en route, mauvaise troupe
Elle ne répondit pas, évidemment.
Elle devait la penser bizarre, potentiellement dangereuse, même. Absurde. Perchée. Complètement-
“D’accord.”
… Ah.L'inconnue lui proposa de partager les frais et de leur acheter à boire, agissant comme si l’invitation de Junko n’était qu’une banalité.
Tout compte fait, peut-être que c’était elle, la bizarre.
Bouche bée, le regard du corbeau se redirigea sur ses pieds fébriles, trop perplexe pour affronter le regard de la jeune femme.
Était-ce réellement aussi simple, depuis le début ?
“Tiens, on aime la malbouffe toutes les deux, tu veux venir traîner chez moi ?”Ça fonctionnait vraiment comme ça ?
Non, probablement pas.
Et pourtant, ça avait marché.
Calculer les risques n’étaient pas une compétence dans laquelle la brune excellait, mais même en faisant un effort, il lui était difficile de trouver un argument assez solide pour faire marche arrière à ce stade.
Au pire, elle connaissait toutes les cachettes de l’appartement.
Au pire, ses colocataires étaient probablement rentrés.
Au pire, ce n’était pas comme si elle pouvait mourir à nouveau.
C’est d’ailleurs cette pensée pour le moins joviale qui avait fini de la convaincre. Au fond, elle ne risquait pas grand-chose, si ce n’était de passer une soirée désagréable.
Ça, elle en avait l’habitude, et savait très bien le faire toute seule.
Junko se décida finalement à retrouver le regard de l’autre, qui semblait tout autant perdue qu’elle, jusqu’à s’être interrompue dans sa propre phrase. Maintenant, il fallait assumer son rôle d’hôte, qu’elle comptait bien prendre au sérieux.
“... Prends ce que tu veux. Sauf de l’alcool, j’aime pas ça.”
À mieux la regarder, l’ermite s’était demandé si elle n’avait ne serait-ce que l’âge requis pour pouvoir en consommer. C’est qu’elle était haute comme trois pommes, et possédait les traits d’une simple adolescente.
Mais la brune avait appris à ne pas se fier aux apparences, surtout ici. Elle avait déjà croisé des âmes de plusieurs centaines d’années à jamais coincées dans des corps prépubères, agacés d’être traités comme tels.
On n’était jamais trop prudents, après tout.
Elle avait patiemment attendu que son amie de fortune fasse sa décision avant de se diriger vers les caisses automatiques, acceptant sans un mot de partager les frais de leurs victuailles.
Vu son budget serré, elle n’était pas vraiment en position de refuser.
Par chance, le trajet tout aussi silencieux fut de courte durée, Junko ne daignant de prendre la parole que pour lui poser une question pressante qui ne lui avait même pas effleuré l’esprit jusqu’ici :
“... Tu t’appelles comment, au fait ?”
Oui, en général, c’était censé être la première étape.
“Moi, c’est Junko.”
Les présentations rondement menées mirent fin à la discussion, jusqu’à ce que les demoiselles arrivent enfin devant la porte d’entrée.
Et alors qu’elle était sur le point de la déverrouiller, le corbeau fit volte-face un moment en se rappelant d’un autre détail, et pas des moindres :
“Oh, au fait, l’appartement est… Particulier.”
Une manière bien élusive de décrire Gulliver avant qu’elle ne le découvre d’elle-même. C’est que l’endroit pouvait amplement donner le tournis, particulièrement aux nouveaux venus.
Comme si la situation n’était pas assez étrange comme ça.