Y'en a marre - [Céleste & Olympe]

Aïe, mon miel ça passe pas. J'aurais tenté, c'est quand même choupi comme dénomination. Mais bon, elle a pas vraiment d'humour, ou alors elle regrette vraiment son injection. Je sais pas trop. Faudra que j'essaie "ma fleur" une autre fois.

Bon, apparemment elle s'entend pas mieux avec ses colocs que moi avec les miens. Difficilement une surprise, elle a du mal à s'entendre avec les gens de manière générale, je crois. Je sais pas pourquoi, elle est gentille pourtant. Enfin à peu près. La preuve, elle veut bien me faire du thé.

"Je sais pas. Aux feuilles. Comme tu veux."

Voilà, ça aide hein? Surtout que je sais pas ce qu'elle a, moi, elle a pas fait la liste. Et puis de toute manière tout m'ira, ça sert à quoi de faire un choix?

Je me laisse rouler sur le côté pour la libérer, m'enterre involontairement sous deux trois peluches. Je sais pas combien d'ossements elle a investi là-dedans, mais ça foit faire des montagnes. Non pas que je juge, en vrai ça m'amuse. C'est tout mignon. C'est qu'il est vraiment confortable, son plumard. Avec ou sans elle. Je m'étale sans grâce, je marmonne la tête face au matelas:

"Reviens vite, quand même."

Quoi? Elle va me manquer, une fois sortie de la chambre.

Malgré le vague de mes instructions, elle a l'air d'avoir compris. Enfin, compris que j'en avais rien à faire du goût, sûrement. J'ai jamais compris le thé, de toute façon, j'ai l'impression que toutes les saveurs se valent. Le café c'est quand même plus intense.

Par contre, quand elle me demande de garder son espèce de zoo de peluches, je prend enfin la mesure de l'ampleur du travail. En plus d'en recevoir une en pleine tronche, mais c'est un peu mérité. En fait, il aura fallu que je me retrouve seule avec elles pour vraiment comprendre. Je me sens observée, jugée. Des yeux en boutons et en plastique, par milliers, des fourrures hostiles se frottent à ma peau. Non, vraiment, c'est angoissant, merde.

Elle revient, j'attends qu'elle pose les tasse sur la table de nuit, puis je lève des yeux exorbités vers les siens.

"Pas trop longue, non. Mais c'est flippant, ton truc."

Partout, des peluches, devant moi, derrière moi, au plafond, au sol. Peut-être que Céleste n'est qu'une peluche dans un corps d'humaine qui se joue de moi.

"... 'Me sens observée, dans ta chambre."

Quoique c'est peut-être qu'elle a installé des caméras dans certaines. Ça m'étonnerait vraiment pas beaucoup d'elle, ça serait son genre. En fait, plein de trucs m'étonneraient pas d'elle, mais bon. Je l'aime, quoi.

Ça va que j'ai au moins assez de recul pour comprendre qu'elle plaisante, mais je laisse couler une goutte de sueur. Le fait qu'elle soit capable d'en rire, de balguer dessus, ça veut dire qu'elle sait que je sais qu'elle en est capable. Ou un truc du genre. Bref, elle a sûrement pas caché de caméras dans mes cadeaux, mais il existe une chance non nulle qu'elle le fasse un jour.

"T'as mordu un clown, toi."

Quoi? Quoi? J'ai le droit, quand même. J'ai pas lancé la guerre des blagues nulles, je fais qu'y participer. Au moins les miennes sont pas semi-flippantes. Sauf pour les clowns. Mais je les aime pas de toute façon.

Et pour rester dans le terrifiant: une peluche d'elle. J'imagine qu'en version miniature, pourquoi pas, mais je sais pas si c'est ce qu'elle a en tête. Je me remémore avoir vu des images de polochons géants, franchement sexualisés, c'est pas vraiment ma tasse de thé. Je secoue la tête, un peu repoussée.

"Tu sais, j'ai déjà un porte-clef abeille et un sticker sur ma caisse à outils. Je pense à toi assez souvent, t'en fais pas."

Peut-être un peu trop pour que ça soit sain, qui sait.

Elle est macabre, dans l'humour, mais ça me fait un peu rire quand même. Cette fois-ci, je devine que ça peut pas être vrai, elle mordrait jamais un clown. En fait, je me demande s'ils la repoussent pas, si c'est pas son ail à elle. D'ailleurs, ça marche l'ail? Faudra que j'essaie, un jour.

Elle m'arrache un bisou, je résiste pas franchement, mais j'ai quand même l'esprit ailleurs. J'espère qu'elle le prend pas contre elle, quand même. Je voudrais pas qu'elle se fasse une fausse idée. Je me rends aps vraiment compte que je déraille, me figure le pire, encore et encore.

Je sirote mon thé, en silence. J'imagine que ça devrait me réconforter, d'habitude ça suffit à me rendre toute joie. Mais pas là, là je ressens rien, je vois rien, j'ai l'impression d'être vide. Un pantin sans destin, un truc qui existe pas que ça doit exister. C'est intenable.

"Je crois, ça va un peu mieux ouais."

J'ai pas l'habitude de mentir, vraiment pas, sauf pour quand les gens me demandent comment ça va. Surtout là, dans le contexte, avec elle si proche, je peux juste pas répondre que non, non elle aide pas, contrairement à ce que j'aurais cru. Je peux pas être honnête.

"J'ai de la chance de t'avoir, hein?"

Je me blottis un peu, je veux pas la perdre. Surtout pas maintenant.

Pour une fois, pas de remarque un peu narquoise, pas de sarcasme blessant. Elle commente la chance qu'elle a de m'avoir aussi, ça me fait plaisir. Je sens ses bras, maladroit et protecteurs, m'y accroche un peu. J'ai juste du mal à sentir son amour, sincère et pur, même si ses gestes me font y croire. Mais je me figure que c'est moi, c'est toujours ma faute.

Puis en vrai, je sais même pas si elle me mérite. Dans le sens où je suis une épave, je sais même pas ce qu'elle peut bien aimer chez moi. Ma gentillesse? Ça fait pas beaucoup.

"Pfft. Je sais pas, en vrai."

Lâché laconiquement. On sent, hein, que mon monde s'est vidé de toutes ses illusions. Comme une toile dont les couleurs ont terni avec le temps. Tout, tout est gris, et j'ai pas la force d'y remettre du rose.

"Je sais pas comment tu fais pour me supporter, je fais que me plaindre."

C'est quand même assez loin d'être la vérité, mais c'est comme ça que je le perçois quand même. L'esprit humain et ses travers, ou quelque chose.