Yellow stand for bees [Olympe & Céleste]

Elle avait pas besoin de me le rappeler, mais effectivement, Céleste est solide. Physiquement, comme mentalement, je dois avouer à demi-mots que je l'admire un peu pour ça. Elle ne laisse personne lui marcher sur les pieds, répond à chaque assaut avec hargne, s'incarne pour ne pas se faire écraser par le poids du monde. Je baisse les yeux, pouffe un instant, j'ai vraiment beaucoup à apprendre d'elle, hein?

Elle se retente à l'humour -décidément, elle doit être malade- et m'arrache un sourire sincère, je rebondis sans gêne.

"Bien sûr. J'ai menti sur tout, j'ai six-cents ans, je fais deux mètres dix et je jette des hommes par la centaine dans des ronces et des orties. Jure allégeance à Olympe la Terrible!"

J'aurais même pas pu faire peur à un enfant avec ce genre de discours, mais ça va que c'était une farce. Peut-être que d'ici quelques siècles, je le dirai au premier degré, qui sait de quoi est fait l'avenir? Et ça me fait un peu plaisir, mais elle préfère que je reste. Enfin, elle le dit comme si elle tolérait à peine ma présence, mais j'ai appris à lire entre les lignes.

Je porte ma tasse à mon nez, confirme ce que je suspectais. Il sent vraiment rien, ce thé.

"Je crois que ça vient de tes nouveaux gênes, cet odorat. Je sens rien."

Je sais pas vraiment pourquoi je le dis, elle doit l'avoir compris seule. Me vient quand même une question fondamentale, puisqu'elle a l'air capable de percevoir le moindre arôme dans l'air, un peu de curiosité malsaine.

"Moi je sens bon, au moins?"

Je tend un peu le bâton pour me faire battre, mais je compte sur elle pour mentir si c'est pas le cas. Je l'en sais plus que capable, c'est admis. Et je risque pas de lui en vouloir.

De toute les chimères que je pouvais connaître, m'est avis qu'elle serait précisément la moins dérangée à savoir que je suis dangereuse ou vilaine. Bon, je le suis pas, mais on sait jamais?

Mais voilà, il faut qu'elle râle à nouveau, se plaigne, c'en devient tellement comique que j'en souffle de rire, rictus au coin des lèvres. C'est tellement elle, mais j'ai commencé à la cerner. C'est juste sa manière de communiquer, son réflexe naturel.

"Tu auras juste à te mettre du parfum sur le crâne, avec un peu de chance ce sera tout ce que tu peux sentir, avec ta sensibilité."

Quoique c'était un coup à s'enivrer ou s'intoxiquer, non? Je sais pas trop. Quitte à parler des odeurs, il fallait inévitablement que la mienne tombe sur la table, et c'est pas peu dire que je suis déçue. J'attendais peut-être un peu immoralement un compliment, ou au moins d'être rassurée. Mais non, je sens bon la marée et le chlore. Je peux quand même pas dire que ça me surprend, mais elle n'avait pas besoin de dire la vérité, enfin.

"Ça me va, ç'aurait pu être pire. Ça doit être le chlore qui me colle à la peau."

Je doit trop hanter la piscine pour mon propre bien, je crois. Mais on a tous besoin d'un plaisir coupable, puis c'est relativement innocent comme obsession. Au moins je fais de mal à personne. Je regarde à nouveau ses cheveux, sceptique.

"Tu comptes pas les garder bleus, hein? Tes cheveux."

Ça me paraissait évident, mais autant demander. C'était un peu original, dans un sens, mais pas sûr que l'originalité soit vraiment de ses goûts. Ni la couleur bleue elle-même, en fait. J'en enroule une mèche autour d'un doigt, pensivement. Ça pouvait aller avec ses yeux, il aurait juste fallu qu'elle porte autre chose que du jaune. M'enfin, que de rêveries.

Non, l'idée du parfum était terrible en réalité, elle l'enterre définitivement. Je note quand même qu'au moins, ça l'aurait empêchée de déclarer aux gens qu'ils sentent le chlore. Vraiment, Céleste une grande amie, mais s'il est une chose que je peux lui reprocher, c'est de mentir quand il faut dire la vérité, et dire la vérité quand il faut mentir. Elle a de la chance que je mente jamais, ou alors vraiment en dernier recours, je pouvais pas lui jouer les mêmes tours.

Mais elle a raison, j'ai voulu savoir, je sais. Je me console en me disant qu'au moins, elle est la seule (ou presque) qui peut le percevoir. Reste que ça va me travailler, cette affaire, je vais finir par craquer et porter du parfum, je me connais. Avec quels ossements je sais même pas encore, mais je vais en trouver même quand j'en ai plus. Comme toujours.

"Je... Ah, ouais."

Je laisse fuir le bout de mèche que je lui ai volé, elle le réclame. Je sais qu'elle est pas vraiment tactile, mais quand même? Je me prends le visage entre les mains, les coudes sur les... genoux pour l'image, soyez un peu crédules un instant. Non, ça me ronge quand même, ça m'use. De me voir repoussée à chaque pointe d'attention, d'être tenue à distance quand elle me demande d'être là. Je comprends juste pas. Je laisse émerger mes yeux en glissant mes doigts sur ma machoîre, fixe le large. Il faut que j'en parle.

"Je sais pas, Céleste, je croyais vraiment qu'on était plus proches que ça."

Manifestement, j'ai tort. Elle va pas comprendre, hein? Elle saura pas ce que mes mots signifient, ce que je ressens. C'est trop moi, cette manie de s'attacher, de se croire unis.

"T'as rejoint mon petit cercle de chimères, tu m'as fait confiance pour ton traumatisme, tu voulais que je sois là aujourd'hui... Et puis rien, je sais pas. Je te comprends pas. Il me semblait qu'on avait quelque chose."

Ouais, je dois juste être conne. Je me fais toujours des illusions, des histoires. Non mais je devrais avoir l'habitude, en plus. Je pourrai même pas lui en vouloir, c'est même pas comme si elle avait montré une moindre dose d'interêt à laquelle j'aurais pu me rattacher. Ça a toujours été moi, le problème.

Je croyais que c'était quand même assez clair de la manère dont je l'avais dit, mais apparemment pas assez. Ou alors elle se joue de moi, veut que j'explicite tout ce que j'ia sur le coeur, ça lui ressemblerait bien, tiens. Je suis juste perdue, incertaine, je sais pas ce qu'elle veut de moi. Ah si, plus de clarté.

Elle répète elle-même qu'on est proche, mais qu'est-ce que ça représente, pour elle? Je sais même pas si on a les mêmes conceptions de l'amitié, de ce qu'il y a au delà. J'en viens à douter même qu'elle me considère seulement comme une amie, je sais juste plus ce que je suis. Est-ce que je suis seulement quoi que ce soit, dans son esprit? Est-ce que je lui manque, est-ce qu'elle se demande comment je vais quand je disparais?

"Ben, tu sais, on passe du temps ensemble, on s'avoue nos secrets, on partage un peu de nous, plus qu'on devrait..."

C'est un début, j'ai juste à chercher le courage de finir. Et c'est pas simple, j'imagine déjà les milles visages de dégoût ou de désinterêt qu'elle pourrait prendre, les mots froids et durs qu'elle pourrait me répondre. Je suis vraiment friande des épreuves insurmontables, hein? Faudrait que j'arrête de toujours viser trop haut. Mais en même temps, j'ai pas vraiment choisi.

"Je me suis attachée, quoi. Beaucoup attachée, à toi. Même si on ressemble pas beaucoup, je repense aux moments qu'on partage souvent."

Je tourne autour du pot, je le sais, mais je peux pas faire plus. Pas dire plus. je soupire, lassement. Quoi qu'il passe par sa tête, c'est toujours impossible à lire ou à comprendre.

Et... et je croyais que toi aussi, tu commençais à bien m'aimer, voilà. Plus qu'une amie."

Elle m'avait demandé de lui expliquer, je pouvais pas faire plus succinct. C'était presque un saut de la foi, un message embouteillé jeté à la mer, elle avait le pouvoir de me faire pleurer de joie ou de tristesse, je le lui avais donné. J'ai joué mon rôle, je deviens un pauve pion du destin.

Dans l'attente. L'appréhension. La peur d'une réponse.

Je la vois rougir un peu, ça me rassure. De mon côté, je dois ressembler à une tomate, je sens presque le sang circuler dans les mes veines à chaque instant. C'est dingue ce que des mots, des idées, ça peut me faire physiquement. Je suis trop émotive pour mon bien, on me l'a déjà dit, mais de là à penser que ça affecte ma santé...

Je la vois hésiter aussi, choisir ses mots, tenter de donner du sens à ses pensées difficilement. Je sais au moins que ce n'est pas un non, je m'accroche à l'espoir, à cette flame au loin qui veut me faire croire qu'un monde existe où c'est possible. C'est possible que je ne sois pas la seule à y croire, à la vouloir à mes côtés, à vouloir partager son quotidien.

Mais je n'ai pas de certitude. Ni oui, ni non. Seulement le flou et le vague, "je sais pas". Je regarde au plafond, me vide l'esprit. Pour l'instant, je suis une précieuse amie. Allez, je pleure pas, ça ira. Ç'aurait été trop simple, hein? Ç'aurait été trop facile.

"Y'a pas de "mieux" ou "pire". Juste des gens qui font comme ils peuvent."

Oui, oui, appelez-moi une optimiste, une idéaliste, d'autres l'ont fait avant vous. J'y crois toujours, aucun enfant ne vient au monde avec le mal dans les yeux, et tous ont une chance de se racheter. Surtout après la mort. C'est une question de volonté, de sagesse, de circonstances.

"Et c'est pas quelqu'un d'autre, qui me fait ça. C'est que toi, Céleste."

Je pose ma main sur son épaule, elle avait pas l'air d'être contre la dernière fois, j'avais trop envie de le faire. Comme si ça allait lui communiquer tout ce que je ressens, comme si ça allait la faire se lever pour m'embrasser. Faut que j'arrête de rêver, ça devient usant.

"J'ai vraiment envie que ça soit "comme ça", entre nous deux..."

Quitte à ne pas savoir exprimer bien les choses, autant reprendre ses mots. C'est plus simple, plus facile, si facile. De ne pas nommer les vérités, de taire ce qu'on a peur de murmurer. Je veux tellement de choses, j'en désire autant, et dans tous les recoins de mon esprit: son visage, sa voix. Mais ça dépend d'elle, mon coeur a toujours été à prendre, ça a toujours dépendu d'elle.