Poison Ivy [Titine et Mino]

Et voilà elle soupire, râle, tire une tronche de six pieds de long en se mettant à bouder. Elle gonfle les joues et la seule chose que tu vois c’est un hamster gothique à tendance suicidaire. Comme les vrais hamsters finalement. Tu retiens parfaitement un petit ricanement du nez ; t’aimerais pas avoir à lui expliquer pourquoi tu as envie de rire. Au moins elle se calme un peu et tant mieux, t’aimerais bien pouvoir finir par la lâcher sans que ça soit craignos pour elle -et pour toi et ta conscience. Tu sais pas si elle capte pas ton sarcasme volontairement ou non et arriver à ce point là de la situation, ça te passe au-dessus. Tu regardes autour de toi ; heureusement la serre semble toujours aussi calme. T’es en pleine semaine et en pleine journée, ça fait sens. Tu restes quand même dubitatif face à l’absence de jardinier·ère : t’aurais deux mots à lui dire, à iel et ses plantes toxiques.

« Bah alors n'empêchez pas les autres de faire ce qu'ils veulent.

Si c’était un truc genre je sais pas, pas dangereux par exemple, j’veux bien te laisser faire ce que tu veux »

Nouveau soupir. T’as atteint ton quota pour la journée, à ce rythme. Elle a connu pire ? T’es pas étonné. Faut avoir connu de sacré trucs pour vouloir avaler de la plante toxique au goûter et voir ce que ça fait. Tu juges pas, au fond, rien de tout ça te concerne. Mais comme d’hab’, tu t’es mêlé de ce qu’il fallait pas et maintenant t’es coincé. Alors tu continues de lui parler mais, étrangement, quand tu évoques la possibilité de faire les mêmes conneries elle semble beaucoup moins … Rassurée ? Elle perd des couleurs –déjà qu’elle est bien pâlotte, elle semble s’affoler et pour le coup c’est toi qui comprend pas. Pourquoi subitement ça a l’air de l’inquiéter ? T’es tellement confus que tu te contentes de la fixer avec les yeux légèrement plus ronds que d’habitude

« Non non non, vous n'avez pas le droit de faire ça ! Il ne faut pas !

Non mais, c’était une hypothèse ! »

Te voilà bien maintenant.

« Comment ça de mauvaises intentions ? »

Oh. Oh non. Oh non non. Pas encore. T’as vraiment le chic pour te faire mal comprendre, ou juste mal t’exprimer. De ton bras libre tu te masses le front ; pourquoi c’est toujours toi ? Tu la sens trembler et elle te regarde même plus. Génial.

« Ça… ça ne fait du mal à personne. C'est juste pour moi… le reste je m'en fiche de ce qui m'arrive… S'il vous plait…

Okay, okay, temps mort. »

Tu la relâches doucement, faisant attention à ce qu’elle ne perdre pas l’équilibre. Tu espères de tout cœur qu’elle n’en profite pas pour s’enfuir mais vu le choc que tu lui as déclenché -la pauvre, la fuite ne semble pas encore dans ses plans. Pour l’instant. Tu te mets à son niveau, t’accroupissant pour lui faire face et paraître moins … Imposant et flippant.

« Je ne te ferais pas de mal, déjà. Je vois pas pourquoi j’aurais pris autant de temps pour essayer de te comprendre et t’aider si j’avais eu de réelles mauvaises intentions. Je sais que je me mêle de ce qui me regarde pas et j’uis désolé, mais j’uis comme ça. Je peux pas juste tourner les yeux ou les talons comme si j’en avais rien à faire. »

Tu marques une pause.

« Et promis je comptais pas non plus t’imiter ou je sais pas quoi. Tu m’as dit ton point de vue, alors je t’ai juste dit le mien. Ça va aller ? »

« Sans le danger il n'y a pas de progrès. »

Tu ne réponds pas. Tu n’es pas totalement d’accord, mais à quoi ça servirait de lui dire ? Tu peux éventuellement imaginer son point de vue mais tu es incapable de le comprendre. Le danger. Tu sais qu’il y a du vrai dedans ; t’as vécu assez longtemps pour savoir qu’il y a beaucoup de choses qui ont changé, évolué et se sont améliorés en faisant des choses … Discutables. Dangereuses. Mais c’est pas pour autant que ça te plaît. Ou que tu encouragerais ce genre de chose. Ça peut paraître hypocrite au vu de ton passé et certaines de tes décisions mais à tes yeux ton expérience ne devrait pas s’appliquer à tout le monde, loin de là. Puis tu la relâches, elle semble plus calme. Moins paniquée. En même temps tu commençais à la tenir depuis un moment et votre différence de taille ne te donne vraiment pas un air rassurant.

« C'est pour votre conscience ? Pourtant, ne change pas grand-chose comme c'est moi qui veux et que je ne serai pas vraiment morte.

Ouai, peut-être. Mais je marche comme ça, j’peux pas vraiment l’expliquer autrement. »

Et c’est sincère. Ça serait quand même plus simple si tu avais pas une conscience et ce truc qui te donne envie d’aider, tout le temps, quitte à te mettre dans des situations aussi bizarre que celle d’aujourd’hui.

« Tant que vous ne m'imitez pas…

C’est pas prévu.

Il ne faut pas faire comme moi, vous savez. Je choisis de faire ça seule, ces faits exprès.

Dans ce cas pourquoi tu as fait appel à moi ? T’es pas réellement seule seule non ? Tu aurais pu je sais pas, prendre une couverture, t’allonger dessus et manger ta feuille bizarre là. T’avais pas vraiment besoin de quelqu’un pour te rattraper. Surtout si tu risques "pas de mourir". »

Ses bras se croisent. Tu restes toujours accroupi.

« C'est juste pour moi, j'en ai… besoin.

Je vois. Ça a l’air très personnelle comme raison. »

Comme tu t’en doutais, les choses sont loin d’être aussi simple ; ce n’est pas qu’une gamine un peu excentrique avec des idées plus de douteuses en tête. Il y a quelque chose. Tu te demandes si tu les attires ; ou peut-être bien que c’est elleux qui t’attirent vers elleux. En tout cas tu préfères ça que de la voir tomber sur quelqu’un de franchement louche. Même si dès fois t’aimerais que tes deux boulots arrêtent de se croiser aussi souvent.

« Au pire je prends une dose moins létale. Ou une autre plante !

… Est-ce qu’une dose plus faible changerait réellement quelque chose ? Et si l’autre plante est aussi dangereuse que celle-là, j’ai encore plus de doutes. »

« Sauf que si les gens me voient "dormir" au mieux ils ne font rien, au pire ils me piquent des affaires.

Ah. »

T’avoues t’y a pas pensé. En même temps ça n’arriverait pas si elle arrêtait. Mais tu sais que ça sert à rien de lui dire ; tu commences à le comprendre. Au moins tu peux pas lui retirer sa force de caractère et le fait qu’elle soit profondément têtue. Elle te confirme que c’est personnel et tu n’insistes pas. Tu sais quand même respecter les limites même celles exprimées de manière implicites ; tu ferais un bien mauvais psychologue sinon. Tu acquiesces quand elle te répond pour montrer que tu écoutes. C’est difficile alors elle préfère ne rien dire, tu lui dis que tu comprends. Toi aussi, il y a des choses que tu as du mal à expliquer, à exprimer. Sûrement bien plus que la moyenne.

« Bien sûr que ça change quelque chose ! Toutes les plantes ne sont pas aussi dangereuses que les unes des autres ! Si j'en prends une assez petite quantité, je pense que je m'évanouirai à la place de faire un arrêt cardiaque. »

Tu l’observes. Est-ce qu’elle te ment ? T’es pas sûr. Après tout elle ne t’a menti qu’une seule fois ; quand elle t’a dit que tu venais pour faire du jardinage. Depuis elle semble honnête, peut-être même un peu trop pour son propre bien. Alors peut-être qu’elle te dit la vérité. Mais est-ce que tu trouves ça vraiment plus acceptable ? Pas forcément. Sauf que tu as l’impression d’être un peu dans un angle mort et que dans l’immédiat, peut-être que c’est le seul moyen de t’assurer qu’elle ne tente pas de faire pire. Un compromis en somme. Tu pousses un long, très long soupir.

« D'ailleurs, vous savez faire un massage cardiaque ? C'est super utile, vous savez ! Et ça fait une bonne occasion pour vous entrainer pour de vrai, si vous voulez sauver des vies !

Écoute. »

Tu te relèves pour faire respirer un peu tes genoux. Et parce que tu as besoin de pouvoir la regarder avec sérieux.

« J’accepte de t’aider. Mais j’ai trois conditions. »

Tu lèves tes doigts au fur et à mesure que tu les déclines

« D’abord, une toute petite quantité. Pas d’arrêt cardiaque. Ensuite, tu prendras appuie sur moi, si j’dois te mettre en position de sécurité ça sera plus simple. Et enfin, je te lâcherais pas tant que je suis pas sûr à 100% que tu vas parfaitement bien. »

Tu lui tends la main ; c’est à prendre ou à laisser.

« Vraiment ?

Oui »

Tu regrettes déjà. Elle te serre la main avant de se mettre à bondir un peu sur place. Tu en as connu des gens à part dans ta vie et des situations bien plus étranges que celle-ci. Mais là c’est une première et tu l’inscris quelque part dans un coin de ta tête. Tu te dis aussi que peut-être que revoir tes fréquentations, changer de boulot et te mettre au vert commence à devenir une solution de plus en plus envisageable. Mais après tout, t’es là, tu surveilles, elle a l’air de s’y connaître. Et au pire c’est pas comme si tu devais gérer ton premier cas d’empoisonnement dans ta vie, même si d’habitude c’est pas à cause d’une plante toxique.

« Les deux derniers points c'est un peu pour ça que vous être payé.

Ouai, ‘fin je t’ai dit je veux pas être payé pour ça hein. T’auras qu’à m’engager pour un truc moins dangereux genre du vrai jardinage par exemple »

Tu peux pas t’empêcher d’avoir un sourire en coin en disant ça. Tu sais pas si c’est parce qu’elle a l’air contente -toujours un mystère pour toi d’ailleurs, ou si c’est parce qu’elle a l’air de te faire confiance mais tu en viens presque à être curieux de voir ce qu’il va se passer. C’est pas pour autant que ça te rend enthousiaste comme elle ou que tu oublies les dangers qui vont avec, mais après tout t’es bien placé pour savoir que les règles qui s’appliquaient de ton vivant ne sont pas toujours valables dans la mort.

« Et promis je vais faire attention.

Je serais là de toute façon »

Elle t’explique de nouveau les symptômes, tu hoches la tête. Tu la laisses reprendre la feuille et tu surveilles qu’elle n’en mange qu’un morceau. Elle la coupe en deux et tu es un peu soulagé qu’elle ne tente pas de tout béqueter comme ça en te prenant de vitesse. Elle mâche et une fois ses mains libres tu les poses sur tes bras alors que tu tiens les siens. Si elle doit tomber au moins, t’es prêt. Et ça loupe pas ; son visage se déforme sous la douleur. Tu l’observes sans rien dire, tu te sens étrangement calme ; peut-être parce que tu sais que paniquer ne fera rien de bon dans ce genre de situation. Elle se met à serrer de plus en plus fort et même si tu le sens -et que ça tire un peu, c’est largement supportable. Tu sens qu’elle se retient, tu lui dit que ça va aller. Bien qu’elle tremble légèrement, ses mouvements sont lents, en complet décalage avec les expressions qui défilent à toutes vitesses dans ses yeux.

Ça ne loupe pas, ses jambes l’abandonnent et tu la rattrapes sans problème, l’empêchant de s’effondrer au sol telle une poupée de chiffon. Tu la places en position latérale de sécurité alors qu’elle se met à avoir des hauts le cœur. Tu vérifies qu’elle ne s’étouffe pas et finalement elle se met à recracher ce que tu penses être de la bile. Tu décales légèrement sa tête pour pas que ça la touche et ça se calme, petit à petit. Tu soupires de soulagement ; il semblerait que le pire soit passé. Tu retires ton manteau que tu utilises comme couverture avant de t’asseoir en tailleur et surveiller son pouls au niveau de son cou avec tes doigts. Le rythme est lent mais pas suffisamment pour nécessité une intervention plus musclé. Pas de CPR pour toi, finalement -et tant mieux.

Tu la sens qui fini par bouger de nouveau

« Hé princesse, tu te réveilles enfin ? Comment tu te sens ? »