Panic but no disco - [Tantine & Olympe]

Pour la première fois, il me contredit. Je note, quand même. Enfin il le fait évidemment tout en douceur et avec une sorte de linéarité dans le tact, mais il me laisse pas m'échapper avec mes mots. Il veut pas que je me mente à moi-même, ou quelque chose du genre. Oui, j'ai douté, voilà il a gagné, et j'en ai honte. Je sais pas s'il se rend vraiment compte d'à quel point c'est douloureux et pesant, la honte de soi.

J'ai plus de café. Et en plus, il amorce sur ce qui pique, donc là c'est une gestion de crise. Je sais pas trop si j'ai le droit de me lever pour atteindre la cafetière et me resservir. J'imagine que ça brise un peu le truc, mais en même temps il préfère probablement que je me mette à l'aise. Dans le doute, je reste assise pour le moment. Je réponds sagement, ça vaut mieux.

"Moi je veux juste qu'on reste ensemble."

C'est même pas tant à lui que je m'addresse qu'au destin ou à quiconque m'entend. C'est vraiment tant demander que ça? Rien que d'y penser, je me sens pleurer à nouveau, c'est vraiment usant, mais c'est le vif de mon coeur à nu.

"Je pourrais tout faire pour elle, je veux bien changer, je veux bien tout. Je veux juste pas qu'elle me dégage, merde."

Je sais même pas pourquoi je lui fait subir ça, il mérite pas d'avoir à me supporter. Il se trouve coincé entre son devoir et son amitié, je m'accroche à lui parce que personne d'autre voudra m'entendre. C'est horrible pour nous deux, je regrette déjà de pas être restée dans mon coin, à attendre que ça passe.

Et je le sens déjà venir. Il va faire comme toutes mes amies, parler de dépendance, comme quoi je m'accroche trop, tout le tralala. J'ai même pas envie de l'entendre encore, j'en ai marre qu'on me reproche d'aimer. Je suis juste une cause perdue, j'ai fait mon propre deuil.

Elle semble toujours aussi agitée mais tes mots, bizarrement, ne semblent pas l’avoir fait fuir. C’est un bon début, tu as toujours trop peur d’être trop direct. Chaque mot qui sort de ta bouche, dans ce bureau, est savamment calculé. Pas trop dur ni trop passif, pas trop direct ni trop implicite. Tu pourrais faire un bel équilibriste à force d’être sur ce fil perpétuel. Ça peut sembler désagréable mais comme pour tout, tu fais ça depuis si longtemps que ça devient un peu plus naturel. Un peu plus facile. La seule chose qui te met réellement mal à l’aise présentement est que tu t’en voudrais de blesser ta patiente -qui se révèle être une pote en plus. Donc t’es doublement prudent.

« Moi je veux juste qu'on reste ensemble. »

Une réponse simple en apparence mais qui amène son lot de questions et de problèmes. Tu la comprends ; et tu t’attendais à ce genre de réponse bizarrement. Peut-être parce qu’à chaque seconde qui passe tu vois à quel point elle s’accroche à sa copine, à quel point elle semble compter pour Olympe alors sa réponse ne t’étonne pas et elle te semble même logique. Pourtant … Pourtant tu commences à douter de ce que tu devrais lui dire. Tu regrettes de pas avoir plus d’expériences perso’ dans lesquels puisés -enfin regretter est un bien grand mot. Tu te plonges dans la réflexion, les yeux fermés et tes doigts qui tienne ton menton. Tu murmures des « Mmh » pour l’encourager à continuer.

« Je pourrais tout faire pour elle, je veux bien changer, je veux bien tout. Je veux juste pas qu'elle me dégage, merde. »

Oh dear. Les larmes coulent de nouveau et tu rapproches les mouchoirs près d’elle et tu attends une minute. L’inquiétude a grimpé d’un cran lorsque ses paroles te confirment tout ce que tu craignais et tu sais pas comment lui dire. En même temps il n’y a pas de bon moyen de retirer les lunettes roses à qui que ce soit et c’est encore plus vrai quand en face de toi se tient quelqu’un que t’aimes bien. Alors tu inspires lentement et tu te prépares ; qu’est-ce que tu peux faire d’autre de toute façon, à ce stade ?

« Olympe. C’est normal, de vouloir rester ensemble. Mais … Imaginons qu’elle veuille que vous vous sépariez. Je ne dis pas que c’est ce qu’elle veut, bien sûr. Mais juste imaginons. »

Tu te rapproches un peu, l’air qui se veut rassurant.

« Ça serait son choix. Il n’y a pas de bonne ou mauvaise raison de quitter quelqu’un, tout comme le fait de se changer pour garder quelqu’un près de soit n’est pas une solution. Ou plutôt, ce n’est pas une bonne solution. Imaginons de nouveau que tu changes pour elle, que ça soit ton travail. Tes passions. La personne que tu es, ou même ta manière de t’habiller. »

Petite pause.

« Est-ce que tu ne risquerais pas de développer du ressentiment envers elle ? À devoir changer qui tu es et ce que tu aimes pour une seule personne ? A l’inverse, est-ce que tu aimerais que quelqu’un change entièrement qui elle est juste pour toi ? Même si ça la rend malheureuse ? »

J'aime pas trop ses exercices de pensée. Je fais l'effort de m'y prêter, parce que vraiment je lui fais confiance, mais ça me plaît pas le moins du monde. "Et si elle voulait te quitter?", c'est pas ce que j'ai envie d'entendre.

Je suis le raisonnement, je vois où il veut en venir avant même que la rhétorique tombe, mais... J'ai pas envie d'écouter ça, j'y ai déjà pensée seule, j'ai déjà conclu des certitiudes. Ça me ferait trop de mal qu'il vienne les ébranler.

"Je demanderai jamais à quelqu'un de changer pour moi..." Parce que c'est pas sain, parce que c'est pas un couple fonctionnel, ça. Je le sais pertinemment, j'en suis consciente, mais bon. Faut croire que j'aime être une martyre. "Mais... mais moi je peux, c'est mon... ça engage que moi."

Je sais déjà qu'il va me réprendre. Et qu'il est gêné. Le pire de tout, c'est que je peux anticiper avec exactitude pourquoi ce que je dis dérange, et en quoi c'est inquiétant. Mais c'est ma vie, c'est comme ça que je fonctionne, j'ai rien choisi.

"Je sais, c'est pas normal, je sais."

Je veux pas l'entendre le dire, alors je lui vole ses mots. Ça fera moins mal de les entendre de ma propre voix, ça pénètre moins l'esprit avec cruauté quand ça vient de l'intérieur.

"Mais je suis sûre que t'es comme moi, me fais pas la morale."

Je crois qu'on sort un peu du cadre, c'est ma faute. Je sais pas, ça doit être la fatigue et l'exaspération, le ras-le-bol des leçons même bien intentionnées. Désolée, Constantine.

« Je demanderai jamais à quelqu'un de changer pour moi... »

La réponse est directe et claire. Ce qui t’étonne pas, même si tu la connais encore qu’en surface tu peux affirmer sans problème qu’elle n’est pas du genre à imposer une telle pression à qui que ce soit. Consciemment ou pas, d’ailleurs. Elle résiste un peu et tu le sens et tu t’en voudrais presque de l’emmener sur ce terrain-là. Mais elle a beau être une pote, tu peux pas faire comme si elle n’était pas en pleine séance -même improvisée.

« Mais... mais moi je peux, c'est mon... ça engage que moi.

C’est pas parce que ça n’impacterai que toi directement dans un premier temps que ça ne peut pas impacter les autres. Se sacrifier, prendre sur soi, performer … Ça a des conséquences. Sur toi, mais également sur celles et ceux qui t’entourent, même si tu le vois pas. »

Tu parles doucement, avec compréhension et tu essayes de pas la mettre au pied du mur. Tu joues sur ce qui marche : sa gentillesse et sa proximité avec les autres. Sa capacité presque étonnante à se mettre en retrait pour faire plaisir à celleux qui lui sont proches pourrait te faire tiquer ou sourciller mais au fond … Tu la comprends. Et c’est peut-être parce que tu la comprends aussi bien sur ce sujet que, même si tu refuses de ne pas la confronter un minimum à tout ça, tu mets des gants. Tu choisis soigneusement tes mots. Et tu prends le temps de lui répondre et de l’écouter.

« Je sais, c'est pas normal, je sais. »

Tu secoues la tête négativement.

« C’est pas ce que je pense, ou ce que j’allais te dire. »

Mais comment tu pourrais lui en vouloir de penser ça ? Difficile de savoir où se situer quand on sort des petites cases. Difficile d’accepter que c’est pas être hors des cases qui pose un problème.

« Mais je suis sûre que t'es comme moi, me fais pas la morale. »

Tu hausses un sourcil. Tu t’attendais pas à ce qu’elle te retourne tes paroles contre toi ; et qu’elle utilise ce qu’elle sait de toi de cette manière. Elle mord, mais elle mord comme un animal blessé qui essaye de se défendre. Comme une tentative désespérée de ne pas se sentir seule et en même temps de repousser ce qui se rapproche de trop près. Tu lui en veux pas même si tu prends énormément sur toi pour ne pas lui montrer que aoutch, touché. Tu prends quelques secondes pour inspirer, expirer, avant de lui répondre.

« Parfois, traverser la même chose que quelqu’un d’autre c’est le meilleur moyen de savoir comment aider. »

Ni oui, ni non. Tu ne réfutes pas ce qu’elle te dit, mais tu ne confirmes pas non plus qu’elle a raison. Elle te semble fatiguée -et à bout. Le temps défile et tu ne sais pas si c’est une bonne idée d’amorcer une fin de séance pour au moins la laisser un peu se reposer ou continuer. Généralement tu préfères gérer le temps des séances mais là, la situation est un peu … Différente. Inhabituelle.

« Est-ce que depuis son départ, tu as essayé de mettre de l’ordre dans ce que tu aimerais lui dire à son retour ? Je ne parle pas de ton envie de vous restiez ensemble, ou du fait que t’es "prête à changer pour elle". Non. Ce que t’aimerais lui dire réellement, même si ça doit être des reproches, ce que tu t’es retenu de dire auparavant pour ne pas déclencher de disputes ? »

Je devrais m'excuser, je crois. Je l'ai pas exactement insulté ni rien, mais je sens bien que j'ai fait mouche et que ça a pas dû lui plaire. Faut dire que c'était un coup bas, j'en suis pas fière et ça risque de me hanter la conscience encore un bail. Il fallait juste que quelque chose de méchant sorte un jour, et par malchance c'était sur lui.

Mais il en fait pas grand cas, semble presque ignorer le doigt pointé pour reprendre sur ses propres rails. Je devrais féliciter sa mansuétude, il se fait particulièrement patient pour moi. Pour sa patiente. Haha.

"Non, pas vraiment, j'y ai pas tellement pensé." Il a raison, quand même. Faudrait parfois que je pense à ce que je veux exprimer avant de parler, ça m'aiderait pas mal. Je fonctionne certainement trop à l'impulsion. "Mais j'ai le temps de le faire, maintenant."

Trop de temps, même. J'ai plus rien pour m'occuper l'esprit tant que je travaille pas, du coup je travaille encore plus. Ou je regrette de pas pouvoir le faire. C'est pas facile à vivre, vraiment pas.

"Mais au fond, j'ai rien à lui demander. C'est pas elle le problème, c'est moi. Ça allait très bien jusqu'à ce que je commence à dérailler, elle y est pour rien. Ça allait déjà mal avant."

D'aucuns diraient qu'elle aurait pu aider, peut-être dû. C'est facile de réécrire l'histoire une fois qu'elle est posée sur papier, on a moins de certitudes quand on vit le moment, j'excuse son délaissement. Je lui excuse toujours tout, de toute manière, c'est ma nature.

Surtout, j'ai pas envie qu'il la remette en cause. Il l'a pas encore fait, se réserve probablement de le faire parce qu'il est très poli et gentil, mais j'imagine que ça va arriver tôt ou tard dans la discussion. Peut-être parce que je suis devenue légèrement paranoïaque, que je me figure les pires tournures à chaque avancée, sans jamais me l'admettre vraiment.

"J'ai aucune idée d'où ça me vient, mon quotidien a pas changé puis d'un coup du jour au lendemain, tout craque. Enfin moi, quoi. Et c'est une spirale infinie de merdes."

Donc c'était le quotidien, le problème. Mais j'ai pas envie de m'en rendre compte, alors je le fais juste pas. C'est toujours très douloureux, ce genre de remise en question, et inquiétant aussi. De deux maux j'ai inconsciemment choisi l'un.

« Non, pas vraiment, j'y ai pas tellement pensé. Mais j'ai le temps de le faire, maintenant. »

Tu hoches la tête. Tu sais ce qu’elle sous-entend en disant ça mais tu préfères ne pas relever et surtout ne pas insister une fois de plus. Au moins, elle reconnaît que non et que ton conseil n’est pas à jeter ; tu t’en contenteras pour l’instant. Ça peut sembler peu, mais c’est déjà bien plus que ce dont à quoi tu t’attendais -et ce que tu vois et entend en rendez-vous habituellement.

« Ça ne pourra que t’aider. Faire le tri, le ménage, trouver les mots … Ça s’apprend. Ça se travaille aussi. Et je sais que c’est pas facile, comme tu dis on se ressemble après tout. »

Léger sourire en coin. Évidemment tu ne peux t’empêcher de revenir un peu dessus et reconnaître enfin les faits. Peut-être qu’après tout ça peut aider -ou pas. C’est quitte ou double et même si tu détestes miser et y aller un peu plus à l’aveugle, force est de constater que ce n’est pas une situation habituelle et encore moins une patiente régulière. Tu commences enfin à t’adapter, prendre des marques et savoir comment diriger un peu mieux les choses pour éviter de la voir couler pour de bon ; ou en tout cas tu en as cette impression. Même si l’équilibre est encore fragile.

« Mais au fond, j'ai rien à lui demander. C'est pas elle le problème, c'est moi. Ça allait très bien jusqu'à ce que je commence à dérailler, elle y est pour rien. Ça allait déjà mal avant.

J’pense pas tant que c’est un problème venant de toi qu’un soucis de couple. Et quand ça arrive, ça concerne toutes les personnes impliqué·e·s. Ici deux personnes, donc ça se résout à deux. »

Léger haussement d’épaule, alors que tu t’es entre-temps réinstallé dans ton fauteuil, jambe croisé, mains posées sur ton genou. Tu sais très bien que c’est la nature profondément un peu trop gentille d’Olympe qui parle. Tu ne peux qu’imaginer son cheminement de pensée et plutôt que de la confronter frontalement tu essayes une approche plus logique, presque désagréablement terre à terre. Tu l’observes sans rien dire de plus, tu attends qu’elle rebondisse sur tes mots, sauf si elle choisit de se murer dans le silence. Tu lui en voudrais pas, ça veut pas forcément dire qu’elle essayerait d’esquiver la discussion. Après tout, chaque personne va à son rythme.

« J'ai aucune idée d'où ça me vient, mon quotidien a pas changé puis d'un coup du jour au lendemain, tout craque. Enfin moi, quoi. Et c'est une spirale infinie de merdes.

Mmh. Y’a pas forcément de déclencheur. Parfois on s’habitue trop à un quotidien pour réussir à voir les défauts, au point que ça semble bien se passer. Et puis paf, comme tu dis, ça craque. Parce qu’on ouvre les yeux, parce que ça a fait son temps. Ou parce qu’on a d’autre problèmes qui s’ajoutent, comme avec sa partenaire par exemple. »

Léger silence.

« Si tu devais changer un truc dans ton quotidien, ça serait quoi ? Comme ça d’instinct. »

Là où Constantine est vraiment gentil, c'est qu'il tend l'autre joue en supposant que lui aussi a connu des problèmes similaires. C'est très informel, comme séance, finalement. J'ai plus l'impression de parler à un ami qu'à un professionnel. J'imagine que c'est parce que je le connaissais trop avant, mais je sais aussi qu'il doit être plus distant avec d'autres.

Enfin bon, revenir avec du travail à la maison après avoir espéré m'alléger l'esprit, c'est pas grisant. Il m'aide à me rendre compte que y'aura pas de solution miracle, que je vais devoir encore faire des efforts, que je suis la seule à pouvoir m'aider. Ça me fait un peu soupirer de fatigue, mais au fond, j'ai toujours trop travaillé, alors pourquoi pas?

Il me pose une question, franchement simple, et pourtant, je coince quelques minutes. Je sais même pas ce que je veux, au fond. Je suis purement incapable de pointer du doigt quelque chose qui dénote, une tâche sur ma peinture. Est-ce que c'est pas ça, au fond, le problème? Que j'ose jamais rien voir de négatif, nulle part.

"Je sais même pas."

Il aura attendu longtemps, pour avoir quelques mots décevants. Je peux même pas imaginer sa fatigue, l'horreur que ça doit être pour lui. J'ai vraiment rien à lui donner, c'est pas de la mauvaise volonté. Je fais de mon mieux pour me creuser les méninges, chercher quoi que ce soit, je souffle faiblement:

"Si, des fois on me dit que je travaille trop."

Et j'ai jamais voulu croire que c'était vrai, je veux toujours pas. Sauf qu'au pied du mur, on doit ravaler sa fierté et faire demi-tour, souvent. Je me répète ma propre phrase plusieurs fois, en silence. Qu'est-ce que je peux en faire, de ce genre de commentaire, concrètement?

"Mais c'est tout ce que j'ai le travail, 'sont marrantes, les filles..."

Je me retiens de craquer, parce que ça allait encore venir. C'est maîtrisé, pas d'inquiétude. Contantine doit l'avoir remarqué, les quelques fois où on a taffé ensemble, mais le problème c'est que je déteste rien faire aussi.

Tu la laisses réfléchir, une fois de plus, sans la presser. Tu en profites pour regarder un peu son langage corporel : comment elle se tient, comment elle continue de s'occuper les mains, ce genre de détails qui peuvent sembler insignifiants. T'es un bon observateur Constantine mais tu as toujours ce besoin de t'améliorer, comme si t'étais incapable de te reposer sur ton expérience déjà acquise depuis de longues, très longues années. Peut-être parce que t'as cette sensation que la moindre erreur pourrait être fatale une fois de plus. Et t'as pas envie de ça, pour tes patient.e.s tout comme tes proches et force est de constater que vu comment tu prends des pincettes tout en la bousculant, tu tiens un minimum à Olympe. Parce que plus le temps passe et plus tu vois les similitudes entre vous ; regarder dans un miroir n'est jamais agréable. Mais c'est pas de sa faute, après tout.

« Je sais même pas. »

Sourire aux lèvres, tu lui en veux pas. Ça confirme ce que tu ressentais depuis le début de votre entrevue, ce truc à la fois palpable et qu'elle réussit à dissimuler plutôt bien : elle s'oublie. Elle oublie de penser à ce qu'elle veut pour elle : passé, futur et présent. Difficile de faire comprendre cet état de fait à une personne qui ne verrait pas le problème. N'est-ce pas ? Après tout t'es bien placé pour comprendre ça. Raclement de gorge alors que tu te redresses un peu ; t’es pas mal à l’aise mais juste légèrement plus au bord.

« C’est ok de pas savoir. »

Il le pense.

« Si, des fois on me dit que je travaille trop.

Et tu penses que c’est le cas, toi personnellement ? »

C’est important qu’elle garde quelque part ce genre de réflexions et de conseils. Mais peut-être qu’elle ne le vit pas comme ça -ou qu’elle ne veut pas le voir comme ça. Toi ton ressenti, du peu que tu as vu et que tu connais d’Olympe, c’est qu’elle travaille beaucoup. Trop, tu peux pas dire surtout que tu serais bien mal placé pour juger et la reprendre là-dessus vu ton emploi du temps et ton incapacité à t’arrêter pour respirer. Mais peut-être que lever le pied serait un début, au moins pour qu’elle prenne du temps pour elle, du temps qui lui permettrait de réfléchir -et prendre du recul.

« Mais c'est tout ce que j'ai le travail, 'sont marrantes, les filles...

Peut-être que c’est leur façon de s’inquiéter pour toi. Tu dis que tu n’as que le travail, t’as pas des passions ? Des choses que t’aimerais faire en dehors de ça ? Même un truc qui te semble con, ou bizarre »

Tu remarques qu’elle se contient mais tu as la délicatesse de ne pas lui faire remarquer. Ou de ne pas lui dire de se laisser aller ; ce serait le meilleur moyen de la brusquer de nouveau.

Je sais pas si c'est une bonne chose, au fond, qu'il pose les bonnes questions. L'important, ça a jamais été ce que disent les autres de moi, seulement ce que je pense de ma propre condition. Mais c'est douloureux de l'admettre, d'avouer qu'on a des limites quand on veut paraître infatiguable. C'est tellement ancré dans mon comportement de rien laisser transparaître, j'ai développé une culpabilité honteuse à admettre que mes mains me font mal et que mon dos menace de céder un jour. Sans parler de mon état mental, je me suis déjà étendue sur le sujet.

"Doit y'avoir un fond de vérité, c'est sûr."

Je peux pas simplement lui répondre oui, le bloquage est indépassable, alors je paraphrase. Il comprendra, c'est certain, il comprend toujours tout. On embraye sur mes passions, je dois lui en avoir vaguement touché deux mots par le passé, au détour d'un café.

"J'aime bien nager, si, et lire des bouquins romantiques. Mais bon, dernièrement, j'ai juste pas la motivation, à chaque fois. Ça doit faire deux semaines que je suis pas allée à la piscine."

Ça me manque un peu, maintenant que je suis là. Mais dès que j'aurais le temps d'y aller, je vais perdre l'envie, rien faire à la place, et culpabiliser. Un siphon éternel à bonheur, en apparence insolvable.

"Faudrait que je trouve quelqu'un avec qui y aller pour me forcer."

C'est dingue, les solutions viennent toutes seules, maintenant. Non, en fait, ça fait un moment que je me dis ça, mais j'ai pas trouvé la motivation de contacter des gens non plus. J'imagine que des amies seraient ravies de m'accompagner, ne serait-ce que pour m'aider, mais bon... Flemme, encore et toujours.