Y'en a marre - [Céleste & Olympe]

Je sais pas vraiment pourquoi je suis là, en fait je crois que je devrais pas. Les derniers jours ont été pour le moins difficiles (absolument terribles), et je sens encore la tension dans mes muscles. Une sorte de magma dans les veines, une rage dévorante qui ronge les tripes et me fait voir le monde avec dégoût ou jugement.

Sauf elle. En fait, je crois que j'ai toujours besoin de la voir quand rien ne va. Souvent c'est juste de la fatigue, là c'est inédit. J'ai presque honte de l'admettre parce que c'est pas dans ma nature, mais je dois me rendre à l'évidence: je suis en colère. Contre ma colocation déjà, une plâtrée d'autres gens, et puis le monde de manière générale. J'en ai marre que la terre entière se moque de moi, de mes sentiments, de mon existence. Et y'a qu'un remède à tous mes mal-êtres: Céleste.

J'ai à peine prononcé quelques mots pour la saluer, avec une froideur qui me ressemble pas. Même elle, elle m'avait parue différente avec tous les diables qui me déforment le regard. Plus lointaine. Mais bon, je me rattraperai plus tard sur les affections, pour l'heure je me suis juste allongée sur son lit. Je sais pas, j'ai envie d'être en sa compagnie pour qu'elle m'apaise, mais j'ai aussi envie d'être seule et de hurler. C'est pas facile à gérer, je vous jure.

"Dis, y'a des jours comme ça où t'as envie d'envoyer tout valser?"

Allez, les pieds dans le plat. J'ai pas grand chose à lui cacher, c'est exactement mon état actuellement. Je sais même pas si mon entourage se rend compte de toute la patience dont je fais preuve, nécessairement le vase déborde un jour. J'envoie juste la question dans l'air, avec l'espoir mince qu'elle excuse le manque de manières dont j'avais fait preuve jusque là. Et aussi pour qu'elle y réponde, parce que je suis preneuse de conseils.

J'avais cru qu'être dans ses bras résout tous les maux du monde, mais faut croire que ça suffit pas en fait. Quoique ça aide, quand même, de sentir ses petits doigts. Au moins, dans ce damné monde de merde, y'a une chose qui m'aime.

Je sais pas vraiment si c'est une blague ou non quand elle me répond que ça lui arrive souvent, ce genre de colères. J'ai pas beaucoup de mal à imaginer que ça soit vrai, mais en même temps je me dis qu'elle serait moins vivable si c'était vraiment le cas. Ou alors on a des considérations différentes de ce qu'est la colère. Par contre, elle fait une erreur monumentale: me demander ce qui va pas. Alors là, désolée ma grande, mais t'as ouvert la boîte de Pandore.

"Je sais pas..." Allez, ça commence bien en plus, je me fascine moi-même. "J'ai l'impression que tout le monde me prend pour une conne, déjà. Et tout le monde s'en fout de mon travail, c'est toujours "ah tiens y'a ça AUSSI à réparer, ça te dérange pas de le faire avant de débaucher?". C'est pas une vie..."

Au fond, le grand problème c'est que je sais pas dire non, mais j'aurais beaucoup de mal à me l'avouer, alors c'est plus simple de blâmer des choses floues et vagues. C'est plus confortable.

"Mais on s'en fout. J'ai pas envie de me plaindre."

J'ai pas envie de grand chose, en fait. Et c'est le problème, j'ai envie de rien, de rien du tout. Je brûle juste sur place.

J'aurais dû m'y attendre, mais ses solutions sont horribles. Être méchante ou saboter mon propre travail. C'est sûr que je vais aller loin dans la vie, avec ça. La mort. Vous m'avez comprise.

"Je vais pas mal faire mon travail, quand même. J'ai une déontologie."

Que je souffle, désabusée. Non, sérieusement, tout ce que je casse ce sera à moi de le réparer, donc c'est franchement pas le plus malin à faire. Par contre, j'ai pas grand chose à répondre à l'idée d'insulter les gens. C'est pas l'envie qui manque. Elle doit le sentir.

Par contre, elle ose faire courir ses lèvres sur ma peau. C'est pas la première fois, on me dira, mais là c'est différent. Ça m'arrache un maugréement de refus, je me débat un peu, doucement.

"Je suis pas d'humeur..."

Non mais je dois être insupportable, en retrospective. J'étais venue chercher le réconfort de ses bras, mais un bisou c'était trop. Je sais pas, ça a plus le même charme que d'habitude, pas la même sensualité. Tout ce que je vois et ressent est terni par l'orage dans mon esprit, je suis incapable de recevoir son amour.

"Je sais même pas ce que je veux. Je sais pas si ça va passer, si il me faut quelque chose."

Elle s'y connaît probablement mieux que moi, en envies de détruire le monde, faut que je me renseigne. Quoique je sens qu'elle va me dire d'apprendre des gros mots aux enfants, ou quelque chose. Bon, si ça aide, au pire je peux essayer...

Ouais, des vacances. Non mais c'est ça, qu'il me faut. Ça fait... bon, plein d'années, que j'ai pas pris de vacances du tout. Quelques interruptions pour des raisons de santé parfois, mais c'est bien tout. Et encore, je rendais encore service quand je devais pas. Elle est trop intelligente, ma petite abeille.

"Eh mais c'est pas con, ça. Je vais vraiment prendre des vacances, je crois."

C'est dingue, ça va déjà un peu mieux. Rien que la perspective de me lever à quatorze heures, me balader en pyjama et rien faire m'enchante. J'aurais presque envie de la prendre dans mes bras pour la remercier de l'idée, mais je suis déjà bien dans les siens. Tant pis pour elle. Et puis, toutes choses considérées, son lit est particulièrement confortable.

"Et ça commence maintenant. Je bouge pas d'ici avant demain au moins. Peut-être après-demain."

Ou alors seulement pour me laver les dents, et sûrement me changer, mais bon. Bref, je bouge pas j'ai dit. Malgré la quantité angoissante de peluches qui semblent me suivre du regard. Non, vraiment, y'en a combien?

"D'ailleurs, ce sera ta responsabilité de subvenir à tous mes besoins le temps durant."

Bon, c'était une blague à la base, mais avec mon humeur actuelle, c'est presque balancé comme un ordre. C'est pas forcément contre mes interêts qu'elle l'interprète comme tel, au final j'ai même à y gagner. Alors je me corrige pas. Voilà.

Je râlais, moi? J'avais pas l'impression, mais j'imagine que ça devait être comme ça qu'elle l'a pris. Bon, tant pis. Et puis de toute manière, j'ai de le droit de râler, avec tout ce que je me prends dans la face. C'est même légitime.

Et on dirait qu'elle rechigne à la tâche. C'est un peu ironique pour une abeille, mais je préfère le garder pour moi. Faudra que je tente un jour de faire passer des blagues sur sa part animale, pour tâter le terrain, voir ce qui passe. Tiens, en fait ça commence aujourd'hui, j'essaie.

"T'en fais pas, mon miel, je suis sûre qu'on s'en sortira."

J'ai un peu l'impression qu'elle fait tout pour me mettre à la porte. Faut dire que je suis pas particulièrement têtue, si elle insiste je vais plier, mais j'ai envie de résister un peu. Déjà parce que je suis allongée, ensuite parce que je suis allongée entre ses bras.

"On commandera des pizzas, et on ordonnera à tes colocs de ramasser les cartons. Trois fois par jour." Déjà, c'est le souci de la bouffe de réglé. Enfin, faudra qu'elle commande parce que je peux m'en payer deux au maximum. Mais c'est des détails. "Et puis je veux un thé, tiens. Maintenant, hop hop hop."

Juste pour faire comprendre l'urgence de la requête, je claque des doigts à quelques centimètres de son visage. Je crois que donner des ordres ça me correspond vraiment pas. Déjà, je suis pas crédible une seconde, ensuite j'avais presque honte de le faire. Je regrette instantanément, même si c'était à peu près une blague.

"S'il te plaît..."