Yellow stand for bees [Olympe & Céleste]

Si Céleste se donnait parfois la peine d'exprimer des émotions sur son visage, elle resterait plus simple à comprendre. La pensée me traverse l'esprit, sans que je puissse la réfuter. J'en viens même à me demander si ça fait mal, une telle paralysie du visage, ou si c'est volontaire.

J'écoute, je tends l'oreille, prête à tout entendre. Je rêve de la voir le prononcer, qu'elle souffle les mots que mon imagination lui met dans la bouche, qu'elle m'accepte. Mais elle ne dit rien, me prend la main, le reste du corps. Je me laisse entraîner, suis le mouvement l'enserre de mes bras, trop fort, trop brusquement.

Il n'y a pas d'autres manières de le dire: je m'accroche à elle, ne mesure pas ma force. C'est féral, instinctif, je laisse libre cours à mes pulsions sans retenue ni mesure, je me laisse aller. Son contact, la savoir si proche, j'ai envie de la tenir à jamais. Mes mains cherchent malhabilement leur place plusieurs fois, sur son dos et ses omoplates, sans un mot. Elle n'a rien dit, mais n'a plus besoin de rien dire. Je lui murmure à l'oreille, ma tête blottie contre son épaule.

"Je t'aime, Céleste. Vraiment. Je t'aime fort."

Un peu d'empathie me prend, je desserre l'étreinte que je lui fais subir. Y'a un certain risque que ça laisse des traces, mais c'est comme pour les chats qui griffent et mordent par amour: on me pardonnera. Enfin j'espère. Est-ce que c'est trop tôt pour l'embrasser? J'avoue être incertaine, tiraillée entre désir et raison. La peur de mal faire prend le dessus, je recule un peu, la respiration irrégulière.

"Et alors... Maintenant quoi du coup? On fait quoi?"

Non mais c'est pas clair, comme situation. Selon toute vraisemblance, elle voudra rentrer, et sans moi pour lui tenir la porte de sa chambre. Au moins, je pourrai la raccompagner. C'est déjà ça de gagné.

Pour la première fois peut-être, je la vois rire. Rire et s'amuser, de moi mais qu'importe, elle chante comme une nymphe, sa voix se secoue d'une beauté grâcieuse. C'est nouveau, c'est chaleureux, ça fait plaisir à voir. Il aura fallu une belle dose d'effort pour parvenir à lui arracher un minuscule brin d'hilarité, mais ça valait le coup, et je recommencerai autant de fois que j'en aurai la force. Personne n'a dû lui dire, je le fais pensivement:

"T'es magnifique quand tu ris."

Je la vois s'approcher, dangereusement, je sais pas pourquoi. Elle a raison, ça dépasse tous les scénarios mièvreux que je m'était joués, toutes les fantaisies que j'avais écrites. Elle est là pour de vrai, contre moi, je lui ouvre mes lèvres. C'est tellement elle, d'être si entreprenante et décisive, je l'accepte et l'enlace à nouveau, flattée et fière. J'aurais voulu être raffinée, comme une lady des plus beaux films, mais la vérité est un peu moins grâcieuse.

Je la cherche, joue avec elle, animée d'une fougue sauvage. C'est purement charnel, si loin de l'amour filé par les plumes délicates, mais je m'y abandonne. Je ne veux plus de roses, plus de dîner interminables: juste Elle. Juste Céleste, partout dans mon esprit, partout dans ma vie.

Quand la passion retombe, que nos visages s'éloigne enfin, je reprends un peu mes esprits. Elle a ce don de jouer avec mes émotions, ça m'amuse presque. Comblée et satisfaite, sourire aux lèvres, je murmure:

"Je vais faire des beaux rêves ce soir, tu sais..."

Avec malice, je lui tapote le bout du nez de l'index, puis je réajuste ma chemise. Je me rappelle enfin que loin d'un nid d'amour douillet, on est dans une arrière-salle sale et vétuste.

Mais je regrette rien.

Elle refuse encore et toujours de me rendre mes compliments, mais je sais qu'au fond elle en pense pas moins. Je la garde entre mes bras, j'ai l'impression de vraiment trop la choyer, c'est dans ma nature. Elle devra faire avec.

Elle parle de la sutie, déjà, je pouffe de rire. Non pas qu'elle aie tellement tort, pas vraiment, mais...

"Enfin! Là, c'est toi qui te fait des films, ma grande."

Je m'amuse, joue avec ses attentes. Retourne l'accusation, d'un crime dont je suis aussi coupable. Je suis quand même pas si sauvage, mais j'ai à admettre que l'idée m'a traversé l'esprit. De la garder ici, maintenant, de se permettre le déraisonnable, de m'abandonner. Le lieu est quand même vraiment très mal choisi, ça sera une autre fois. Et un autre jour.

"Et puis tu dois te reposer, on a tout le temps du monde."

Quelques siècles, à peine. Enfin, ça c'est parce que dans ma tête, on restera ensemble pour l'éternité. J'y crois toujours, hein, à l'amour fou et éternel. La réalité me donne souvent tort, mais je m'y accroche. Pour être brisée à nouveau à chaque fois. C'est dur, d'avoir de l'espoir dans l'avenir, quand l'avenir te trahit toujours. Elle veut sa liberté, je réalise que je m'accroche assez fermement, je souris, espiègle.

"J'ai pas entendu le mot magique."

Elle doit pas le prononcer souvent, qui plus est. Je vais devoir lui apprendre les bonnes manières, au moins tenter. J'y crois pas vraiment, elle changera jamais, mais ce sera un jeu. Et elle devra jouer selon mes règles, parce que je compte pas la lâcher de sitôt.

Elle fait la fière et la grande, mais je sens très bien que je pourrais la câliner des siècles sans qu'elle ne puisse rien y faire. Pas avec ses petits bras, en tout cas. Pareillement, elle prétend encaisser le choc, mais je me contente de tirer une grimace moqueuse pour lui répondre. Ouais, elle a l'air toute fraîche pour courir un marathon, j'y crois. Non mais vraiment, je miserais pas sur sa capacité à monter deux volées d'escaliers, là.

Et à part geindre, se plaindre comme toujours, elle demande toujours pas poliment. Je suis pas une fille très embêtante, franchement, mais rien que pour elle je vais être têtue. Et puis franchement, si elle peut encore dire des bêtises pareilles, c'est qu'elle peut très bien respirer. Alors je serre, toujours un peu plus, mais par amour.

"Non non non, pas de blabla, on dit s'il vous plaît madame."

Et elle a interêt à le faire, je crois, parce que là je suis assez convaincue que ça peut devenir douloureux pour elle. Bon, je lui plie pas non plus des os, mais je conçois que je serre assez pour que ça gêne.

"Et à ta place, j'essaierai rien d'insensé. Tu ne sais pas le nombre de batailles de polochons que j'ai gagnées..."

Moi non plus j'ai pas le nombre exact, mais passé un siècle entier de seconde vie à Tokyo, je peux vous dire que j'en ai vues, des guerres de traversins.

Victoire, victoire! Elle se rend, me supplie, m'implore de la libérer. Et je fais, sourire triomphant gravé dans le marbre de mon visage, ma fierté vient de prendre une belle dose de grandeur. Évidemment, je la laisse fuir de mon emprise, je suis au moins fair-play.

"Tu vois, c'était pas si difficile"

Je crois lui avoir sorti exactement la même phrase, un autre jour. Je sais plus quand. Les circonstances devaient pas être très différentes, j'imagine. Je vois qu'elle a pas l'air aussi enjouée que moi. Non, j'ai même peur de l'avoir enervée pour de bon, qu'elle va me renier et me jeter parce que je suis allée trop loin. Allez Olympe, fais ce que t'as à faire, c'est pas perdu.

"Tu risquais pas de mourir, tu sais."

Voilà, une blague, t'es une championne. Je regrette immédiatement, je me maudit d'être comme ça, moi et mon réflexe stupide. Je détourne le regard, tremble un peu, je veux vraiment pas la perdre, mais je sais que j'ai commis une faute. Allez, je m'accorde un instant de panique, puis je murmure, plus gravement.

"Mais ouais, désolée... Je vois que ça te fait pas marrer, je recommencerai pas."

En y repensant, j'aurais pu réaliser qu'elle m'a pardonné pire par le passé, mais dans l'instant, trop de choses sont en jeu pour que sois vraiment pragmatique. Je ne suis qu'une petite chose dansant au gré de ses émotions, moi.