Bien que le silence semble se coller à toi comme de la poix, cette fois-ci il t’apporte un peu de réconfort. Du répit, même. Loin du silence pesant et engourdissant de l’infirmerie, c’est celui qui règne dans l’appartement de Basil qui t’entoure. T’as l’habitude, tu connais, tu n’irais pas dire que c’est
un peu comme chez toi -quand bien même tu squattes pas mal ses quartiers, mais ça a le goût du familier. Un bruit de silence plutôt, car entrecoupé du tintement de la vaisselle que tu manipules en grommelant dans ta barbe, d’un cliquetis au loin qui provient probablement d’un objet soit bizarre, soit vieux, soit qui n’a rien à faire là mais aussi de la respiration profonde et rauque du nécromancien allongé sur le canapé. Ça change de la complainte exprimée par les corbeaux de Basil qui ont bien failli te percer un tympan; et vu la situation t’as bien besoin de tes deux oreilles. Et de ton équilibre. Y te faut au moins ça pour rattraper la catastrophe qu’est ta dextérité en cuisine; combien de fois t’as failli te couper une phalange en une demi-heure ?
Après votre départ, t’as pas dit grand-chose sur le chemin. Faut dire que la tête de Basil enfoncée dans la capuche du hoodie dissuade un peu, sans parler des galères sur le chemin : l’aider à s’installer dans la voiture, le sortir, plier et déplier le fauteuil. Toute une logistique qui a laissé une marque permanente dans ta colonne qui te lance et te fait un mal de chien -et pourtant ça t’as pas empêché de pas le lâcher. De le porter dans les marches qui te semblent
vachement trop étroites d’un coup, entre sa boutique et son appartement. De pousser et ranger, juste assez pour marcher et t’asseoir cinq minutes dans le siège, te frotter le visage avant de partir en cuisine. Il dort d’ailleurs suffisamment profondément pour t’obliger à venir vérifier de temps à autre qu’il respire encore; un réflexe stupide. Vous êtes déjà morts, après tout. Et s’il venait à y passer pour de bon, t’aurais plus besoin d’une balayette que de vérifier sa respiration en mettant ta main sous son nez.
Sous tes doigts, différents types de légumes essayent manifestement d’échapper au destin que tu leur réserves. Ou bien au carnage que t’es en train de faire. T’as tiré parti du sommeil profond de Basil pour faire un aller-retour au konbini le plus proche en pressant le pas, l’esprit pas tout à fait tranquille ; t’as mis un temps record à revenir alors que ton dos endolori te disait
de ralentir putain aïe ça pique. Et peut-être que t’aurais dû acheter un truc tout fait parce que, malgré la recette que tu fixes sur ton téléphone et la deuxième vidéo tuto que tu regardes, t’es en train de te faire mettre à mal par une soupe.
Une simple soupe. C’est long, c’est pénible et tu râles, encore et encore. Mais t’es têtu, borné -et un peu con aussi. Tu finis par réussir à faire quelque chose qui ressemble plus à un croisement entre de la bouillie de légumes, du gruau et une soupe. Un long, très long soupir sort alors que tu agrippes le bord du comptoir en regardant le sol. T’as goûté et au moins c’est mangeable. Douteux, mais mangeable.
Il te faut quelques secondes pour comprendre que le bruit que tu entends ressemble à celui d’une toux. Puis un silence. Tu t’arrêtes pour écouter et t’entends le bruit d’un corps qui se déplace sur le canapé alors tu te remets à touiller en attendant qu’il se manifeste. T’essayes de rattraper les dégâts mais c’est pas trop ça, carrément pas même. Au moins vu la texture il aura pas de mal à manger -enfin t’espères. Sa voix t'interpelle d’un coup et ça te surprend; autant par son ton faible que sa simple présence. Tu t’attendais à ce qu’il se rendorme ou qu’il attende que tu sortes de la cuisine mais non. Il te demande si tu t’en sors et t’as beau y réfléchir, tu sais pas quoi lui répondre. Alors tu dis rien, pendant un instant.
Le silence se brise de nouveau quand tu finis par lâcher ta soupe-bouillie bizarre pour venir dans le salon. Tu le fixes, appuyé contre le cadre de la porte, les bras croisés. Il est toujours aussi pâle, toujours aussi fin. Mais cette fois-ci ça te saute aux yeux, encore plus qu’à l’infirmerie, peut-être à cause du bordel ambiant qui semble le comprimer, le tasser ? Peut-être parce qu’il se réveille et que comparé à d’habitude, il t’as parlé. Qu’il ne semble pas aussi déboussolé. Non, il l’est, mais de manière différente. Toi qui a pris ce réflexe de ne jamais lui parler à son réveil jusqu’à la première syllabe ou le premier grognement qu’il t'adresse, ça te fait sacrément bizarre.
« ... On va dire que je m’en sors.»Tu lui ramènes un sac qui fait un bruit de cliquetis avant de le poser sur le canapé, près de lui.
« T’as dormi un p’tit moment. Profite de reprendre une potion pour les douleurs le temps que je te ramène à manger. »Tu lui demandes même pas s’il a faim, tu te doutes que son estomac est encore fragile. Mais même si ça prend des heures, il faut qu’il avale quelque chose.
N’importe quoi. Et quand tu reviens avec les deux bols à moitié pleins, tu te dis que vraiment …
Ça a une sale gueule, quand même.
Résumé
940 mots
tantine qui tente de faire son cooking mama et qui fail bien bien