Yellow stand for bees [Olympe & Céleste]

Je patiente en terrasse, les mains serrées autour d'une tasse de thé encore un poil brûlante, à guetter un signe de la vampire. J'ai su dégager ma journée d'une manière ou d'une autre, ma présence semblait vraiment lui importer beaucoup, ç'aurait été grave de refuser. Et puis je sais pas dire non, alors voilà, j'étais coincée.

Mais en perspective, j'aurais pas grand chose à faire. À part l'accompagner, la rassurer, la guider, la rassurer. Et la rassurer, je sens vraiment que ça va être ma mission. Je jette un oeil à l'intérieur du petit bistro à l'apparence tout à fait innocente. À l'intérieur, une dizaine de chimères dont je connais vraiment que la moitié. Je peux concevoir que ça fasse peur, quand même.

Et elle est là, sans ses faux attributs ordinaires. Je l'invite à s'asseoir un temps d'un geste, j'ai quand même commandé du thé, moi. Puis on est pas pressées. À peine elle arrive que déjà elle me fait part de ses inquiétudes, je souris en conséquence. Non, vraiment, ça doit lui faire de bien d'admettre ses craintes. C'est cathartique.

"Salut, toi."

Je sirote tranquillement, la contemple un temps. C'est qu'elle va changer bientôt d'apparence, autant tenter de garder une empreinte de l'ancienne pour comparer. Je ne peux pas vraiment dire que je sois très enthousiaste à l'idée qu'elle se chimérise? Enfin, ça me déplaît pas non plus, c'est compliqué. Mais si c'est ce qu'elle veut elle, qu'il en soit ainsi.

"Et désolée, je peux pas vraiment te garantir quoi que ce soit, à ce niveau là... La piqûre elle-même ça va, c'est de l'intra-veineuse, c'est pas pire qu'une prise de sang."

Il vous a manqué mon humour? Non, tant pis.

Bon, manifestement Céleste est un peu pressée, je siffle ma tasse d'une gorgée (et je me brûle, merci beaucoup), puis je la suis pour faire acte de présence. J'ai presque honte de l'installation un peu foireuse de la "clinique", un miroir de barbier dans un coin de la pièce et un canapé de récupération pour toute couchette médicale. Et une ampoule qu'on a toujours pas pensé à remplacer, et qu'on oubliera de remplacer à la fin.

Je reste dans un coin, appuyée contre le mur, en silence. C'est qu'il n'y a vraiment pas grand chose à dire, au fond. Juste à faire. J'aurais pu la piquer moi-même, d'ailleurs, et peut-être qu'elle aurait préféré que ça soit le cas. Ça l'aurait plus mise en confiance sûrement. Mais voilà, je m'obstine à refuser, au moins j'arrive encore à poser des limites à ma bonté. En vérité, à la voir là, je culpabilise un peu. Mais c'est fait, on ne réécrit pas le passé.

Elle se métamorphose, je sais déjà que tout ne va pas lui plaire, ça m'arrache un rictus amusé. Rien qui ne puisse se corriger avec des potions, mais ça lui fera un choc. Et ça me permettra de la charrier un peu, elle mérite. La question est posée, la réponse est unique.

"À une chimère."

Quoi? J'ai raison, c'est juste vrai. J'approche, un peu curieuse, je me place derrière elle pour regarder son reflet aussi. Non, vraiment, le bleu ne lui va absolument pas, mais elle doit s'en rendre compte. Je lui masse tranquillement les épaules pour la réconforter, je sais pas trop si elle en a besoin. Pour peu qu'on lui redonne sa crinière d'or, sa nouvelle anatomie ne lui va pas si mal. Non pas que je la trouvais disgrâcieuse avant, loin de là, mais elle est un peu plus élégante.

"Elles sont fonctionnelles, tes petites chéries?"

Je pointe du menton les antennes, mais je crois déjà deviner que c'est le cas. Peut-être pas pleinement, ou pas encore, probablement pas autant que sur de vraies abeilles, mais je demande par curiosité. Elles lui donnent un petit air sympathique, ça pourrait aider pour son image. Quoique ça arrangera pas son attitude.

C'est vrai que je suis peut-être vite partie en besogne, à vouloir tout savoir dans l'instant. Mais elle étanche ma curiosité, calme mes inquiétudes aussi, quoiqu'elle me reprenne sur le volume de ma voix. Je crois pas avoir parlé plus fort que d'habitude, et j'ai franchement une voix douce, donc je comprends aisément que c'est une nouveauté, cette hypersensibilité. Qu'à celà ne tienne, je m'adapte.

"Franchement, voler ça à l'air d'être beaucoup d'efforts pour pas grand chose. Et c'est dangereux, mine de rien."

Je la réconforte comme je peux, mais j'imagine que ça doit être une déception, considérant qu'elle a hérité d'une paire d'ailes. Ou deux plutôt, du peu que je sais de l'anatomie des hyménoptères. Mais elle aura tout le temps d'essayer plus tard, surtout que là, y'a un plafond au dessus de sa tête.

"Et elles sont adorables tes antennes! Ça te donne un air... sérieux mais décontracté, elles sont parfaites, vraiment."

Bon, j'ai un peu été prise de court pour les compliments, je sais pas vraiment comment décrire ce que ça ajoute à son visage, mais clairement les antennes doivent rester. Qu'elle le veuille ou non, cette fois-ci, je prends les rênes. Je la convaincrai de leur importance quoi qu'il m'en coûte, hors de question de les cacher. Et puis, elle voulait être chimère oui ou non?

Je tiens juste à ce qu'elle garde ses antennes, voilà, et j'ai pas à me justifier.

"Franchement, tu t'en tires à bon compte."

J'évite de rajouter comparée à d'autres pour ne pas accentuer que je parle de mon cas, ç'aurait été un peu égocentré, mais c'est bien le fond de ma pensée. J'ai un geste de remerciement pour la chimère qui a fait l'injection, elle nous laisse à nos contemplations. De toute façon, Céleste est des nôtres maintenant, elle est ici chez elle. Enfin presque, on devra quand même partir avant la fermeture.

Quoi, elle voulait vraiment jouer la police des airs? J'avoue que ça me surprend, je finis par croire que c'était une blague. Elle en fait pas souvent des comme ça, pas caustiques ou sarcastiques, alors ça doit avoir une sacré valeur. Ou alors je me trompe totalement et elle espérait survoler la ville pour jeter des cailloux sur les passants. Ça me surprendrait pas forcément de sa part.

Par contre, je reprends ma tâche éternelle de la rassurer, mais j'avoue que là, je manque de moyens. Elle va jamais aimer ses nouveaux attributs, je le sais, je met des coups d'épées dans l'eau. Mais c'est pas parce qu'un combat est perdu qu'il est futile.

"Mais non, tu dis juste ça parce que t'es encore sous le choc, t'as pas le recul. Tu verras, elles te vont comme un gant."

Le pire, c'est que je le pense vraiment, mais elle ne me croire jamais. Elle va certainement se figurer que je dis ça pour lui faire plaisir, pour pas l'inquiéter. Tant pis. Elle a l'air fatiguée, je la relâche enfin, m'écarte un peu. J'avoue ne pas exclure tout de suite la possibilité que ce soit moi qui pue, j'ai mis la même chemise qu'hier.

"Je crois que c'est toi, pauvre petite chose. Mais ne pense même pas à bouger pour l'instant, allonge-toi, je vais nous chercher à boire et à manger. Ça ira mieux quand t'auras repris des forces."

Le comptoir était à quelques dizaines de pas, ça prendra pas bien longtemps. Je reviens en quelques minutes à peine, tenant entre les mains un plateau avec deux tasses et une quantité franchement généreuse de biscuits pour l'orner. Je tire deux tabourets, un pour le poser et un pour me poser à son chevet, je lui tapote l'épaule amicalement.

"Alors, t'es contente?"

Je pose la question, mais s'il lui vient seulement l'idée de se plaindre, je vais me fâcher. Elle a eu exactement ce pour quoi elle était venue, pas question de la laisser ronchonner.

Elle a vraiment pas l'air convaincue par mes arguments, j'accepte déjà la mort dans l'âme que les antennes risquent de devoir vivre cachées. Au revoir, petites choses, le monde est trop injuste pour votre pureté. J'ai presque envie de les titiller pour leur souhaiter adieu, mais je crois sentir que ça va pas plaire à Céleste. Je laisserai couler une larme en leur honneur plus tard.

Pour l'instant, j'entame les gâteaux sans attendre ma patiente. J'ai pas commandé pour deux par accident, je comptais grignoter une partie de sa portion avec. Et je comprends le message, elle aime pas que je sois toute attentionnée, et ça m'étonne absolument pas d'elle. Je me calme pour l'instant, mais elle doit très bien savoir que j'oublierai d'ici quelques jours.

"Hé, tu viens quand même de chambouler ton anatomie entière, c'est pas comme si tu venais de te fouler la cheville."

Mais bon, elle veut pas qu'on s'inquiète pour elle, grand bien lui fasse, je m'inquiète de l'état de ma tasse trop remplie. Par contre, ça me frustre un peu qu'apparemment, ça lui crèverait le coeur d'admettre pour une fois qu'elle est satisfaite en des mots simples. Si elle a pas encore grogné, c'est que ça lui plaît, mais impossible de lui faire l'admettre. Ou alors en la traînant jusqu'à la piscine pour la menacer d'une petite baignade, j'ai retenu la technique.

"T'as sept heures pour t'habituer. Quoique si tu demandes, la propriétaire te laisserait sûrement dormir ici. Oublie pas que maintenant, tu fais partie d'un... truc. Gang. Je sais pas."

Dans une arrière-boutique, poussiéreuse, sans fenêtre. Je me doute bien qu'elle compte pas dormir ici, mais au moins c'est une possibilité. Mais bon, je me suis engagée à la raccompagner mentalement, alors j'attendrai.

"Je peux aller dans l'autre salle si tu préfères rester seule."

Elle veut être grande et forte, sans faille sans défaut. Ça doit pas lui plaire beaucoup, que je la voie dans tous ses pires moments. Une chance que je sois ni envahissante ni cruelle. Bon peut-être un tout petit peu envahissante. Mais ça part d'une bonne intention, enfin, je m'inquiète.