t'as les crocs ? bouffe un p'tit pain au sang

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ft. @M. Adrien Renart

Les semaines passent et les choses se tassent. De retour dans un quotidien lent, calme, sans problèmes, Wynn s’est fait relativement discret depuis deux mois. Un peu trop même, ses collègues ne comprenant pas ce qui peut rendre le vampire au tempérament habituellement belliqueux aussi silencieux. Il se présente à la Camarilla, fait son travail et repart sans décrocher un seul mot de la journée -ce n’est pas comme si son entourage professionnel s’en plaignait. Après l’avoir supporté plus de deux semaines dans un état absolument catastrophique, voir le chaos ambiant enfin se calmer est loin d’être désagréable. Mais quelque chose interroge ; c’est le pourquoi. Pourquoi évite-t-il encore plus soigneusement le moindre regard, pourquoi se mure-t-il dans un silence presque religieux des journées entières mais surtout pourquoi semble-t-il aussi nerveux ?

Il rase les murs, garde sa bouche soigneusement fermée et sa langue dans la poche. Il est fatigué, épuisé même et pourtant il maintient une éthique de travail surprenante ; enfin ça le serait pour quelqu’un qui ne connaît pas Wynn. Seule exception au tableau : les deux semaines d’absences il y a presque deux mois maintenant, sans explications, sans même prévenir sa hiérarchie. Il a disparu, simplement. Et lorsqu’il est revenu un matin tout le monde a été rapidement au courant ; il suffisait de suivre le bruit des cris de son responsable. Alors depuis, en plus de son travail de comptable, il se retrouve régulièrement à faire des petites tâches ici et là, comme une sorte de punition pour son absence injustifiée. Et comme à son habitude, le gallois s’est contenté d’hocher la tête. Accepter sans discuter. C’est ce qui explique sa présence devant la porte de la Boolice, carton sous le bras, déglutissant discrètement sans oser bouger.

C’est le genre d’endroit qui le met mal à l’aise. Qui lui rappelle trop de souvenirs, de mauvais souvenirs. Et avec les événements plus ou moins récent, il y a fait assez d’aller-retour la boule au ventre pour vouloir les éviter à tout prix -au moins un temps. Il n’a pas le choix pourtant alors il inspire, expire et pousse la porte de sa main libre. A l’intérieur, c’est calme. Ça l’arrange. L’ambiance bureaux surchargés et bruyants ne lui convient que très peu alors au moins il n’aura pas les oreilles qui sifflent en repartant. Normalement. La porte à peine franchie alors que ses yeux balayent la pièce, une voix semble l’interpeller, lui faisant tourner la tête dans la direction du bruit. Grave erreur.

« Barre-toi, on veut pas de ta secte ici. »

Il cligne des yeux alors que quelque chose lui fonce dessus, tellement vite qu’il est incapable de discerner ce que c’est. Ou même de réagir. Ça le frappe en plein front. Aïe. Il recule légèrement, une marque rouge vif apparaissant rapidement sur sa peau ; heureusement il ne semble pas se mettre à saigner et heureusement. Les doigts se serrent contre le carton, son poing libre tremble un peu et pourtant son visage reste neutre quoi qu’un peu fermé. Il se mord l’intérieur de la lèvre, inspirant et expirant de nouveau avant de ramasser le stylo et s’approcher du bureau où se tient le responsable de cette agression parfaitement gratuite à ses yeux. Il reconnaît ce visage, ces yeux et ces cheveux roux.

« Bonjour, Adrien. »

D’un geste brusque, il dépose le carton sur le bureau en le faisant trembler, trahissant l’agacement qui monte petit à petit. Ça le lance et il tire une grimace de douleurs. Le silence qui suit pèse lourd et il ne sait comment le briser sans être désagréable. Il en a envie. Mais il se retient. Un léger soupir.

« Je constate que tu es toujours aussi accueillant. Crois-moi que je serais bien reparti, avec plaisir même, mais je suis le prédisposé à la distribution aujourd’hui. Tiens. »

Le stylo déposé entre eux deux, Wynn évite soigneusement son regard mais ne peut constater qu’une chose : il n’est pas le bienvenu ici.

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ft. @M. Adrien Renart

Il sourit -et ça le fait tiquer. L’agacement qui prend petit à petit du terrain se nourrit de ce genre de détails qui appuient là où il ne faut pas. Ou il ne faut vraiment, vraiment pas. Il inspire, longuement, mais en silence ce qui rend l’action difficilement perceptible ; surtout avec ses mèches bouclées qui lui retombent devant le visage, devant les yeux. Il y passe sa main, réarrange comme il peut le désordre capillaire qu’il a créé avec son jeté de stylo, mais ce n’est pas très fameux pour autant. La tension se glisse entre vous mais aussi sous sa peau et ça tire. Ça le tend. Il évite encore plus soigneusement son regard car il le sent : ça ne fera que l’énerver encore plus. Adrien Renart. Serait-ce pour cela qu’on lui a confié cette tâche ; à cause de la présence du rouquin dans les locaux ? A cause de son tempérament et de sa colère farouche et bien peu dissimulée envers la Camarilla ? Ce n’est plus un secret -si tant est que cela l’a été un jour, et encore moins pour Wynn qui le connaît depuis …
Depuis.

Sous ses cils, les yeux verdoyants de Wynn se figent sur le stylo, dans une tentative presque désespérée de ne pas croiser son regard. Feindre d’accorder de l’importance à la seule chose qui semble de valeur, pour lui, là maintenant. Il n’a pas envie de relever la tête, il n’a pas envie de discuter et il tient particulièrement au peu de stabilité que sa non-vie lui donne enfin après une période plus que détestable -pour lui. Et pour d’autre. Poser le carton, le laisser se démerder avec et tourner les talons : un plan alléchant, simple, clair. Mais bien impossible, surtout pour le gallois et son esprit étriqué et procédurier. Il doit encore ouvrir ce carton. Distribuer. Faire l’inventaire. Remplir des papiers. Il se frotte la tempe du bout des doigts, comme prit d’une soudaine migraine rien qu’à l’idée de devoir rester dans les parages encore un moment.

« Pardonne-moi, je ne t'avais pas reconnu sous cet horrible brassard. »

S’il fallait une confirmation au vampire.

« C’est le règlement. »

Il ne revient pas sur les excuses de son compère vampire puisque ça ne l’intéresse pas. Surtout avec ce ton dans sa voix qu’il n’arrive à identifier mais qui, sans surprise, hérisse les poils de la Bête. Rester calme, inspirer, expirer. Cette fois-ci c’est plus bruyant, plus visible. Tant pis. Bien évidemment qu’il préfère largement se dispenser de ce brassard qu’il perçoit comme une cible manifeste de son lien avec la Camarilla et, par extension, un indice sur sa vraie nature. Ce n’est pas comme si tout le monde au sein de la Camarilla s’avère être un·e vampire mais les gens ne s’intéressent que très peu à ce genre de détails. Et les assomptions sont tellement plus simples à faire.

« Si tu n'étais pas membre de ces chiens, tu n'aurais pas à recevoir une juste punition. »

Lentement, il lève enfin les yeux ; vers le ciel. Il se serait merveilleusement bien entendu avec son géniteur.

« Enfin bon. T'es là par choix, par punition ou est-ce que ces trouillards ont trop peur de faire leur boulot ?

Si j’avais eu le choix, tu te doutes bien que je serais resté derrière mon bureau plutôt que de faire le coursier. »

Plutôt que de risquer de se faire blesser. Encore. Au moins cette fois-ci ce n’est que physiquement ; et il n’a pas rendu les coups. Ses mains s’agitent autour du carton, nerveux rien que d’y repenser. Nerveux de ne pouvoir s’échapper et de le laisser se débrouiller. Un soupir, long, absolument pas dissimulé semble ponctuer la dernière phrase du rouquin. Ses yeux croisent enfin ceux d’Adrien ; il est étonné d’y croiser un air qui ne lui est pas inconnu. Qui lui évoque quelque chose … Mais quoi ?

« Non. Si j’en crois mes documents j’ai même un peu de retard. Remplir les stocks et refaire l’inventaire a pris un peu plus de temps que prévu. Ce qui s’est probablement fait ressentir en termes de faim. »

Silence.

« Cela ne me dérange pas de déballer tout sur ton bureau … Si j’y trouve assez de place. À moins que tu préfères me désigner un endroit plus tranquille. Et pratique. »

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ft. @M. Adrien Renart

Ses yeux glissent vers le comptoir qui les sépare, comme incapable de maintenir un contact visuel trop longtemps. C’est inconfortable de toute façon ; insupportable cette façon qu’ont les yeux de devenir des portes sur l’âme des gens. De devenir des miroirs aussi, parfois. C’est pesant. C’est fatiguant. Il n’a pas besoin de voir son propre reflet dans les pupilles légèrement dilatés d’Adrien, il n’a pas besoin de prendre conscience qu’un certain mot a déclenché chez lui une réaction. Il ignore sciemment les doigts qui se resserrent sur le bois au point de le marquer et préfère donner l’impression de ne pas l’avoir remarqué. C’est plus simple. Plus facile pour lui. Cela lui importe peu de soulager Adrien de ce qui semble être un poids, une gêne ; ce n’est même pas un collègue. Et encore moins un proche voire un ami. Les siens de doigts continuent de jouer du piano sur le carton, montrant qu’il est de plus en plus nerveux. Il ne tient pas en place, il veut fuir. Fuir cette discussion, fuir les regards qu’on lui lance, fuir son regard. Fuir avant que tout cela le pousse à bout.

Fuir avant que ses propres rugissements ne se réveillent pour se transformer en quelque chose de particulièrement désagréable.

« Ouais, ouais. Viens derrière, on sera tranquille. »

Ses yeux se posent de nouveau sur lui ; et son expression lui donne envie de grogner.

« Juste toi. Et moi. »

Soupir.

« Très bien, je te suis. »

Pour une fois, c’est à lui de pénétrer dans l’Antre d’une bête.

---

« Tiens. Laisse-moi vérifier rapidement … Mh. Je dois te laisser cinq poches de 400ml, éventuellement une sixième si nécessaire car on a un peu de marge pour une fois. »

Tout en lui parlant, Wynn dépose le carton sur la seule surface disponible. D’une main il l’ouvre et de l’autre il consulte ce qui ressemble à une feuille d’inventaire, clipsée avec soin sur un porte document à pince sobre. Sans vie. Sans saveur. C’est procédurier et bien loin de l’idée que l’on peut se faire sur la distribution des poches de sang parmi les vampires ; une simple formalité administrative dont Wynn espère se défaire rapidement. Il n’éprouve aucun plaisir à porter des cartons, à manipuler du sang d’un peu trop près pour son propre confort et devoir gérer des vampires qui baignent dans leur propre soif. Il ne sait que trop bien ce que cela représente ; et ça le fatigue déjà rien que de penser au reste de sa longue et pénible journée. Ce qui explique sûrement le soupir. Ça et le fait que, désormais, il exècre se retrouver dans une pièce à peine plus grande qu’un cagibi. Trop de mauvais souvenirs liés à un tête à tête impromptu avec un autre vampire. Il chasse le visage de l’homme en question de son esprit en agitant légèrement la tête avant de se tourner vers Adrien.

« Pas la peine de te plaindre auprès de moi pour les stocks si ça ne te convient pas. Tu pourras toujours passer à la Camarilla pour faire un esclandre si ça te chante. »

Tant qu’il n’a pas à gérer ce qu’il restera de dégâts après son passage. D’un geste accompagné d’une grimace de dégoût, il dépose directement une poche de sang dans la main d’Adrien puis pose les quatre autre à côté du carton qu’il commence à refermer, lui tournant le dos.

« Retiens-toi de l’ouvrir le temps que je reparte. »

Cette fois-ci, il espère bien avoir le dernier mot. Après tout ce n’est pas tant une question qu’un conseil. Et que cela sonne comme un ordre lui importe peu.

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ft. @M. Adrien Renart

Le bruit mou et presque dérangeant de la pochette de sang jetée sans plus de cérémonie sur la table fait rouler les yeux de Wynn, qui pousse un léger soupir avec son nez, comme expirant tout l’agacement qu’il peut ressentir. Quoi encore est la première phrase qui lui vient en tête, mais elle reste coincée au fond de son œsophage bien incapable de faire son apparition entre ses lèvres. Pourquoi ? Il ne saurait le dire. Peut-être qu’il n’a aucune envie de gaspiller sa salive pour l’autre vampire, peut-être qu’il n’a pas le temps pour ça qui peut le savoir. En tout cas cela ne l’empêche pas de continuer à fermer son carton, glissant à l’intérieur le porte-document d’une main tandis que l’autre tien le côté pour éviter qu’il ne glisse de la table. On n’est jamais trop prudent. L’air de ce bureau est étouffant, il pourrait suffoquer s’il n’était pas déjà mort. Ça n’empêche en rien sa poitrine de se comprimer et il est sûr d’une chose : il a envie de partir vite et loin, tout de suite. Alors que ses mains se reposent sur le dessus du carton, tentant tant bien que mal de le refermer correctement, la voix d’Adrien fait tressaillir ses épaules une fraction de secondes.

Évidemment.

Il préfère ne pas relever, se contentant de finir son travail et se retourner, prêt à partir le carton sous le bras. Il a beau éviter soigneusement le regard de son « compère » vampire il lui suffit d’un bref coup d’œil pour voir que les iris de l’autre sont sombres. Très sombres. Bien sûr qu’il ne peut partir sans avoir le droit à la tirade sur la Camarilla, cette bande de rapaces. Loin de lui l’idée d’absolument les défendre mais pour autant il y trouve son compte et il serait probablement encore à la rue, hagard et sans but si Akio ne s’en était pas mêlé. Alors oui, il sent cette petite pointe à l’arrière de son cou et il serre fermement les poings en respirant. Lentement. Pas besoin de lui demander quoi que ce soit ; la suite de l’explosion ne se fait pas attendre.

« J'irais me plaindre, t'en fais pas. Si je pars maintenant, tu auras le temps de ramasser les morceaux de ton bureau. »

Nouveau roulement d’yeux silencieux.

« Et garde ta charité pour ceux qui en ont besoin.

Ce n’est pas de la charité. Tu es sur la liste, je livre, je repars. Le reste ne m’intéresse pas. »

C’est bien plus par désintérêt qu’autre chose qu’il se retient de préciser qu’il en a besoin. Il peut le sentir, le voir. Il reconnaît les yeux, les traits, la voix fébrile, l’agitation. Bien sûr il ne doute pas une seconde que d’autres vampires connaissent parfaitement cette sensation mais pour lui, c’est inoubliable. Ça l’a marqué et bien qu’il déteste y repenser -et c’est bien pour cela qu’il déteste tout ce qu’il se passe actuellement, il ne peut fermer les yeux. Quand Adrien se lève, Wynn s’attend à voir sa colère détonnée, se répandre sur lui et chaque coin de ce bureau. Mais non. Presque aussi vite qu’il fût debout, le voilà qui ralenti, chancelle et se retrouve à terre. Aucun avertissement, aucune explication. Wynn recule, légèrement surpris. Ce n’est pas souvent mais il doit l’avouer il a été pris de court.

« … Adrien ? »

Un soupir. Long, agacé, pénible.

« C’est pas vrai. »

Le carton presque sous le bras, il hésite à le reposer avant de le caler plus fermement en dessous. Il fait un pas, s’arrête, reviens en arrière, repart. Le manège semble durer une éternité alors qu’une poignée de secondes passent seulement avant de l’entendre grogner ce qui ressemble à une insulte en gallois et de finalement reposer le carton, saisir une pochette et se rapprocher d’Adrien. En s’accroupissant il peut voir son visage et vu la confusion dans ses yeux il n’a pas besoin de les éviter. Sa main libre tâtonne avant de se poser au sol pour l’aider à trouver un équilibre. Il déteste, déteste avoir à faire ça mais il entend d’ici la voix de son supérieur directe qui l’engueule. La voix de Xamanek aussi. Et quelque chose qui ressemblerait presque à de l’inquiétude -s’il savait l’identifier. D’un geste il rapproche la main qui tient la pochette avant de l’ouvrir avec les dents et l’odeur lui donne tout de suite envie de vomir. Ou de tout jeter à la poubelle. Ou de l’avaler d’une traite. Ou bien tout ça à la fois, lui-même est incapable de le savoir. Il colle la pochette contre l’épaule d’Adrien, comme pour le secouer.

« Bois. Je n’ai pas de temps à perdre. »

Et s’il le faut, il lui mettra la pochette au fond du gosier.
Il a déjà fait bien pire.