Le vrai bonheur - [Céleste & Olympe]

Elle s'explique, comme pour se justifier, me répète ce que je savais déjà. Je peux pas lui en vouloir, de mal communiquer son affection, c'est dans sa nature et je sais qu'elle fait des efforts. J'essaie d'interrompre le torrent de larmes qui déchire mon visge, regarde au ciel pour me sécher les yeux, rien n'y fait. On paie toujours pour ses mauvaises actions, j'ai été stupide de penser déroger à la règle.

Puis, des mots sortent de bouche, se glissent entre ses lèvres. J'ai l'impression de déjà les connaître, de les avoir déjà entendu. Ils me rapellent d'autres, ceux d'aventures passées. Ils ressemblent aux derniers que j'entend de celles que j'aimais, qui n'aimaient plus en retour. Je revois dans ses phrases maladroites les douleurs les plus intenses de ma vie, les ruptures, la manière détournée qu'elles avaient toutes de me faire comprendre que c'est fini.

Je perds tout contrôle et toute raison, je m'accroche à elle et sanglote dans ses vêtements, la tire à moi avec une force débridée. J'ai l'impression que c'est déjà fini, qu'elle vient de m'avouer en avoir marre, blâmez la paranoia.

"Non, non je veux personne d'autre. Je t'aime. Je t'aime."

Même mes propres pensées deviennent floues, j'ai trop de choses à dire en trop peu de temps. Je veux absolument lui faire comprendre qu'elle doit rester, sans me sentir le droit de la garder.

"Je sais que c'est dur, mais je vais aller mieux, je te jure. Je vais tout faire pour toi, je peux changer, je peux tout faire."

Ça aussi, je l'avais déjà répété plusieurs fois, à d'autres. Dans le pire des désespoirs, je me raccroche à n'importe quel prix. Un cruel rappel que même mon meilleur ne suffit jamais.

"Pitié, me laisse pas. Je t'en supplie."

Mes mots sont à peine reconnaissable, formulés et torturés par ma voix saccagée. Elle peut pas me faire ça.

Elle reste froide, distante, calculatrice. C'est horrible, pour moi. J'ai l'impression qu'elle m'écoute pas, qu'elle veut juste me marteler de ses conneries. Comme quoi y'a mieux, y'a des besoins. Je suis hermétique à tout ça, ses raisonnements trop machinaux. Comment elle peut rationnaliser l'amour, comme ça? Tenter de disséquer le bonheur pour le comprendre sans joie. C'est immonde.

Je me détache un peu de son épaule, je veux la regarder dans les yeux. Les miens doivent être rougis, à peine humains à ce stade, suppliants. Je suis au bout du rouleau, je me démène comme je peux pour sauver les meubles. Notre couple.

"Je m'en fous de la planète. Je t'aime et tu m'aime, c'est tout ce qui compte."

Même après plusieurs mois à ses côtés, elle est indéchiffrable. Je peux pas comprendre comment elle prétend que c'est mieux pour moi, ou pour nous, qu'on parte chercher "plus adapté". Comment elle peut me dire ça en face, quand j'ai tout fait pour lui montrer qu'elle est la seule qui compte dans ma vie.

J'ai pas grand chose, pour m'aider. Je peux pas lui dire plus que je lui ai dit, je peux pas lui montrer mon amour le plus pur. Elle comprendra jamais que les sentiments sont plus forts que tout, que c'est la seule chose qui compte. Anxiété, désespoir, je sens mon corps entier accuser le coup. Une idée me traverse l'esprit, je tente de sourire, de lui rappeler le meilleur.

"On a été heureuses, jusque là. Ensemble, et... et on allait bien, c'était bien. Je traverse juste une mauvaise passe, c'est rien."

Même moi, j'arrive pas à me convaincre. Et pourtant, je suis aussi crédule et stupide qu'elle le croit.

Je réalise un peu tard que ses mots sont horriblement froids, déjà détachés. Elle ose prétendre que je ne l'aime que charnellement, qu'il n'y a rien de plus pour nous unir. Ça m'estomaque, qu'elle ose penser ça, j'en suis stupéfaite. Après toute l'attention que je lui ai portée, tous les soins à sa petite personne.

"Comment tu peux dire ça?"

Ça me coupe le souffle, ma respiration déjà incertaine devient haletante. C'est vrai que j'en sais pas tellement plus sur elle que quand je l'ai rencontrée, mais je l'ai accompagnée. Pour apprendre à nager, pour sa chimérisation j'ai tout fait avec elle. Et dès que j'ai un moment de faiblesse, elle veut m'abandonner. C'est trop facile, c'est horrible que ça soit si facile. Pourquoi j'ai pas le droit à avoir de l'aide, moi?

"Mais, mais on a toujours été heureuses, je comprends pas. Pourquoi tu me ressors ça maintenant, pourquoi tu veux me faire croire que ça marche pas?"

Une petite pensée sombre me susurre que c'est simple, qu'elle profite des gens et s'éclipse quand elle doit donner. C'est si évident que j'aurais du le voir venir, en fait. Mais là, c'est douloureux, c'est une dague dans le coeur.

"Je t'aime..."

Qu'est-ce que je peux dire de plus, moi?

C'était une erreur, de lui faire boire une potion de vérité. Elle dit des chsoes que j'aime pas entendre, le fond de sa pensée que j'aurais préféré jamais connaître. Sa vision du monde, froide et terne, dénuée de toute fantaisie. De tout espoir, en fait. Et ce qu'elle pense vraiment de moi. Je renifle.

"Je verrais ça comme une preuve d'amour. Je suis désolée, je te jure que je suis désolée. Mais je vis une phase difficile, et il me faut des certitudes. Il me faut des trucs auxquels me raccrocher, Céleste."

Je suis pas un exemple, aussi. Elle aurait pu me faire n'importe quoi, je l'aurais pardonnée. Rapidement. J'ai pas la rage longue, je vois toujours toutes les offenses avec une clémence rare. Elle pourra jamais comprendre.

"Et non, je comprends pas." Stupide potion. Stupide idée d'en boire une. J'aurais tellement voulu aller dans son sens, me taire et agréer pour pas m'opposer à elle. Je veux juste qu'on reste ensemble, je veux juste pas la perdre. C'est vraiment trop demander? "Je... je comprends pas pourquoi tu dis tout ça, pourquoi tu remets tout ce qu'on vit en question. On s'aime, c'est... C'est tout, y'a rien d'autre qui compte."

Je peux parler, ma voix se perd dans le vide. Je sais que ça sert à rien. Je le sais. C'est évident. Elle en a juste marre de moi. Et le pire, c'est que je mérite tout ce que je subis. C'est toujours ma faute.

C'est dans les moments de silence, les petites crevasses noires de la raison que se glissent mes anxiétés et mes démons. Notre discussion est trop pesante, comme flottante, surréelle. Elle comprend rien, refuse de ressentir et veut tout rationaliser. Et elle doit croire que c'est moi qui comprend pas, je sais pas.

Le verdict tombe, implacable. Le pire, c'est que c'est nécessairement la vérité, mais pas la réponse que je voulais. Elle n'avoue rien, ne brise pas ce qui nous unit ni m'affirme sa solidité. Elle fuit. Elle fuira toujours tout, c'est évident, dès que ça ira pas dans son sens. Quelque part entre la tristesse et le désespoir pointe une chaleur nouvelle. Le ressentiment.

"Ça t'arrange bien."

C'est trop facile. Elle m'aime, d'accord, mais apparemment pas assez pour croire que je vaux le coup. Que je mérite un peu de son attention quand tout va au plus mal. Ça doit vraiment être ça, l'amour pour elle. Un truc passager sans importance, sans gravité. Les idées noires se répètent et me convainquent: elle en a juste marre de moi, veut disparaître dans la nature.

Je me lève difficilement, me retient de sangloter à grands efforts. J'ai pas envie d'être seule, mais elle veut pas de moi non plus, faut croire. Un pas douloureux devant l'autre, je me force à partir, à m'enlever de son soleil, hein. Désolée de gêner.

"Je suis fatiguée. À... À plus, Céleste."

Je sais pas si c'était à bientôt, adieu, à jamais. Puisque c'est qu'elle qui peut choisir, et que c'est toujours moi qui me fait malmener au bon gré des autres. C'est pas juste, rien n'est jamais juste, c'est toujours les mêmes qui subissent.