Will you still love me when I no longer be beautiful ? [PV : Valeriane]

C'est pas la première fois que j'oublie de boire en partant chez les Vivants... Enfin, non, je suis pas idiot à ce point. J'essaye de boire ! J'essaye vraiment ! Je pars en chasse, je fréquente des boîtes, je guette quelqu'un à qui la vie ne manquera pas trop ! Mais bon, entre toutes les commissions que je devais faire... j'avais moins de temps pour ça ! Et puis la semaine s'est écoulée et... oh non... Vale va me tuer.

Faut comprendre qu'un vampire depuis cinq ans c'est juste inadmissible qu'il sache pas se nourrir tout seul ! Et, je le répète encore une fois, c'est pas mon cas ! Je sais chasser, je sais mordre, je sais... tuer. Je l'ai déjà fait et je recommencerai. La prochaine escapade je me nourrirai, évidemment. Mais, le problème, là, c'est que je rentre chez les Morts complètement assoiffé et je ne pourrais pas tenir deux mois sans boire à nouveau. Je dois trouver du sang, mais... vous avez pas idée de l'humiliation que c'est d'être un habitué des poches. On est pas nombreux à l'être et mate ta réputation de parasite. Si tu n'es pas malade, empêché ou que ça t'arrive trop régulièrement tu te fais bien juger. Et ma réputation, au final, j'en ai pas grand chose à faire, mais j'aimerai avoir la vie tranquille, si possible...

Pas le choix, je vais devoir aller chez Vale. Il déteste ça, mais j'ai pas le choix. J'ai du mal à marcher, j'ai l'impression d'avoir du sable bouillant dans la bouche, dans la gorge, me lécher les lèvres me fait mal et mes canines me font l'effet d'une rage de dents tant elles ont faim. Déjà, les regards en sortant du portail et en voyant qu'elles étaient toujours là, toujours aussi longues. Ils comprenaient, ils savaient que j'avais pas osé me nourrir.

Ma respiration est univoque quand je frappe à sa porte. Je sais où il habite, évidemment et, sur le moment, j'hésite à m'effondrer contre le mur en face de l'entrée, comme aux portes de ma deuxième mort pour lui faire un peu pitié, mais... autant essayer d'assumer un peu ce qui se passe. Je prends une grande inspiration, j'essaye de contrôler cette dernière qui, pourtant, panique à l'idée de me faire rabrouer par Vale. Je déteste ces moments, mais c'est pas comme si je faisais des efforts pour qu'ils soient moins fréquents. C'est ma faute. Allez savoir, peut-être que j'aime bien quand il me dispute, peut-être que je me dis « au moins il m'oublie pas ». La soif me fait dire des bêtises.

S'il ouvre il comprendra tout de suite ce qui va pas. Je suis pas spécialement doué pour cacher les problèmes, surtout quand ils sont aussi... physiologiques. En espérant qu'il soit conciliant avec son pauvre padawan malade. Surtout que pour pas m'aider, dans mon sac à dos j'ai la cargaison de marchandises, légales ou pas, que je dois redistribuer à mes clients. Mais là je pourrais pas faire dix mètres sans m'effondrer.

Allez savoir si je mérite vraiment de pas prendre une rouste.

Le premier regard est plus dur à soutenir que ce que je pensais. Naïvement, je me suis dit « Bob, t'es droit dans tes bottes, tu veux pas tuer des gens qui ne veulent pas mourir, comment ça peut faire de toi quelqu'un de méprisable ? Tu mérites d'être traité dignement et aidé, Bob ! ». Tout ça a volé en éclat quand Vale a posé ses yeux sur moi. Il sait ce qui se passe, il l'a vécu plusieurs fois, je sais que ça le rend fou. Vale, c'est le gars qui a tout fait pour que je sois un vampire digne de ce nom, sans jamais rien me demander en retour. Quelque part, je devrais être vexé, depuis le temps, parce que son moteur pour m'aider c'est souvent la pitié, je vois que ça ! Et faire pitié... c'est vraiment pas facile ! Mais je peux m'en prendre qu'à moi-même, je le sais, et au final, je vous le dis, on s'habitue à cette place que je suis un peu le seul à occuper de « vampire un peu guez » que tout le monde juge tranquillement, parce qu'il fait partie des meubles.

Sauf que là... j'aime pas quand il me regarde comme ça. Parce que lui, son avis, j'arrive pas à m'en fiche. Je devrais, parce qu'en vrai... enfin, je l'aime bien, je suis pas sûr de la réciproque, déjà, et il m'a apporté beaucoup, mais c'est pas... pour lui je représente rien de spécial, j'ai pas à prendre à cœur ce qu'il me dit. Mais bon, entre la théorie et la pratique il y a parfois un océan. De galaxies. Parce que là, tout de suite, même si je souris j'aimerai en devenir une, de souris, pour m'éclipser aussi vite que possible.

Au bout d'une attente interminable il me demande de rentrer. Depuis quelques temps il s'est installé dans cette colocation étrange avec un appartement au style aquatique. Je suis... stressé quand je suis là, l'eau c'est pas spécialement ma tasse de thé, mais si je fais la moindre remarque j'épuiserai instantanément le peu de sympathie que Vale éprouve encore à mon égard pour accepter de m'aider. Je m'exécute dès qu'il me demande de me rendre dans sa chambre que je découvre par la même occasion. Il y règne toujours la même odeur, cependant, qui me met un peu en confiance. J'ose pas m'asseoir sur son lit, surtout pour y boire du sang, et il y a pas spécialement d'autre siège disponible alors... je pose mon sac dans un coin de la pièce, un peu caché, je m'assois sur le sol, adossé contre son sommier. Il va trouver ça idiot, mais bon, une de plus une de moins.

- Tu sais... j'ai vraiment essayé, Vale. Là c'est vraiment juste de la malchance. Je sais chasser, grâce à toi, t'as pas à... à avoir honte de moi, promis.

Je dis plus ça pour me rassurer que pour lui, je pense que ça s'entend. Et évidemment qu'il va réagir au quart de tour en me voyant déblatérer ces bêtises réconfortantes. Mais, comme dit, peut-être que je veux le faire réagir. Peut-être que je veux qu'il me... brusque, qu'il m'enguirlande un bon coup pour me pousser enfin à arrêter de faire la fine bouche, qu'il me rappelle que c'est inutile, ils mourront un jour ou l'autre, c'est juste s'alimenter, c'est pas un crime, etc, etc. J'aimerai qu'il me convainc d'arrêter, desfois...

N'importe qui se serait énervé en voyant la personne en qui il place toute sa confiance et,ne nous mentons pas, beaucoup de son affection, la regarder ainsi. Entendre ces mots durs, ces mots qui font référence à un épisode lointain où, oui, je ne savais pas boire du sang, parce qu'en fait un être humain n'aime pas le sang, c'est normal, on ne naît pas cannibale. Et oui, à l'époque, j'avais avalé de travers et recraché un peu partout, tachant quelques meubles, oui. Et oui, aussi, je m'étais permis d'oublier cet épisode parce que je le rangeais dans un passé révolu que Vale me remet sous le nez dans un moment de vulnérabilité pour pouvoir me frapper l'arrière de la tête sans bouger le petit doigt. N'importe qui se serait énervé.

N'importe qui aurait cherché des excuses en voyant la personne en qui il place toute sa confiance et, encore une fois, beaucoup de son affection, tripoter son tapis, l'air ostensiblement agacé, embarrassé, déçu, en colère. L'air en colère contre elle-même aussi, parce que cette personne s'était donnée pour mission de faire de soi quelqu'un capable de dépasser le stade du bambin pour les vampires, quelqu'un capable, en cinq ans, de se nourrir seul. N'importe qui aurait cherché des excuses.

N'importe qui se serait levé, indigné, expliquant que ce n'est pas sa faute, que, la chasse, ça le connaît et que c'est un peu sa volonté aussi s'il n'a pas mangé cette semaine, parce que peut-être que devoir tuer pour survivre pèse à ce n'importe qui, que devoir, pour ne pas vivre ça, supporter l'humiliation et les reproches de la seule personne dont il se sent vraiment proche, peut-être que ça pèse, ça aussi.

Mais qui serais-je pour lui infliger cette conversation, hein ? Vous y avez pensé, vous, à vous mettre à sa place ? Imaginez-le face à son disciple qui lui fait comprendre qu'être vampire... être, donc, tout simplement, c'est devenu un poids trop lourd ? Que son disciple préfère s'affamer et se distraire de sa soif plutôt que de toucher un être humain dont il n'est pas certain qu'il souhaite la mort ? Est-ce que Valériane mérite, selon vous, d'entendre ça, alors qu'il fait tout pour m'aider et qu'il souffre que je sois une telle source de déception ? Je ne lui infligerai pas ça, jamais. J'ai échoué, c'est ma défaite, et c'est aussi la sienne, par ma faute, et c'est déjà assez lui mettre sur le dos et sur le cœur pour y rajouter les doutes sur ma propre volonté de vivre.

Alors je prends simplement la pochette qu'il me tend, je ne réagis pas à sa pique, et je commence à boire à la petite paille plantée dedans. Les yeux clos, je sens un goût que je me force à ne pas aimer depuis toutes ces années me traverser les organes jusqu'au ventre, emmenant avec lui ce cortège de soulagement indécent... Je n'en peux plus Vale... j'aimerai tellement te le dire... Et mon regard qui essaye de capter le tien te donnerait un indice, mais, encore une fois, tu ne mérites pas de savoir tout ça. Sûrement que tu t'en doutes déjà, d'ailleurs. Tu es plus vieux que moi, t'en as sûrement vu d'autres, des vampires médiocres, inutiles... J'aurai juste aimé ne pas t'infliger cette peine... Mes yeux piquent, je baisse le regard vers ma poche de sang, et vers ses mains crispées.

- Je suis désolé...

C'est donc tout ce que je parviens à dire ? La phrase la plus bateau possible, la plus frustrante à entendre, sûrement ? C'est la dernière chose que Vale veut savoir, Bob, que tu es désolé. Trouve autre chose, regagne un peu de dignité de ce moment.

- Mais... je ne compte pas arrêter, Vale. Je ne pense pas être le méchant de l'histoire de ne pas vouloir tuer n'importe qui. Je n'ai pas... je n'ai pas voulu mourir, moi. Plein de vampires que je connais non plus. Et des centaines de vies gâchées juste pour... ma soif ? Jamais. Je suis désolé, mais... je ne veux pas.

Est-ce meilleur ou pire de lui dire que je ne suis pas juste un incapable, mais que je choisis d'en être un ? On verra bien...

Ça a dû déjà vous arriver ça. Avec les parents, ça se passe pas toujours très bien, on va pas se mentir. Arrive un moment de la vie où on se pose des questions, quoi ! On remet en cause ce qu'ils racontent, parce qu'on se rend bien compte que les adultes font aussi des erreurs, des maladresses, des méchancetés, parfois contre nous, alors pourquoi les écouter spécialement ? Puis viennent des disputes, parfois très fortes, parfois de plus en plus violentes, et parfois on se prend le chou avec sa maman et les mots dépassent notre pensée et là on s'attend à se faire disputer plus fort encore, qu'elle explose et là... elle a juste l'air triste. A ce moment-là, souvent, on se déteste un peu soi-même et on regrette nos actions. C'est un peu ce qui m'est arrivé à cet instant avec Vale.

Après, de là à dire que je regrette mes mots... Encore une fois, j'ai la profonde conviction de ne pas être ce que... je vois dans mon reflet dans les yeux des autres, et pas que de Vale. Mais en vrai... le voir dans cet état, secoué d'émotions que j'ai du mal à identifier tellement je les ai jamais vues chez lui... J'ai envie de stopper cette conversation et juste... je ne sais pas. Partir ? Si je vais un peu plus vers lui tout ce que je vais récolter c'est une remarque acerbe de plus. Mais peut-être que c'est notre chance d'avoir une conversation plus apaisée à partir de maintenant ? Je doute très fort, mais ça ne coûte rien d'essayer. Je sais bien qu'il dit pas tout ça pour mon mal...

- J'ai des siècles pour ça. Tu sais, je pense que quand on est vivants on peut regretter certaines actions qu'on a fait petit, ou plus jeune, et qui ont impacté notre vie future. Là... j'ai la chance d'avoir toute ma tête dès le début de ma « deuxième vie » et je compte bien la mener avec mes termes.

Et ça continuera de l'agacer, et c'est pas grave. Lui, mort, il veut suivre les règles des autres, encore. Moi... j'ai du mal à me dire que j'ai pas le droit à plus de latitude, car en vrai c'est le cas ! Je peux survivre seul, même s'il me croit pas une seconde, je peux survivre comme je l'entends, idem, et je peux le faire dès aujourd'hui ! Voilà pourquoi, quand il commence à me parler des gélules, je sais où il veut aller et je me prépare à refuser séance tenante.

Et j'ai pas eu tort. Il récupère une petite boîte qui cliquette quand on l'agite et me la tend. J'avais déjà testé ces gélules. Et une tous les six heures c'est... beaucoup trop. Il en faudrait une quantité astronomique et que je pense à en racheter régulièrement pendant les deux prochains mois ? Je suis pas si malheureux que ça de me nourrir de poches. J'ai appris à moins souffrir du mépris des autres vampires. Bon, à part le sien, mais ça il le sait et je pense pas qu'il compte s'arrêter de me le rappeler, et c'est de bonne guerre. Mais alors que j'allais tendre la main pour refuser les gélules, je m'arrête un instant sur son visage, que j'ai du mal à distinguer, mais... Pourquoi il a autant de peine ? Je lui ai fait quoi... ?

- Vale... ? Tout va bien... ?

Je m'inquiète très rapidement. Déjà pour lui, et mon cerveau tourbillonne pour essayer de deviner ce qui ne va pas, mais une part non négligeable se met à imaginer que c'est de ma faute s'il est dans cet état. Ce à quoi je me pose à moi-même, et de nombreuses fois, la question du pourquoi ? Encore une fois cette conversation on l'a eu encore et encore et, certes, je ferais tout mon possible pour qu'elle n'arrive plus, mais... Pourquoi il affiche une telle tristesse à la revivre aujourd'hui ? Qu'est-ce qui a changé, Vale... ?

Ça a dû déjà vous arriver ça. Avec les parents, ça se passe pas toujours très bien, on va pas se mentir. Arrive un moment de la vie où on se pose des questions, quoi ! On remet en cause ce qu'ils racontent, parce qu'on se rend bien compte que les adultes font aussi des erreurs, des maladresses, des méchancetés, parfois contre nous, alors pourquoi les écouter spécialement ? Puis viennent des disputes, parfois très fortes, parfois de plus en plus violentes, et parfois on se prend le chou avec sa maman et les mots dépassent notre pensée et là on s'attend à se faire disputer plus fort encore, qu'elle explose et là... elle a juste l'air triste. A ce moment-là, souvent, on se déteste un peu soi-même et on regrette nos actions. C'est un peu ce qui m'est arrivé à cet instant avec Vale.

Après, de là à dire que je regrette mes mots... Encore une fois, j'ai la profonde conviction de ne pas être ce que... je vois dans mon reflet dans les yeux des autres, et pas que de Vale. Mais en vrai... le voir dans cet état, secoué d'émotions que j'ai du mal à identifier tellement je les ai jamais vues chez lui... J'ai envie de stopper cette conversation et juste... je ne sais pas. Partir ? Si je vais un peu plus vers lui tout ce que je vais récolter c'est une remarque acerbe de plus. Mais peut-être que c'est notre chance d'avoir une conversation plus apaisée à partir de maintenant ? Je doute très fort, mais ça ne coûte rien d'essayer. Je sais bien qu'il dit pas tout ça pour mon mal...

- J'ai des siècles pour ça. Tu sais, je pense que quand on est vivants on peut regretter certaines actions qu'on a fait petit, ou plus jeune, et qui ont impacté notre vie future. Là... j'ai la chance d'avoir toute ma tête dès le début de ma « deuxième vie » et je compte bien la mener avec mes termes.

Et ça continuera de l'agacer, et c'est pas grave. Lui, mort, il veut suivre les règles des autres, encore. Moi... j'ai du mal à me dire que j'ai pas le droit à plus de latitude, car en vrai c'est le cas ! Je peux survivre seul, même s'il me croit pas une seconde, je peux survivre comme je l'entends, idem, et je peux le faire dès aujourd'hui ! Voilà pourquoi, quand il commence à me parler des gélules, je sais où il veut aller et je me prépare à refuser séance tenante.

Et j'ai pas eu tort. Il récupère une petite boîte qui cliquette quand on l'agite et me la tend. J'avais déjà testé ces gélules. Et une tous les six heures c'est... beaucoup trop. Il en faudrait une quantité astronomique et que je pense à en racheter régulièrement pendant les deux prochains mois ? Je suis pas si malheureux que ça de me nourrir de poches. J'ai appris à moins souffrir du mépris des autres vampires. Bon, à part le sien, mais ça il le sait et je pense pas qu'il compte s'arrêter de me le rappeler, et c'est de bonne guerre. Mais alors que j'allais tendre la main pour refuser les gélules, je m'arrête un instant sur son visage, que j'ai du mal à distinguer, mais... Pourquoi il a autant de peine ? Je lui ai fait quoi... ?

- Vale... ? Tout va bien... ?

Je m'inquiète très rapidement. Déjà pour lui, et mon cerveau tourbillonne pour essayer de deviner ce qui ne va pas, mais une part non négligeable se met à imaginer que c'est de ma faute s'il est dans cet état. Ce à quoi je me pose à moi-même, et de nombreuses fois, la question du pourquoi ? Encore une fois cette conversation on l'a eu encore et encore et, certes, je ferais tout mon possible pour qu'elle n'arrive plus, mais... Pourquoi il affiche une telle tristesse à la revivre aujourd'hui ? Qu'est-ce qui a changé, Vale... ?