Du sang pour la croa rouge - [TW: Sang, morsure] - [Mino & Huia]

L'heure approche. J'ai pas vraiment le temps d'insister que si, ça me dérange. Elle découvre déjà de sa peau, mon embarras s'efface face à la famine. Elle est belle, comme ça. Innocente et pure, immaculée, comme un drap blanc que je dois rougir. Un péché grave, sans doute aucun, mais une indulgence délicieuse.

J'hésite un ultime instant. Est-ce que c'est vraiment moi? Mordre les vivants, c'est rien, ça n'a pas de suite, ils meurent et disparaissent. Elle restera. Elle me connaîtra, mon visage, ma culpabilité. J'en suis vraiment réduite à ça, écrasée par les pulsions les plus basses de l'âme animale?

... Oui. Je suis un monstre, j'en ai plus rien à foutre.

Je lui saisis soudainement les épaules, je plante mes crocs libre de toute hésitation. Oh, elle doit souffrir, probablement beaucoup plus que ce à quoi elle s'attendait. Pas mon problème, plus mon problème, je m'en fous je lâcherai pas. Y'a pas de demain, et plus de passé, j'ai besoin de rien. Sauf de l'instant. Je sens son sang couvrir mon palais, chaud et visqueux, divin. Un graal pour lequel on pourrait mourir, celui qui s'obtient après l'immortalité. Ah, quelle ironie.

Je ne sais pas que le plaisir ne va pas durer. Mais je jouis et profite de l'instant, m'abandonne.

Et puis un premier hoquet. Mon corps se secoue malgré moi. La catastrophe arrive, tu récoltes ce que tu sème, ma grande.

Si ça va? C'est gentil de demander, dans un sens, mais j'en ai aucune diable idée. La sensation m'est pas inconnue, en réalité, mais ça surprend toujours. D'habitude, c'est pas si grave, les gens sont morts de toute façon, mais là faudra assumer.

Je lui vomis dessus. Je peux pas l'expliquer de milles manières et j'ai pas envie de le déclamer en poésie. Voilà, j'arrive quand même à éviter son visage, mais le reste... Ça va que c'est frais, c'est juste du sang, mais ça tâche bien. Et ça colle, c'est lourd.

Je constate mon chef-d'oeuvre, encore un peu sonnée. Le choc a fait passer la faim, là j'ai d'autres priorités. Déjà, panser ça, ça pisse le sang.

"Merde, désolée, c'était... pas prévu."

Sans blague Huia, heureusement que tu lui dis. Je m'empresse de cherche le nécessaire de premier secours, de tenter de réparer ça. Ça va que je suis particulièrement désensibilisée à la vue du sang. Je prends le temps de regarder l'horreur un instant, de lire sur sa peau la souffrance que je peux semer. C'est instructif. Et je lui bande ses plaies, ferme les valves. Au moins, ça pourra pas empirer.

"Je... tu veux prendre une douche? Enfin, te laver? Je te prête des fringues si tu veux, c'est ma faute."

Allez, je commence à dérailler. C'est souvent le cas quand rien ne se passe comme j'avais prévu, c'est instinctif. Quelle sensation horrible.

C'est assez horrible à vivre, de mon point de vue. Probablement bien pire que du sien. J'ai encore faim, j'ai la bouche poisseuse, et je peux rien avaler. Elle est quand même franchement moins appétissante qu'il y a quelques instants, paradoxal puisqu'elle est couverte de sang. Comme quoi, je comprendrais jamais mes instincts de vampire. Peut-être dans 50 ans.

Et elle veut de l'aide. Manquait plus que ça, bordel. Je suis pas assistance à domicile, moi, et j'ai franchement pas envie. J'ai le droit, qu'on me laisse en paix, c'est même pas de ma responsabilité. Elle voulait savoir ce que ça fait d'être mordue, grand bien lui fasse, elle sait. Maintenant, elle se débrouille. Enfin, j'ai envie de dire ça et de me révolter, mais je suis un peu trop polie.

"Ouais je... Désolée, mais je suis vraiment pas à l'aise avec, 'fin, déshabiller les gens et tout ça."

Et puis j'ai même pas à me justifier. On est pas potes ou quoi, je la connais même pas. C'est quoi, ces demandes bizarres?

"Je vais monter la garde devant la porte, prends le temps qu'il faudra."

Bon, j'ai dis ça beaucoup trop vite, parce que je vais me retrouver la gorge en sang à devoir mettre un stop à tous les colocataires qui souhaiteront accéder aux toilettes. Des fois je m'aime pas.

J'entends sa voix dans mon dos, j'ose même pas me retourner. Je la sens capable de se tenir tout debout la porte grande ouverte. Ça m'étonnerait pas une seconde, elle est assez singulière pour que je la crois capable de tout.

"Ouais, bouge pas, je vais te chercher ça."

Je fuis vers ma chambre, l'envie d'y rester et de la laisser se débrouiller me traverse l'esprit, mais c'est pas correct. Et puis, être rémunérée c'est engager mon honneur, et je préfère pas bafouer ça. Je trouve mes fringues les plus colorées, je lui ramène. Avec un peu d'espoir, elle les rendra jamais, et on se reverra jamais non plus. Je les laisse devant la porte, qu'elle se débrouille.

"Tiens, je t'ai laissé tout devant la porte. Et t'inquiète pour tes fringues, je m'en occuperai."

Je sens que mes colocs vont se poser des questions, s'ils tombent sur ses fringues dans le panier. C'est pas grave, j'assume mes conneries. Bon, j'ai quand même une certaine conscience professionnelle, je murmure:

"Du coup, euh... Ça t'as plu, ou quelque chose?"

Elle a eu la pleine expérience, hein. Le vomi en trop.

Alors, là je regrette. C'est vrai que j'avais posé la question un peu morbidement, sans vraiment me représenter ce que ça signifiait. Le problème c'est qu'elle répond en détail, et surtout que ça lui a plu. Pour de vrai. Un frisson me parcours le dos, ça me refroidit sec, quand même.

"Tant mieux, alors."

Ouais non, ça va pas là, ça me consterne. Du peu que je sais, ça doit vraiment pas être plus agréable que se faire piquer par une seringue géante. Après, je sais peu. Au final, ça me rend doucement curieuse, peut-être qu'un jour faudra que je tente aussi. Quelle mauvaise influence elle a, vraiment.

Elle s'interroge un peu sur ma manière de chasser. J'ai pas tellement de raison de lui mentir ou de refuser de lui répondre, je détaille vaguement.

"Bah, je leur laisse pas tant le choix. Je les mords par surprise, et ils canent en quelques secondes. C'est pas vraiment un problème."

Le problème, c'est surtout qu'on tue des gens, en fait. Je trouve ça dingue que personne le relève plus souvent. Y'a tout une ville, tout pleins d'innocent qui ont eu des vies de merde, et un petit fragment qui sont purement et simplement des tueurs en série. Et tout le monde accepte ça, et tout est beau et parfait. Je sais pas, ça me dépasse.

"Mais si ça peut te rassurer, ça m'arrive aussi de leur rendre leur sang, comme t'as vu. Une affaire de groups sanguins, il paraît."

C'était pas le goût. Voilà, qu'elle s'inquiète pas trop pour ça non plus.