Ira, est-ce un diminutif d'Irationnel ?

7h00 du matin, la lumière pâle de l'aube commençait à filtrer à travers les parois de pierre de l'appartement-grotte d'Asami. Le froid régnait, s'immisçant dans chaque recoin de cet espace étonnamment rustique.

Malgré cela, l'endroit avait son charme pour les spectres qui le fréquentaient, et ce matin-là, la nouvelle arrivante se préparait pour une nouvelle journée d'école… Cette habitude n’était certes plus nécessaire depuis son trépas, mais Hiiragi avait du mal à oublier les routines de son vivant.

Comment l’en blâmer ? elle était décédée il y’a moins d’une semaine et ce monde des âmes lui était encore inconnu. La jeune femme eut de la chance de retenir l’itinéraire jusqu’aux complexe de vie primitif qu’était Lascaux.

Après avoir pris une douche revigorante à l'eau chaude, l'un des rares luxes de son lieu de vie préhistorique, et s’être apprêtée et maquillée pendant 45 minutes, Asami enfila son uniforme scolaire avec une certaine nonchalance. Elle hésita un instant à enfiler son brassard de déléguée, mais elle laissa le bout de tissu sur son lit, se rappelant qu’elle n’avait plus cette charge ici-bas.

Sa chambre était un joyeux mélange d'éléments modernes et d'une fascination pour le passé. Les murs étaient tapissés de posters de Star Wars, de mangas célèbres comme Attack on Titans, et d'affiches d'animes variés. La collection bien rangée de DVD, regroupant des films des années 80-2000, de figurines et des animes, occupait une étagère à part entière.
Un petit bureau, surmonté d'un ordinateur qui restait inutile sans électricité, trônait près du lit simple mais confortable.

Les coussins décoratifs et la couette ajoutaient une touche de chaleur à cet espace singulier… Ce n’était pas parfait, mais c’était chez elle. Un endroit où son père ne pourrait la retrouver et la frapper ou lui briser le moral.

Mais ce matin-là, alors que la demoiselle passait par la salle commune pour sortir des grottes , quelque chose d'autre attira l'attention d'Asami.

En sortant de sa chambre, elle s'arrêta devant le gigantesque drapeau de l'Irlande qui ornait fièrement l'un des murs de la salle. Les couleurs vertes, blanches et orange semblaient vibrer dans la lueur tamisée des bougies qui éclairaient la pièce.

La japonaise contempla l’étendard un moment, perdant son regard dans les plis du tissu. Ce drapeau était bien plus qu'un simple ornement pour la personne qui l’avait affiché, l’imposant à la vue de tous.

Hiiragi savait qu’il s’agissait de Sadie O’Connor… Avec un nom pareil, la déduction n’était pas difficile.

L’ancienne harceleuse ne connaissait pas bien ses colocataires, elle les avait vu de loin mais elle avait réussi à les éviter jusqu’à présent et il semblerait que les horaires matinaux de l’adolescente ne correspondent point avec les autres occupants de Lascaux.

Elle savait juste que O’Connor était quelqu’un de peu fréquentable au vu de son comportement froid et renfermé… Mais Asami ne lui en tient pas rigueur, ce n’est pas comme si elle était une sainte non plus.

Tant que l’irlandaise restait dans son coin, la japonaise de l’embêterais pas…
Cependant, l’adolescente ne dirait pas à non à un peu d’aide pour s’y retrouver dans les endroits de la non-vie.
Alors, Hiiragi sorti un carnet de son sac et en déchira une page.

Elle inscrivit en japonais et en Anglais :

-« Bonjour/Bonsoir chers colocataires. Je suis nouvelle dans la non-vie et je ne dirais pas non à une visite guidée des lieux.
Bien à vous.
-Asami. »

La femme au visage tuméfié arracha le mot des mains d'Asami et fit un commentaire qui fit pouffer la Japonaise.

Une petite copine ? Si seulement elle avait eu le temps de connaître les joies et les affres de l'amour avant son décès.

Avec un sourire de façade, Hiiragi répondit à l'Irlandaise :

-« Non, c'était un mot doux pour la tienne, mais tu feras l'affaire.
Et pour ton drapeau, je comprends l'amour sacré du pays, ne t'en fais donc pas… Je me nomme Hiiragi Asami, au fait. »

La dernière partie de sa phrase n'était pas sarcastique. La Japonaise aimait véritablement son pays et elle respectait un peu ceux qui partageaient cet amour envers leur Terre-Natale.

Par contre, sa proposition l'intéressait beaucoup. Sadie semblait être une femme débrouillarde qui devait connaître Tokyo comme sa poche. Les coins sombres et problêmes en prime… Ça devrait être amusant.

Naturellement, ça ne serait pas gratuit, Asami était prête à payer son Virgile pour la guider dans l'enfer où elle était comme Dante... Une parfaite étrangère égarée.

Tout en conservant son sourire et son regard amusé, l'adolescente répondit à l'affirmative à son interlocutrice.

-« Naturellement. Rien n'est jamais gratuit.
Dis-moi ce que tu aimes et j'ai peut-être une figurine de manga ou de star-wars qui devrait te plaire... Comme un Stormtrooper que tu pourrais peindre... »

Bien sûr, je pourrais te rendre un service, mais je ne pense pas que tu aies besoin de moi pour intimider ou tabasser quelqu'un.

L'idée de devoir à nouveau frapper quelqu'un fit geler d'effroi la colonne vertébrale de la jeune lémure. Elle essayait de devenir meilleure et elle présentait que traîner trop longtemps avec O' Connor pourrait la faire chuter de nouveau dans ses travers.

Alors, elle préférait encore lui donner une figurine... Ce stormtrooper, elle l'aimait bien, mais elle en trouverait d'autres... Du moins, elle l'espérait.

Cependant, un frisson d’excitation parcourut son corps, qui de mieux qu’une rebelle pour avoir une visite guidée mémorable avec des ennuis et des tranches de rigolades ?
Après tout, si on est ici, c’est parce qu’on ne s’est pas assez amusé de notre vivant non ?

-« Qu'en penses-tu, O'Connor-San ? Je t’offre mon stormtrooper et tu me fais une visite guidée… Cela devrait être amusant. »

Asami lui tendit la main pour officialiser la transaction. Elle n’avait pas quitté le sourire qui illuminait ses lèvres rouges et ses yeux étaient focalisés sur l’Irlandaise, attendant sa réponse.

Asami venait de toucher un point sensible avec Sadie.

Si cette discussion avait eu lieu un an auparavant, la Japonaise aurait remué le couteau dans la plaie avec un plaisir sadique.
Mais il semblerait que l'expérience de sa propre mort lui ait racheté une morale perdue il y'a longtemps.

L'affirmation de Sadie sur Céleste par contre, ne tomba pas dans l'oreille d'une sourde.
La lycéenne comprit qu'une certaine animosité régnait entre ces deux femmes et Hiiragi n'avait pas pour projet de finir entre le marteau et l'enclume... Alors, elle ne releva pas.

-« Ça me va ! Ravie de voir que l'on peut se procurer des comics et peut-être des mangas... J'espère qu' il y'a des jeux vidéo aussi... Côté bagarre, je sais me défendre… Surtout avec un sabre. »

Éviter Kabuchikô ne dérangeait pas Asami, la jeune femme voulait éviter toute confrontation dès sa première semaine.
Puis l'Irlandaise la prit par le bras sans la moindre délicatesse et l'entraîna en dehors du réseau de grottes primitives qui leur servaient d'appartement.

Une fois dans la rue, la nouvelle arrivante dégagea son bras avec autant de douceur que la saisie de Sadie et elle marcha au même rythme que sa guide.

À la question de Sadie, Asami se mit à rire. Les images de la vidéo de son trépas défilaient dans son crâne, et même si elle voulait pleurer, ce fut le rire qui l'emporta.

-« Accident de voiture alors que je rentrais chez moi... Un chauffard n'a pas compris que les piétons n'étaient pas des autos-tamponneuses. C'est débile, je sais. »

La Japonaise soupira et reprit la parole. Les paroles de son interlocutrice lui rappelèrent un de ses cours d’histoire qui parlait des crises européennes. Le soulèvement irlandais, Michael Collins, les peaces-walls.

-« Battue à mort ? Je suis navrée. Tu veux que je te dises comment c’est l’Irlande aujourd’hui ? »

La jeune lémure haussa les épaules et écouta les informations de l'indépendantiste irlandaise sur la monnaie.

-« Super... Tu sais comment on peut gagner des ossements, O'Connor-San... Ou mieux, comment ressusciter ? »

La lycéenne voulait retourner chez les vivants... Elle n'avait pas encore oublié ce projet.

Les deux femmes continuaient leur chemin, échangeant des fragments de leurs histoires respectives dans une étonnante complicité.

Sadie, tout en écoutant Asami, arborait une attitude décontractée, laissant échapper un rire sarcastique lorsque la Japonaise mentionna son désir de trouver un moyen de ressusciter.

Le sourire de Sadie s'effaça brusquement à la mention de nécromanciens et de potions zombifiantes.

-« Oh, bien sûr. Tu peux aller voir un nécromancien, il te donnera une potion qui te zombifiera, tu veux devenir zombie ? Crois moi j’ai essayé, tu n'obtiendras rien en allant voir un Nécromancien. Ou tu peux aller voir ce bâtard de roi et lui demander de te ressusciter, mais il refusera. Je les ai harcelés, menacés de violence, j’ai même menacé de cramer l’agence, mais rien. Je n’ai rien obtenu. Il faut que tu comprennes un truc : Les morts ne reviennent pas à la vie. Les seuls qui peuvent revenir sur Terre c’est ces connards de vampires, cette bande de privilégiés. Pour le reste, on ne revient pas à la vie.»

L'asiatique dévisagea Sadie, percevant l'agressivité dans son regard. La tension monta subitement entre elles, et le regard malicieux d'Asami perdit de sa vivacité. Elle soupira, comprenant que son désir de retrouver la vie était une quête vaine.

-« Même mort, il y'a des chanceux...kuso...»


Sadie poursuivit son chemin, et Hiragii la suivit en silence, ses pensées marquées par une tristesse contenue... Elle ne pourrait jamais s'excuser...

Le duo arriva devant le magasin de comics, un sanctuaire dédié aux passionnés de bandes dessinées et de culture geek.

Sadie salua la propriétaire, Ashley, une vampire écossaise, avec une familiarité amusante. Le magasin était une véritable caverne d'Ali Baba pour les amateurs de pop culture.

Les étagères regorgeaient de comics, de mangas, de figurines, et d'autres trésors dédiés aux geeks et aux passionnés.

- «Ashley, vieille bâtarde écossaise. Comment ça va?»

-« Salut Sadie, ça fait un moment. Tu t’es encore battue toi non?"

-« Ouais j’avais plus d'ossements, mais c’est fini. J’te présente Asami Hiiragi. Ma coloc, elle a l’air d’être une nerd. Elle aime Star Wars.»

Asami fut présentée avec une sévérité teintée d'humour par Sadie, et elle répondit par un léger haussement d'épaules avant de s'incliner pour saluer la gérante à la façon japonaise, un sourire en coin s'étirant sur ses lèvres. Sadie la prévint avec un ton sérieux.

-« Bon tu peux regarder, mais pas touche. Je cracherai pas d’ossements pour t’acheter un comics, ni une figurine, ni un manga, ni à manger, ni je ne sais quoi.»

Hiragi répondit d'un simple hochement de tête avec un sourire malicieux, comprenant les règles de l'irlandaise.

Elle parcourut les allées, émerveillée par la diversité des trésors qui s'offraient à elle. Elle se plongea dans l'univers fascinant des comics et des mangas, naviguant entre les étagères remplies d'éditions rares et de souvenirs de la culture geek vieux d'avant sa naissance.

Au détour d'une étagère, Hiragii aperçut une vieille édition du Shonen Jump, ses yeux s'illuminant d'une lueur de reconnaissance. Elle s'en saisit avec précaution, sentant la texture usée des pages entre ses doigts.

En sortant de l'allée, elle haussa les épaules avec un sourire ironique, déclarant d'une voix légèrement moqueuse :

-« Je ne serais même pas étonnée de tomber sur des mangas en latin....»

Après avoir parcouru les rayons du magasin de comics et s'être brièvement émerveillée devant la variété de mangas, de figurines et de bandes dessinées, Asami se dirigea vers l'endroit où Sadie se tenait, attirée par l'idée d'une discussion plus profonde.

Elle referma délicatement le vieux numéro du Shonen Jump qu'elle avait entre les mains et le reposa à sa place, son regard pétillant d'intérêt.

La jeune lémurei eu devant sa guide une expression passant de l'enthousiasme à une curiosité plus profonde.

-«Y'a beaucoup  de trésors du passé ici. Ces mangas me rappellent le monde que j'ai laissé derrière moi... mais parlons de toi, Sadie-san.»

Prenant une inspiration avant de plonger dans la question qui la taraudait, la lémure dit alors :

-«Il semblerait que tu ne t'entends pas bien avec les autres colocataires de la grotte. Pourquoi? Qu'est-ce qui s'est passé?»