TW/CW :
Racisme (sous-entendu), homophobie intériorisée, vomissements, maladie, sang, relation toxique (mention & sous-entendu), jalousie, tentative de suicide (mention), comportement auto-destructeur (mention)
Difficile pour lui d’oublier son arrivé dans le Monde des morts, même si les détails lui échappent maintenant. L’attente. La Faucheuse qui vient le chercher. Le regard lourd mais plein de tendresse de Pandṓra. Il se souvient l’avoir trouvé douce et belle, bien que le choc d’être encore là après sa mort rend ses souvenirs confus. Par chance, elle connait quelques rudiments de français et il réussit à comprendre ce qu’il fait là. Devenir un fantôme. Avoir une seconde chance. Des concepts encore bien abstraits pour Guillaume, qui se retrouve dans les rues de Tokyo sans comprendre ce que les habitant·e·s pouvaient bien se dire. Un changement drastique dans sa vie, lui qui fût Duc si longtemps et qui maintenant n’est plus qu’une âme parmi tant d’autre.
❝Je me souviens l’avoir entendu dire que j’étais mort paisiblement. Mon cœur s’est simplement arrêté et n’est jamais reparti et pourtant je me tenais devant elle, empli d’incrédulité. Le Monde des Morts, un pays que je ne connaissais pas et une ville qui m’est encore plus inconnue. De quoi perdre plus d’un homme ; surtout quelqu’un ayant grandi dans la religion.1128.
Il décide de repartir pour la France. La barrière de la langue rend tout difficile : se nourrir, s’abriter, communiquer, vivre. Il se sent perdu constamment, mal à l’aise tout le temps, sans trouver sa place. Les résidus de son éducation ne l’aident pas, luttant en permanence contre des réflexes dont il a profondément honte aujourd’hui. Rejeter l’autre, rejeter ce qu’il perçoit comme trop différent. Alors il préfère prendre la route, avec l’aide d’un des rares francophone qu’il rencontre pendant sa quasi-année de présence à Tokyo. Il planifie le voyage, récupère ce qu’il peut et prend la route sans un regard en arrière ; sans un regret.
1129.
❝J’ai décidé de m’installer dans le Nord de la France, près d’une ville qui sera identifiée plus tard comme la ville de Calais. Je n’avais pas envie d’aller en Aquitaine. Je refusais de croiser des membres de ma famille et j’étais terrifié à l’idée de croiser mon ex-épouse, Philippa. Ou certains de mes enfants. Alors j’ai mis de la distance entre moi et mon passé, je ne me présentais que comme Guillaume et personne ne cherchait à en savoir plus. Je n’ai jamais été aussi ravi d’avoir évité un maximum portrait et autre illustration de ma trogne car au moins j’avais enfin la paix à laquelle j’aspirais tant. J’ai fui, certes, mais j’avais besoin d’appréhender cette nouvelle vie, cette mort et cette chance qui m’a été offerte.Il finit par reprendre l’écriture de poèmes, de chants en s’inspirant de l’évolution naturelle de l’amour courtois vers une forme plus romantique qui lui plaît énormément. La mort semble passée vite et les détails de cette époque lui échappent aujourd’hui ; il se trouve une maison avec un grand jardin dont il est allergique mais qu’il aime énormément. Il choisit un nom de plume, « G. Peitieus », qu’il garde des décennies durant avant de faire la paix avec son passé et d’écrire de nouveau sous le nom de Guillaume d’Aquitaine.
1209.
Lui.
❝Je ne pourrais jamais oublier notre première rencontre.
Son sourire.
Son regard.
La forme de ses pommettes qui se plissent et son nez qui se retrousse quand il a ri, la première fois.
Ses cheveux translucides, couleur de lune.Lui.
Un ancien troubadour, décédé il y a quelques années. Il lui semblait jeune mais leurs âges ante-mortem étaient bien plus proches qu’il ne le pensait. Mort à deux siècles différents d’un mal différent ; un vampire. Sa première rencontre avec ce genre de fantôme, un choc bien atténué par sa fascination pour son visage, par ses mots et par la tonalité de sa voix douce, teintée d’un accent de l’Est. Un chevalier déchu, incapable de tuer son prochain et qui préfère la chaleur des cordes de musique à la froideur du fer fraîchement forgé.
❝Tout ce que je détestais, normalement.Tout ce qu’il a aimé, chez lui.
Il avait entendu parler de ses textes, de ses poèmes. D’éducation noble il les avait lu, récité, joué, interprété à sa manière. Il l’avait cherché par curiosité, une liberté que la mort pouvait lui offrir. Une liberté qu’il a offerte à Guillaume.
❝Nous étions deux passionnés, mais moi, j’étais encore enchaîné à des principes de vivant. Il m’a ouvert les yeux sur les possibilités que la mort m’offrait et ça m’a fait un choc. Je voulais le remercier pour ces heures passées à parler.
De tout.
De rien.
Alors je lui ai proposé le gîte, en échange de sa musique. Il a accepté rapidement et je crois que ça m’a rendu heureux.Ce qu’il voyait comme la naissance d’une amitié forte, solide, fusionnelle.
❝Je lui ai demandé son nom
Et il m’a répondu, le sourire rayonnant.Amaury.
1271
❝Je me souviens encore de la nervosité que j’ai ressenti ce jour-là.
La gorge nouée, à m’en rauquer la voix.
Les mains moites, humidifiant le papier.
Les lèvres tremblantes et balbutiantes.
Alors que lui brillait tant, le luth entre ses doigts.
Les plis aux coins de ses yeux lorsqu’il m’a vu.
Sa voix douce qui prononce mon nom.Il en avait passé des nuits sans sommeil à tenter de comprendre quel était ce sentiment qui lui serre le cœur. Il s’était demandé si c’est ça, la fameuse amitié, lui qui n’avait jamais eu le moindre ami. Difficile de s’entourer d’ami·e·s lorsqu’on est chevalier ; lorsqu’on est Duc. Et que bien trop de monde voulaient voir sa tête tomber. Il s’est accroché pendant des années, des décennies durant. C’est forcément de l’amitié, n’est-ce pas ? C’est forcément parce qu’il le voit comme un frère d’arme, un frère d’art, n’est-ce pas ? Mais il s’est rendu à l’évidence ; même Amalberge n’avait déclenché telle vague de sentiments chez lui. Il redécouvre l’amour ; le cœur qui manque un battement lorsque ses mains frôlent les siennes, les regards à la dérobées, le bonheur de l’écouter jouer et chanter assis à ses côtés.
❝Je voulais me contenter de rester auprès de lui. De taire ce que je souhaitais lui crier.
Si je n’énonçais rien, il ne pourrait savoir et il ne pourrait m’abandonner. Je pensais être étrange, insolent avec mes sentiments. Il est difficile de se défaire de ces pensées sombres qui me répétaient que j’étais tordu, louche.
Mais je n’aimais pas lui mentir, lui qui me regardait aussi tendrement, aussi gentiment. Lui qui m’inspirait sans qu’il le sache, alors j’ai formulé ce que je voulais lui hurler à travers un poème, étant loin d’être aussi doué avec les mots que je semble le laisser croire.
Tout joyeux d’une joie d’amour,
Plus profond je m’y veux plonger,
Et puisque veut parfaite joie,
Tous mes efforts ferais porter
Vers le parfait entre les damoiseaux,
Le plus beau à voir et à entendre.
Le savez, n’ai de vantardises,
De grands los ne me sait couvrir.
Mais si jamais joie peut fleurir,
Celle-là son grain portera,
Entre tous resplendira
Comme lune en son entier.
❝Ses yeux plus brillant que des perles m’ont fixé alors que son sourire me faisait perdre tous mes moyens. Je me souviens encore lorsqu’il m’a dit que le poème était magnifique.
Et qu’il m’a demandé si c’était adressé à ma future compagne.
C’est cette candeur et douceur qui me plaisait chez lui, bien que cette fois-ci ces qualités se mettaient en travers de mon chemin. J’ai pris sa main douce dans la mienne, si tremblante, alors que je lui expliquais que ce poème lui était dédié.
Que je l’aimais.
J’espérais secrètement que ce soit réciproque, mais je ne m’attendais pas à ce qu’il m’embrasse aussi tendrement en m’avouant que lui aussi. Qu’il a écrit tant de musiques en pensant à moi sans jamais oser me les montrer.
Si je n’avais pas déjà été un fantôme, je serais probablement mort de bonheur ce jour-là.1390
Après l’officialisation de leur relation, ils sont restés encore quelques temps près de Calais. Mais à force de discussions, Guillaume a admis que fuir sa famille et son passé ne servait à rien alors ils ont décidé de repartir pour l’Aquitaine, plus exactement pour s’installer à Bordeaux vers 1300. Il avait le soutien d’Amaury, toujours près à l’écouter et le rassurer. Même après quelques années de recherches, il ne trouve ni ses enfants ni ses anciennes femmes mais il fait la rencontre de certain·e·s de ses descendant·e·s, ce qui l’aide à faire la paix avec son passé. Ce qui l’aide, c’est aussi de maintenir une routine très similaire à celle qu’il avait en tant que chevalier, n’abandonnant jamais l’entraînement. Il continue d’écrire et diffuser de nombreux poèmes, chants … Une passion -et un métier plutôt lucratif, surtout grâce à ses connaissances et son ancien statut de Duc.
Avoir fait la rencontre de sa descendance lui a redonné le goût de l’affection paternel qui lui manquait depuis sa mort. Il s’occupait parfois d’enfants, leur apprenant à lire, écrire. Il racontait des histoires sur fond de musique joué par Amaury. Petit à petit, ça lui a donné envie de faire quelque chose pour ces enfants morts bien trop jeunes.
❝J’ai entamé une correspondance avec le nouveau roi du Monde des morts, Robin des bois. J’espérais pouvoir avoir son accord et son aide pour un projet de refuge. Il m’a appris qu’il en existait déjà quelques-uns à travers le Monde et finalement après des années d’échanges, les choses ont commencé à bouger.Agissant comme un mécène, il a surtout contribué financièrement et logistiquement à la création d’un Refuge pour Bordeaux. Il a également aidé à prendre contact avec d’anciens nobles lettrés pour donner des cours aux enfants et petit à petit le Refuge a trouvé un rythme de fonctionnement agréable un peu avant 1358. C’est après cette période qu’il s’est proposé d’être un aidant bénévole et qu’il rencontre Louis, qui deviendra plus tard Lucien.
❝Je m’en souviens encore. Un jeune futur prince, mort bien trop tôt. Timide mais avec du caractère. Il me faisait penser à mes enfants et Dieu, qu’ils me manquaient. Alors je me suis pris d’affection pour lui, et Amaury aussi. Nous sommes devenus ses aidants mais nous étions plus proches que ça ; comme si nous étions ses parrains. Nous avons aidé pour son éducation, pour qu’il ne manque de rien et qu’il soit bien nourri. J’avais peur de trop m’attacher et de trahir le souvenir de mes enfants … Alors je gardais une certaine distance avec lui. Mais Amaury l’aimait presque comme un fils et il était difficile de faire comme si ça n’était pas le cas pour moi également.C’est aussi à cette époque qu’Amaury et moi, nous avons décidé de voyager autant que possible et nous avons emmené assez souvent Louis avec nous. Je n’avais jamais connu autre chose que l’Aquitaine et j’avais envie de voir, de sentir, de vivre réellement. Ironiquement, c’est la mort qui m’a redonné un souffle de vie. Avec l’aide d’Amaury.
1471
❝Nous nous sommes enfin mariés. Je ne pensais pas pouvoir être plus heureux et pourtant, pas un poème ne serait assez fort pour exprimer ce que je ressens. Les mots ne sont plus suffisants face à tant de bonheur et il est difficile pour moi, un poète, de l’admettre. Nous avons choisi de faire quelque chose de simple, entouré des personnes qui nous sont le plus chers. J’avais si hâte d’être sien ; et qu’il soit mien. Je n’aurais jamais cru pouvoir l’appeler un jour mon mari ; même de l’écrire cela sonne si doux. Si réel.
J’ai voulu rendre hommage à mon fils et couper enfin les liens qui me retenaient à mon ancienne vie. Guillaume Raymond de Peitieus, un poil prétentieux mais après tout je me dois de faire honneur à mon image de poète. Maintenant je dois me préparer pour ce long voyage autour du Monde, notre manière à nous d’en profiter en tant que jeunes mariés.1562
❝Amaury est tombé malade. Je m’inquiète, beaucoup.
Cela fait quelques semaines que nous sommes en Colombie, un bien joli pays. Cependant il s’est mis à vomir il y a deux jours de ça, ce qui peut arriver. Moi-même j’ai l’estomac qui a fait preuve de faiblesse plus d’une fois depuis le début de notre voyage mais lui … Il s’est mis à vomir du sang. Je dois l’avouer, j’ai perdu plus d’une fois mon calme et je me suis demandé s’il allait mourir. Pour de bon. J’en ai pleuré et je suis resté à son chevet depuis. Je ne peux expliquer à quel point le voir souffrir me peine, alors que je tente d’essuyer les filets de sang rouge écarlate qui maculent ses cheveux blancs. Il essaye de me faire sourire entre deux quintes de toux et je lui demande de juste se reposer mais il est fort têtu.
Je l’aime. J’ai peur.
❝Un croque-mort nous a parlé d’une gastro-nécrotique. Du repos et le nourrir avec du sang venu du Monde des vivants. Difficile de s’en procurer. Je n’ai jamais été aussi heureux de posséder telle fortune, ce qui nous aide présentement. Il se plaint que le sang a un goût affreux, similaire à une mauvaise soupe qui aurait tourné. Je pense qu’il essaye de me rassurer et de me distraire et je lui fais croire que ça marche alors que l’inquiétude me ronge.
Si la moindre déité existe dans ce monde, s’il vous plaît.
Protégez-le.
L’amour que je lui porte est bien trop immense et je préférais laisser le Monde vide de ma place plutôt que de la sienne.
❝J’ai peur.
❝La fièvre se stabilise, mais il dort plus qu’un ours en hibernation. Le croque-mort semble trouver cela encourageant.
Il dort probablement pour deux, puisque je n’ai pas fermé l’œil depuis près de cinq jours.
❝Amaury se sent bien mieux, Dieu merci. Il mange, il boit et il a même réussi à jouer un peu, ce qui a semblé l’apaiser grandement. J’ai dû réfréner bien des envies de le serrer fort entre mes bras et de couvrir chaque recoin de sa peau de baisers mais il m’a été recommandé de le ménager alors je me contente de lui tenir la main et de rire à ses facéties.1563
❝Nous voilà de retour en Aquitaine. Amaury souhaitait reprendre le voyage mais je dois avouer que sa maladie m’a totalement effrayé et j’ai cru le perdre pour de bon. Il a cédé à mon caprice d’enfant et nous revoilà chez nous. Louis m’a manqué et je pense que ça été réciproque, malgré les lettres.1596
❝Cette fois-ci c’est moi qui aie cédé. Amaury désirait ardemment adopter un chat et nous voilà avec une magnifique créature envahissante sur les bras. J’ai eu le privilège de la nommer en échange d’avoir accepté qu’elle rejoigne notre foyer alors j’ai choisi de rendre hommage à ma petite fille Aliénor. Cela lui va parfaitement, elles ont toutes les deux un fort caractère. Mais je ne l’échangerais contre rien au monde et elle fait une parfaite distraction pour m’échapper un peu de mon travail. Depuis peu, j’essaye de mécéner de jeunes auteurs occitans et je dois avouer que j’ai plaisir à lire leurs travaux ; même si cela me prend du temps. Amaury en profite pour travailler sur plusieurs compositions, notamment celle pour un opéra local. Je suis ravi de le voir aussi épanoui et de voir que sa musique touche de plus en plus de cœurs même si je dois avouer que, jalousement, j’aurais aimé garder son talent juste pour mes propres oreilles.1623
Des cris, des mots qui semblent s’échapper avec violence de la bouche de Guillaume. Il tape du poing sur la table du salon, pointant ensuite du doigt Amaury qui semble essayer de se défendre, les larmes aux yeux. Une sensation de trahison chez le poète et une frustration grandissante chez le musicien. La première et la plus forte querelle au sein du couple depuis leur rencontre. Une accusation de possible infidélité ; pourquoi composer pour un autre ? Pourquoi parler aussi longuement avec un autre ? N’est-il pas suffisant ? Leur amour est-il si insignifiant à ses yeux ? Guillaume se prend le visage entre les mains, incapable de trouver la paix, ignorant les réponses de l’homme qu’il aime. Aveuglé par la colère et la jalousie, cette vilaine.
Amaury lui dit qu’il l’a toujours trouvé passionné, même en amour. Mais cette passion a laissé place à de la possession et il ne peut le supporter ; il ne peut rester silencieux. Le déséquilibre se créé entre eux et il ne pourra tolérer de le voir ruiner leur amour à cause de son incapacité à se défaire de la terreur et l’inquiétude qu’il ressent depuis sa maladie. Oui, il a toujours été jaloux, un peu. Maintenant, il l’est trop, bien trop pour que son cœur puisse l’endurer sans souffrir. Il ne le trahit pas, cela n’a jamais été son attention. Il travaille simplement, il fait vivre son art tout comme
lui. Et s’il ne peut le comprendre par ses mots, alors rien ne pourra réussir à l’atteindre.
Mais ces mots, justement, lui font plus mal que n’importe quelle gifle possible. Il a failli le perdre à cause de la maladie et voilà que cette fois-ci c’est lui qui risque de causer sa perte. Il s’effondre face au monstre qu’il est devenu ; depuis quand ? Combien de temps ? Pourquoi ? Les excuses ne suffisent pas, il le sait, malgré la force que les mots peuvent posséder. Il doit agir. Est-il finalement resté un enfant aussi capricieux, aussi fantasque ? N’a-t-il pas grandi depuis sa mort ? Il s’en veut, terriblement. Il s’est excusé, tant de fois, promettant de changer. De devenir meilleur, pour lui. Amaury lui a demandé de devenir meilleur, pour lui-même.
Il a si honte d’avoir pu lui faire du mal, ne serait-ce qu’un instant, aveuglé par des peurs irrationnelles dont lui seul est responsable. La honte fût telle qu’il n’écrit qu’une seule note suite à cette journée.
❝Je me dois de changer.1796
❝Je ne pensais pas que lancer sa maison d’édition serait aussi fastidieux. J’ai mis beaucoup de projets un peu trop pesants de côté depuis … L’incident. Les choses vont mieux, je ne ménage pas mes efforts et je ne compte pas m’arrêter avant de tomber en poussière. Mais cette édition c’est important, pour moi. Le monde change, la langue évolue et c’est une chose magnifique. Mais la beauté de la langue occitane me manque et petit à petit j’ai peur qu’elle finisse par disparaître, par être oubliée. Et même si ce n’est qu’un grain de sable dans l’immense désert que représente le Monde d’aujourd’hui ce sera toujours le mien, de grain de sable. L’aide de mon vieil ami Pierre m’est bien précieuse pour ce projet, surtout pour enfin comprendre comment toutes ces machines fonctionnent. Amaury m’apporte tout son soutien et je ne sais pas si je le mérite mais cela ne m’empêche pas de l’accepter. Et de lui faire honneur. Il a essayé de deviner le nom de l’édition et il est particulièrement doué pour me soutirer des informations, mais je tiens bon.
Je veux que ça soit une surprise.
Je veux qu’il puisse savoir, en l’apprenant, qu’il en est mon inspiration, ma muse. Après tout, c’est mon âme sœur je ne peux lui annoncer simplement comme ça, sans les formes.
❝A toi, mon petit tournesol.
1847
❝Amaury n’est pas dans son état normal.Ses notes semblent confuses. Il écrit, puis s’arrête, avant de reprendre. Il rature, il déchire, avec frénésie. Ses souvenirs se mélangent.
Comme tous les vampires, Amaury a besoin de se nourrir. Et bien qu’il connaisse depuis longtemps le poids à porter pour sa propre survie, il respecte un code moral, quelque chose qu’il ne peut se permettre de transgresser. Mais il est difficile, même pour un vieux vampire, de toujours garder le contrôle et ce jour-là, un drame frappe de nouveau à la porte du couple.
❝Je lui ai répété que ce n’est pas de sa faute.
Je l’ai tenu dans mes bras, le sentant se briser, essayant de rattraper chaque morceau de son âme. J’ai essayé de les refixer, avec des mots, avec de l’amour.
Je me sens impuissant. Comment puis-je dire sans paraître hypocrite qu’il n’a pas à s’en vouloir pour avoir pris la vie de deux enfants innocents, qui ont eu comme unique malheur de le voir se nourrir sur leurs parents ?
Pour pouvoir dissimuler ?
Pour pouvoir survivre ?
Pour pouvoir continuer d’être à mes côtés.
Je ne peux pas. Je ne suis même pas capable de réellement le rassurer et il le sait. Il le voit dans mes yeux, lui qui me connaît mieux que quiconque.
Je déteste ma propre faiblesse.De cet incident, Amaury sombre dans la torpeur, incapable de parler, de manger. Il ne sort plus de chez eux, se réfugiant dans les draps le visage en pleurs. Le Croque-mort local tente de rassurer Guillaume en lui disant qu’il est en état de choc, que ça passera. Mais les jours et les mois défilent et son état ne s’améliore pas. L’idée de lui faire ingérer une potion d’oubli traverse l’esprit du poète mais il sait au fond de son cœur que son mari ne lui pardonnera jamais, alors il s’occupe de lui. Le rassure. Lui apporte de la tendresse, de l’amour. Mais les choses changent et la maison qui était si coloré auparavant perd de ses couleurs.
Amaury met deux années entières avant de réussir à enfin sortir de la maison. Guillaume en profite pour lui proposer de déménager, de se rapprocher de la mer qu’ils aiment tant. Il décide également de passer les rennes de sa maison d’édition à son ami, en 1888, pour se focaliser pleinement sur la rémission de son mari.
1890
❝Amaury semble redevenir lui-même petit à petit. Je sais que les choses ne seront plus jamais comme avant et j’en ai fait mon deuil, car rien ne pourra m’empêcher de l’aimer.
Nous avons voyagé de nouveau, un peu. Entre nous, dans notre bulle. Le voir sourire, rire, j’en ai presque versé des larmes de joie. Et lorsqu’il m’a présenté son cadeau je n’ai pu les retenir.
Un concerto. Qui m’était dédié. Tout en langue d’Oc.
Rempli d’amour. De douceur.
Aucun poème ne saurait atteindre telle beauté.
Chaque soir, désormais, il me joue un petit bout du concerto. Entendre ces notes résonner dans mes oreilles alors que ma tête est posée sur ses genoux … Je ne regrette en rien que le Paradis n’existe pas, puisque cela m’a permis d’être à ses côtés.
❝Cependant je le trouve parfois un peu plus pâle de d’habitude. Par moment, il ne semble pas m’entendre lorsque je l’appelle. Selon lui, c’est de la fatigue.
Malgré tout j’ai décidé de lui faire confiance et ne plus douter de lui comme j’ai pu le faire. Avant.1969
Une maison, vide.
Une maison, silencieuse.
Guillaume ne peut oublier ce matin. Ce matin où il est étonné de ne pas voir son mari à ses côtés en se réveillant. Ce matin où il s’est levé, seul. Ce matin où il l’a appelé plusieurs fois, sans réponses.
Ce matin où il vit les cendres d’Amaury sur le sol de la cuisine.
Il ne comprend pas tout de suite. Il s’arrête, il se demande ce qu’il voit. Puis il l’appelle, encore et encore.
Amaury.
Amaury.
Amaury.
Amaury.
Amaury … ?Le doute, puis la panique le saisit. Les mains qui tremblent. L’envie de vomir, la main sur la bouche. Les genoux qui semblent le lâcher alors qu’il hurle son nom.
Est-il dehors ?
Est-il dans le jardin ?
Est-il auprès de Lucien ?
Il ne se souvient pas d’avoir couru dans toute la maison en hurlant son prénom, poussant les portes à la volée avec tant de force que le voisinage commence à s’inquiéter. Il sort en robe de chambre, dehors, pieds nus. Il continue de hurler son prénom, le visage couvert de larmes. Ça ne peut pas être ça, ça ne le peut.
Il refuse.
Il ne veut pas.Il revient peu après, accompagné de ses voisins. Ils savent, il rejette l’idée. Ils essayent de lui parler, mais il hurle plus fort. Il s’effondre pour de bon, se tenant à ce qu’il peut.
Il est misérable.
Faible.
Seul.
Terriblement seul.
Pour toujours.
Il lui faut plusieurs jours pour réussir à sortir du lit, pour réussir à passer de nouveau devant cette cuisine. Mais la vision même du sol où il devait se trouver
à ce moment-là suffit à ce qu’il s’écroule. Il ne peut pas, c’est trop dur.
Pourquoi ?
Ils avaient encore tant de temps.
Pourquoi ?
Il lui souriait encore la veille.
Pourquoi ?
Il avait encore tant de choses à lui dire.
Les semaines passent. Il ne peut se résoudre à s’en occuper, alors ses proches disposent des cendres pour lui. L’urne lui semble si minuscule. Si fragile. Il va s’étouffer s’il reste dedans.
Son tendre et doux tournesol va faner s’il ne le libère pas.Incapable de raisonner correctement.
Les mois passent. Il se résout enfin à toucher à ses affaires, petit à petit. Il trouve des carnets, des notes. Et une lettre, qui semble fraîchement cachetée.
Une lettre qui lui est adressée.
Il y fait part de sa culpabilité, de son incapacité à vivre avec ses crimes, des cauchemars. De son amour pour lui, amour qu’il espère emmener dans ce qui suit après. De sa volonté de ne plus jamais nuire aux Vivants. De ne plus se nourrir, même par un autre moyen. Du dégoût qu’il ressent à l’idée même de boire du sang. De la faiblesse qui saisit son corps, de plus en plus. Des pages remplies d’excuses pour sa lâcheté, pour oser l’abandonner, pour savoir qu’il se met en danger. Des petits mots d’amours, de la tendresse, des souhaits, des traces de larmes au milieu de l’encre. Il le savait ; mais il n’a rien fait. Il le savait ; et Guillaume l’ignorait. Il lui faisait confiance.
Il l’aime tant.
Il sombre de nouveau. Il ne peut rester dans ce Monde sans lui ; ou plus exactement il peut. Mais il ne le désire pas. Il joue avec son alliance lorsque le nécromancien lui présente la potion.
La mort garantie, rapide, sans douleur. Ce à quoi il aspire.
Mais les choses se passent mal. Il ne meurt pas, pas réellement. Son corps semble pourrir mais il est encore là, bien debout. Son reflet l’effraie et le choc est tel qu’il en perd conscience. Ses proches le retrouvent, ils l’aident du mieux qu’ils peuvent. Il se réveille plusieurs jours plus tard, perdu, confus. On lui explique, il comprend ce qu’il est devenu. Ce qu’il est, maintenant.
Zombie.Il n’a pas le droit au soulagement, simplement à plus de souffrance. Il ne veut pas se battre, il ne veut plus, il veut juste
le rejoindre. Il tombe malade et le délirium finit par ronger son corps et son esprit, le forçant à rester alité plusieurs jours. Il réclame son mari en permanence, sans avoir conscience qu’il ne peut le revoir, ne serait-ce qu’une dernière fois.
Il ne peut plus respirer.
Comment faire sans lui ?Même une fois guérit, Guillaume refuse de prendre soin de lui, se laissant dépérir. C’est le regard et la présence de Lucien et la relecture des mots de feu son mari qui finissent par réussir à le sortir du puits sans lumière dans lequel il est tombé. S’il doit s’accrocher, il le fera. S’il doit continuer, il le fera. Il décide simplement de ne plus se préoccuper des dangers et des risques que peuvent engendrer certains de ses agissements, laissant son destin entre les mains de la chance.
Et si cela doit précipiter son trépas, il n’y voit aucun problème.
1974
❝Me voilà de retour à Tokyo, accompagné de Lucien mais sans Aliénor qui nous a malheureusement quitté peu de temps avant notre départ. Je ne pensais pas revenir ici mais je ne pouvais pas continuer à vivre en France après
…
Je me suis dit que revenir là où il a le plus de monde me semblait être la meilleure solution. Je veux que les choses changent, pour les zombies. Ce n’est pas normal de voir autant de gens souffrir à cause des nécromanciens, en silence. Je ne sais pas si j’arriverais à faire quoi que ce soit, mais autant utiliser le temps qu’il me reste pour les autres. A défaut de l’utiliser pour moi-même. Pour commencer il faut que je puisse m’installer convenablement alors j’ai commencé à suivre des cours de japonais pour entamer plus tard des études. Pour devenir archiviste. Ou bibliothécaire. J’ai encore du mal à m’intégrer, je ne maîtrise pas le japonais aussi bien que je le souhaiterais mais je dois m’accrocher. Au moins, Lucien semble se faire à la vie ici. Ça me rassure.1984
❝J’ai enfin obtenu mon diplôme, et une place à la Tokyo Metropolitan Library. J’ai aussi eu toutes les peines du monde à trouver un ou une nécromancien·ne de confiance pour les potions, mais je crois que je suis enfin tranquille de ce côté-là. Mon japonais s’est bien amélioré et je me sens … Je ne sais comment décrire ce sentiment. Je me sens comme seul au milieu d’une foule qui court, là où je peine à faire ne serait-ce qu’un pas en avant. Je commence à m’entourer, à avoir même ce que je pourrais appeler des proches. Et pourtant il me manque.
Il me manque tant.
Sa voix. Sa douceur. Son sourire.
J’ai peur de l’oublier.
Ma mémoire sature de souvenirs et je sais que les premiers temps après ma mort sont devenus ... Plus flous. Plus confus, aussi. Je mélange les dates, j’inverse des événements. Alors je relis mes notes, je regarde parfois nos photos mais c’est dur. Si dur de revoir son visage sans être capable de pouvoir le toucher, de pouvoir le caresser.1999
❝J’ai finalement décidé de partir travailler aux Catacombes. C’est calme, c’est ce dont j’ai besoin.
J’ai repris l’écriture, aussi. Mais je n’arrive pas à me résoudre à publier de nouveau. Ces poèmes je les ai écrits pour lui, mais il ne peut les lire. Alors à quoi bon ? Je me sens vide.
Si vide.
Et rien ne change.2002
❝L’avantage de travailler en bibliothèque c’est que je croise énormément de monde. Des étudiants, des professeurs, de simple curieux. Je réussi de plus à plus à repérer facilement les autres fantômes comme moi. Des zombies. Parfois je les entends parler, parfois ils se confient. La situation semble bien pire que je ne le pensais et je ne peux rester les bras croisés, c’est trop douloureux.La nouvelle « vie » de Guillaume semble lui ouvrir les yeux sur les inégalités présentes même dans le Monde des morts. Des nécromancien·nes mal intentionné·e·s, des fantômes en souffrance. Alors il décide d’utiliser ses connaissances mais également ses muscles pour aider à changer les choses en devenant mercenaire. Son entraînement quotidien sur plusieurs siècles trouve enfin un sens. Bien sûr, il n’accepte d’aider que les personnes dans le besoin et en priorité les zombies. Intimidation, négociation, menace, protection, il refuse simplement l’utilisation de la violence trop excessive ou non-justifiée, bien que la colère puisse le saisir parfois. Son nom commence à circuler dans les groupes de soutien et parmi les zombies, surtout qu’il refuse toute forme de paiement.
Et qu’il se fiche bien de ce qui peut lui arriver.
Ou au moins, au début.
2014
❝J’ai décidé de calmer mes activités de mercenaire et de me focaliser un peu plus sur mon travail en tant que bibliothécaire. Je vois l’inquiétude dans les yeux de Lucien et je ne peux me résoudre à le laisser seul. Je me sens toujours vide … Mais un peu moins. Petit à petit je sens le trou béant qui me sert de cœur se remplir. J’ai lutté contre, je ne voulais pas que ma peine s’en aille.
J’ai peur de tourner la page.
Mais je suis fatigué.
❝J’ai commencé récemment à travailler comme conteur bénévole auprès des enfants du Refuge et ça me rappelle de tendre souvenir. Je déclame, parfois je chante et je repense à lui. Je suis sûr que ça le ferait rire de me voir ainsi, à imiter la voix de monstre ou de petites fées. Serait-il heureux de me voir sourire de nouveau ou est-ce qu’il m’en voudrait ?
Non. Je sais qu’il serait heureux, si heureux.
Il me manque. Pas un jour ne passe sans que je pense à lui.
Pas un.
Je vais continuer d’essayer, de m’accrocher.
Jusqu’à ce qu’Amaury vienne enfin me chercher.Résumé & sources :
- 1127 : Mort de Guillaume.
- 1128 : Départ de Tokyo pour repartir en France. Le voyage dure un an.
- 1129 : Arrivé en France. Il s'installe près de Calais dans une petite maison de campagne pour éviter sa famille. Il écrit des poèmes sous un pseudonyme avant d'écrire sous son vrai nom.
- 1209 : Rencontre avec Amaury, un ancien troubadour devenu vampire mort récemment. Ils deviennent amis et Guillaume l'accueille en échange de sa musique et de sa compagnie.
- 1271 : Il tombe amoureux d'Amaury et lui écrit un poème pour lui déclarer son amour. Leurs sentiments sont réciproques et ils se mettent officiellement en couple avant de déménager à Bordeaux, en Aquitaine.
- 1390 : Il aide à la construction d'un Refuge à Bordeaux. Amaury et Guillaume se proposent comme aidants et deviennent les aidants de Louis (qui deviendra par la suite Lucien). Il s'attache fortement à Louis qu'il considère secrètement comme un neveu proche puis plus tard un fils.
- 1471 : Guillaume et Amaury se marie officiellement, deux ans cents jour pour jour après l'officialisation de leur relation. C'est un mariage en petit comité. Ils décident ensuite à faire un voyage autour du Monde.
- 1562 : Amaury attrape la gastro-nécrotique alors qu'ils sont en Colombie. Guillaume s'inquiète et a peur de le perdre mais il finit par guérir.
- 1563 : Retour en France.
- 1596 : Ils adoptent un chat que Guillaumme nomme Aliénor en hommage à sa petite fille. Il devient également mécène pour de jeunes auteur·ice·s alors qu'Amaury compose pour de l'opéra.
- 1623 : Une dispute éclate entre Guillaume et Amaury à cause de la jalousie de Guillaume. La relation commence à prendre un virage toxique mais les mots d'Amaury poussent Guillaume à changer et faire un travail sur lui-même.
- 1796 : Il lance sa maison d'édition Le Tournesol blanc pour promouvoir la poésie occitane.
- 1847 : Son mari se nourrit sur deux enfants pendant une de ses sorties dans le Monde des vivants qui ont été malheureusement témoins de sa chasse. Il se referme sur lui-même et Guillaume finit par confier sa maison d'édition à un ami pour venir en aide à son conjoint.
- 1890 : Guillaume voit l'état de son mari s'améliorer. Ils décident de déménager plus près de la mer pour changer de paysage et aider Amaury à tourner la page.
- 1969 : Amaury tombe en poussière. Guillaume finit par comprendre que son mari a arrêté de se nourrir de sang depuis des décennies ce qui a précipité sa tombée en poussière. Il essaye de boire une potion pour le rejoindre mais il se transforme en zombie.
- 1974 : Il déménage à Tokyo avec Lucien, pour fuir les souvenirs de son mari et essayer de faire changer les choses pour les zombies.
1984 : Il décroche son diplôme de bibliothécaire et il se met à travailler à la Tokyo Metropolitan Library.
- 2002 : Il est désormais bibliothécaires aux Catacombes. Il devient également mercenaire, pour venir en aide aux personnes dans le besoin.
- 2014 : Après un temps, il décide de ralentir ses activités de mercenaire et de s'investir plus dans son métier de bibliothécaire, motivé par son affection pour Lucien. Il devient aussi conteur bénévole pour le Refuge.
- Aujourd'hui : Il vit dans une colocation, il continue de travailler aux Catacombes, d'accepter quelques missions en tant que mercenaire et ses activités bénévoles. Il écrit de nouveau mais il n'a toujours rien publié depuis les années 70.
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