Le vrai bonheur - [Céleste & Olympe]

Allez. Une, deux, trois. Je me force à redevenir tout à fait fonctionnelle, il s'est rien passé, tout va bien dans le meilleur des mondes. Je renifle fortement, c'est pas grave. Céleste vient pour me réconforter, je m'accroche à elle de toutes mes forces, le temps que ça dure. Elle s'inquiète pour moi, ça ça me fait plaisir. Mais c'est vicieux, aussi, si elle s'inquiète c'est que je vais mal. On s'en sortira jamais, j'ai l'impression.

J'essaie de jouer le jeu, de me forcer à croire aux bienfaits des vacances. Une voix me murmure que je vais juste me trouver inutile, à rien faire de la journée. Encore plus inutile. Je secoue la tête, me concentre sur le réel.

"Je sais pas, j'ai envie d'aller nulle part, mais je sais que c'est bien. Tu choisis, c'est très bien."

Ça me contraint toujours autant, de devoir dire la vérité. J'ai toujours été une personne honnête dans mes intentions, mais ne pas pouvoir mentir un peu sur ses envies, c'est horrible.

"Et je sais que tu fais ça pour mon bien. Je t'en veux pas. Pfft, il manquerait plus que ça, tiens."

Je ris de mon propre pathéthique. Un gars que je connais dirait probablement que c'est bon signe, que je retrouve l'humour. Enfin, l'espèce de truc que je fais quand j'ai envie de rire.

"Et je... Merci de toujours être là pour moi, malgré tout. Malgré que je sois une épave, que je fasse n'importe quoi. Merci."

Je l'aime, quand même.

Je tique un instant. Elle a probablement bu dans sa tasse, j'ai pas fait attention. Mais selon toute vraisemblance, elle doit dire la vérité, non? Et elle me sort qu'elle sait pourquoi je pourrais lui en vouloir. De quelque chose, ou je sais pas quoi. Sauf que moi, j'ai aucune damnée idée de pourquoi je pourrais lui en vouloir de quoi que ce soit.

Je renifle encore, fronce les sourcils. J'aime pas ce que ça sous-entend, ça. Et le pire, c'est qu'elle peut plus rien me cacher. Je sais que la réponse va me faire de la peine, je le sens d'une force... Mais je peux pas m'empêcher de demander:

"De quoi, je pourrais t'en vouloir? Ça veut dire quoi ça?"

Je me figure déjà le pire, ma voix gronde un peu. Qu'elle me trompe, joue de mes sentiments pour profiter de moi, je peux m'attendre à tout. Oui, je m'énerve d'un coup, il me manquait plus que des sautes d'humeur pour être complète.

"Tout ce qui me ferait plaisir, c'est qu'un jour t'arrive à me dire "je t'aime" en me regardant dans les yeux, sans que j'aie à travailler pour."

Je croise enfin son regard, les yeux toujours humides mais qu'importe. C'est mon instant de vérité, mes traits tirés en mimique contrariée. Elle pourrait détruire le peu qui reste de moi en quelques mots cruels, si la potion la force.

Elle me fait rire. Ça m'était pas arrivé depuis un bail, j'en suis pas non plus à m'en taper le bide, mais la voir avouer avec une face des plus sérieuses ce qu'elle vient d'avouer... Ça a pas de prix, je sais pas. Je réalise même pas ce que ça signifie vraiment, sur sa perception d'elle-même ou les horreurs que ça sous-entend. Je pense tellement à moi et moi-même que ça me passe par dessus la tête, je prend ses mots pour ce qu'ils sont et j'insiste pas.

"D'accord, d'accord."

Je veux même pas en savoir plus. Elle m'a menti, c'est admis, mais je lui mens à chaque fois que je dit que je vais bien. Y'a un partout, je préfère pas déterrer les moindres petits détails.

Et pour finir de me combler, elle parvient à prononcer, verbaliser enfin avec le plus grand sérieux qu'elle m'aime. J'oublie tout scepticisme et jette tout doute par la fenête, je crois au pouvoir de la divine potion. J'accepte son visage quand elle vient m'embrasser, me donne à elle, satisfaite.

Je vais un peu mieux, déjà. Enfin, je sais pas. J'ai toujours l'impression d'avoir la tête sous l'eau, mais un poids en moins sur le torse. C'est bizarre, comme sensation, mais plaisant. Par contre, le regret me rattrape, je soupire. Autre chose, hein.

"Ouais, je... Fallait que je t'avoue un truc."Je retourne ma langue dans ma bouche. Faut que j'amène ça bien, quand même. Parce que là, franchement, ça passe ou ça casse. "Tu promets de pas te mettre en colère?"

Mais pourquoi, pourquoi je dis ça moi?

L'heure fatidique approche. Celle où je dois avouer mes péchés pour espérer le pardon. En retrospective, j'aurais vraiment du me taire et m'endormir sur place. Mais bon, elle ne jure même pas de ne pas s'énerver, ça ajoute à mon anxiété. C'est pas grave, je suis une adulte, quand je fais une bêtises j'assume.

"J'ai peut-être versé une potion de vérité, dans le thé."

Je me fais toute petite. J'ai même pas pu m'empêcher de glisser un "peut-être" dans ma confession pour faire genre. Je sais même pas qui j'espérais tromper avec ça, c'est vraiment le tic le plus débile de language que je puisse avoir.

Je me sens un peu isolée, dans l'immensité de son appart. La grotte, les murs froids, tout ça. C'est de loin la faute la plus grave que j'ai jamais commise en couple, notamment parce que je l'ai pas souvent été. Si elle me gifle ou me largue pour ça, je pourrais presque lui pardonner. C'est un manque de confiance, c'est avouer que j'ai pas cru en elle. Je m'en veux, ça doit se voir.

Mais bon, je suis trop honnête pour mon propre bien. C'est même elle qui me l'a dit, une fois.

J'ai fermé les yeux un instant, tendu la joue de bon coeur. Mais non, ça va, rien. Je pousse un soupir soulagé, c'est déjà ça de gagné.

Par contre, ça lui plaît vraiment pas du tout. Et c'est si normal, je me sens tellement conne sur le moment. Je sais pas pourquoi je lui ai fait ça, je culpabilise à des quantités déraisonnées. Je vois bien qu'elle est absoluement malaisée par la situation, moi aussi du coup, c'est horrible. Pourquoi je nous met dans ce genre de bourbiers? Pourquoi faut toujours que je fasse n'importe quoi avec elle? C'est presque comme si je voulais briser notre couple inconsciemment, en faisant connerie sur connerie. Je me fatigue.

Je me fatigue beaucoup trop. Je craque. Encore. Oui, encore, et j'ai l'impression que ça en finira jamais. C'est un cercle vicieux, de toute manière, plus je vais pleurer, plus je vais me trouver nulle et le faire à nouveau. Il me faudra un miracle.

"Je veux rien savoir de toi ou de ta vie privée, en plus. Je voulais juste savoir si tu m'aime vraiment."

La PIRE des justifications que j'aurais pu inventer. En un sens, j'imagine que l'innocence absolue de la démarche me donne une bonne image, mais ça m'empêche pas de geindre.

"Je suis désolée, d'accord? Je suis vraiment désolée, je m'en veux, je... Je voulais être sûre, j'ai besoin de certitudes. J'suis désolée, je te jure"

Je déraille, un peu. Je me trouve tellement pathéthique que je pourrais me moquer de ma propre image, que mon miroir deviendrait une farce. C'est dur, à vivre. Vraiment dur.