand
elle m'a proposé de terminer la soirée chez
elle, j'ai accepté sans hésiter.
Elle m'a emmené dans un petit appartement un peu excentré du centre ville. J'ai pas relevé quand je l'ai vu sortir un trousseau garni de plusieurs clés différentes de sa poche. J'ai pas non plus relevé quand j'ai remarqué que les photos sur le mur représentaient clairement un mari, une femme, deux enfants. Ni quand
elle a mis légèrement trop de temps à trouver la chambre à coucher.
La suite, tu peux t'en douter.
Je crois que je n'oublierais jamais la sensation de ses canines si parfaites dans mon cou si vulnérable...
Et puis voilà. Propulsée dans un monde des plus perturbants (mais bon, tu l'as vécu aussi bien que moi).
Pourtant, aussi désorientée étais-je, je me suis quand même surprise à regretter sa présence. Lorsque le film de ma mort s'est terminé, je n'avais qu'une seule envie, revoir à nouveau celle que je ne pouvais qu'appeler "
Elle".
Derrière chaque chose magnifique, il y a une sorte de douleur... J'ai eu un peu de mal à m'adapter à ce nouveau mode de vie. Alors quoi, on me dit de but en blanc que je suis morte, qu'au lieu de juste ne plus exister je dois refaire ma vie dans un nouveau monde rempli d'autres gens morts ? Il y a de quoi devenir fou. Je me suis d'abord dit que je devais arrêter de boire, que ce n'était qu'un délire lié à tout ce que j'avais ingurgité la veille. Mais quand on m'a emmené à l'un des appartement de l'agence, que j'ai lu le flyer à propos d'une organisation de vampire qu'un mec m'avait tendu sur le chemin, j'ai commencé à avoir de sérieux doutes. Et
Elle était bien réelle. Quand je sentais mon cœur battre la chamade lorsque son visage m'apparaissait en rêves, je n'avais aucun doutes.
Je suis restée quelques jours cloitrée dans le logement qui m'avait été attribué, trop méfiante pour sortir. Un ordinateur à ma disposition, j'en ai appris un peu plus sur ce nouveau monde et ses coutumes.
Et puis, la faim est arrivée.
J'en avais lu pas mal sur les vampires, mais un simple article de blog ne pourra jamais décrire ce sentiment menaçant qui gonflait en moi. Une vidéo ne pourra jamais détailler clairement la sensation des canines qui grandissent petit à petit.