Du plus loin que je me souvienne, je n’ai pas véritablement vécu ma vie. Face à moi, on projette sur un grand mur blanc un film retraçant mon existence. Mal à l’aise sur mon fauteuil, je garde un sourire intact. Les yeux ne mentent pas, dit-on, alors je sais que c’est bien moi, mon visage, mon parcoure. Ma vie. Pourtant, j’ai cette désagréable sensation, tu sais, celle qui te prend à la gorge peu avant de pleurer. Je suis émue, bien sûr, mais je le suis pour quelqu’un d’autre. Car ce que j’aperçois, ce n’est pas moi. Je ne suis pas le personnage de ce film grandiose. Je ne suis que l’actrice. Celle qui enfile un costume, révise son texte et s’affiche face aux caméras. Je déglutis difficilement, mes lèvres agitées par des tics nerveux, tandis que je tente désespérément de réfléchir à ce que je vais bien pouvoir dire au journaliste qui épie avec voracité chacun de mes faits et gestes. Je reconnais la mélodie qui se joue dans les hauts parleurs, ma voix par-dessus, je souris face aux images du drone qui surplombait notre plus grand concert. La musique s’interromps soudainement, laissant place à une ambiance plus douce. Une courte vidéo apparaît. On me voit, tout juste âgée de 3 ans, jouer avec un faux micro pour enfant.
La caméra n’est pas de très bonne qualité. L’image est floue, tremblante et le son grésille. Néanmoins, c’est de loin la séquence la plus pure et la plus réelle de tout ce long-métrage. A cette époque, nous vivions à Busan dans un petit appartement. Mon père était ingénieur et ma mère était avocate pour un grand cabinet. Mon avenir était déjà tracé, en quelque sorte. Mes parents étaient tous les deux très strictes, dès le plus jeune âge je devais pouvoir me surclasser. Peu d’images de moi circulent lors de mon enfance, car la vérité c’est qu’il n’y a pas grand-chose à dire. Ma mère était rarement à la maison et mon père était toujours très fatigué. J’étais gardée par une nourrice qui, tant bien que mal, réussissait à correspondre aux attentes exigeantes de mes tuteurs. J’entends la voix de ma mère qui explique que j’étais particulièrement timide lorsque j’étais petite, je ne parlais pas beaucoup, ne me faisais pas d’amis. Je sens mes oreilles rougirent, peu fière de dévoiler cette partie de moi-même. Une main amicale se pose sur mon avant-bras. Ji-a aussi était considérée comme discrète. Nous savons toutes les deux que ce n’était pas aussi simple.
Nous avons vécu dans des familles plus ou moins similaires. Nous n’avions pas le contrôle sur nos vies. Il ne fallait pas parler trop fort, agir trop vite ou s’imposer. Avant tout, il fallait rendre fiers nos parents. Nous n’existions que pour cela. Soudain, une image de moi au collège apparaît. On reconnaît bien plus les traits de mon visage. Quelques bulletins défilent. Des notes excellentes, des appréciations gratifiantes. J’étais une élève exemplaire. Je ne dirais pas que je l’ai mal vécu, du moins avec le recul peut-être, mais sur le moment... J’appréciais vraiment. Voir la fierté dans les yeux de mon père, être baignée sous les compliments, c’était jouissif et peu importait le prix que cela pouvait bien coûter. J’étudiais dans une des meilleures écoles, je prenais des cours supplémentaires aussi. C’est à la même période que j’ai commencé à chanter et danser. L’idée de participer à une audition n’est pas arriver par pur hasard, comme le laisse gentiment croire le film. Aussi surprenant que cela puisse paraître, mes parents étaient plutôt d’accord, à la seule condition que je continus mes études en parallèle et que, évidemment, j’excelle dans ce domaine aussi.
C’est ainsi qu’à tout juste 14 ans j’intègre un label de musique en coréen pour former les prochaines idoles. Première du classement. Première candidate retenue. Très honnêtement, ça me suffisait. J’avais envie de me challenger, de voir jusqu’où j’étais capable d’aller. J’ai toujours aimé chanter, danser, briller... Je réalisais un rêve, en quelque sorte. Je ne savais juste pas ce que cela impliquait, ni même à quel point ça allait changer ma vie. Le plus difficile, ce n’était pas tant d’apprendre toutes les ficelles du métier, c’était plutôt de comprendre petit à petit que tout m’échappait. Je n’ai jamais eu de contrôle sur ma vie, je n’ai jamais fait de choix par moi-même et c’était la même chose, encore et encore. Chant, danse, rap, composition, écriture, théâtre, apprendre à poser, à être à l’aise, à sourire, à se maquiller, apprendre des langues... Notamment le japonais et le chinois, car ce sont des pays voisins et il fallait pouvoir parler ces langues. Mes parents, en quelque sorte, ont été un peu visionnaires et m'avaient inscrite à des cours supplémentaires en langue, au départ j'avais un peu de mal, puis le japonais a fini par devenir comme une seconde langue avec le temps et l'apprentissage. Tout cela, ce n’était que la continuité de ce que je savais déjà faire : apprendre, apprendre, apprendre. Ingurgiter un maximum d’informations, quitte à en faire une overdose. Mes débuts ont été à l’image de toute ma vie : linéaire, parfait, sans véritable goût. C’est peut-être pour cela qu’au départ vous ne m’appréciez pas. Je n’avais pas de personnalité, Je manquais aussi cruellement de confiance en moi. Je sombrais petit à petit dans un cycle de travail dangereux. Je me noyais dans un rôle qui n’était pas le mien : je souriais pour cacher la misère. Mais au moins, je le faisais bien.
J’ai commencé à être un peu plus connue grâce à une collaboration avec une marque de vêtements. Je posais pour eux, je dansais avec leurs vêtements. C’est à mes 20 ans que j’ai rencontré les 4 autres membres du groupe. Ji-a, Ha-rin, Seo-ah et Ji-woo. Celles qui sont aujourd’hui mes sœurs. Le documentaire ne ment pas lorsqu’il dit que nous nous sommes liées d’une amitié puissante. Au départ, ce fut assez compliqué. J’étais très peu ouverte. Trop professionnelle, sans doute. Elles étaient mes collègues. Néanmoins, à force de se côtoyer 7 jours sur 7, 24h sur 24... Il a bien fallu se rapprocher. C’était Ji-a qui avait fait le premier pas. C’était après un entraînement de danse, elle m’avait rattrapée avant que je m’engouffre dans la salle de bain et m’avait forcé à parler avec elle. Une longue conversation en a découler... Elle m’a partagé son vécu et moi le mien. A partir de là, j’ai pu devenir celle que vous connaissez. Grâce à ces filles. Heureuse, pleine de vie. Je m’étais longtemps caché cette partie extravertie de moi-même. Nos premières apparitions furent un succès d’une telle ampleur que nous ne nous rendions même pas compte des chiffres.
Nos concerts... C’était quelque chose. Les basses qui faisaient vibrer nos poitrines. La sueur qui perlait dans le dos. Les cris. Les flashs. Jamais je ne trouverai les mots pour décrire une telle sensation. Bien sûr, il n’y a pas eu que des bons moments. En réalité, les mauvais ont sans doute pris l’ascendant. Je me disais que, de toute façon, la mort serait mon échappatoire au travail. Je me reposerai plus tard. Alors j’ai tout donné. Je me suis arrachée. Connue à dans toute la Corée, tu te rends compte ? Je n’y aurais jamais cru. Moi qui croyais naïvement que j’allais devenir médecin... Non. Je me produisais sur scène, je posais pour des magazines, je participais à des émissions que je regardais auparavant avec envie.
Sur l’écran, vous apparaissez enfin. Vous qui m’avez forgé. J’ai conscience que je n’étais toujours pas moi. Que j’étais la marionnette d’un peu tout le monde : mes parents, mon agence, mes fans, les marques... Mais tant que je pouvais faire sourire, quelque part ça me suffisait. Je faisais sourire et je réussissais. J’étais bonne dans ce que je faisais. Le journaliste passe le micro à des fans dans la file d’attente de notre plus grand concert. Vous m’aimez pour ma beauté, pour ma voix, pour mon style, mais pas que... J’entends vos mots. Vous m’aimez pour mon sérieux, mon intelligence, mon sourire, ma joie de vivre, l’espoir que je vous donne. Et je ne sais quoi penser ou quoi dire à cet instant. Je reste bouche bée, toujours incapable de comprendre qu’il s’agit bien de moi dont il est question. Comment moi, Mi-hi Yoon, vulgaire petite poupée en porcelaine pourrais-je donc produire de tels effets ? Je sens les bras de mes amies m’entourer sans comprendre pourquoi. Je... pleurais ? Pourquoi ? Je m’évanouis face à cet océan de couleurs, face à cette chance qui, pourtant, m’apparaît comme une malédiction. Je n’ai jamais pu vivre comme une personne lambda, comme vous, qui m’adulez. Et je sais que c’est pour ça aussi que vous m’appréciez : car je suis différente. Je représente un idéal.
Mais si j’avais un conseil à vous donner, vous qui m’écoutez, qui me lisez... Vivez votre vie de sorte que vous ayez vraiment la sensation d’être celui ou celle qui conduit, pas celui ou celle qui est conduit quelque part. Vivre et laisser vivre. Ne laissez personne vous dicter quoi faire, n’essayez pas de correspondre à tous ces standards. Ne soyez pas un idéal.
Car ce que ne montre pas la caméra, c’est tous les moments où j’ai été humaine. Où je n’étais plus la super héroïne. L’idol. Lorsque j’étais Mi-hi... Le flash s’éteignait. Je pleurais, je m’affamais, je pensais avoir raté ma vie, ma carrière. J’étais humiliée. Terrorisée par certain.es d’entre vous. Vous êtes toute ma vie... Mais sans vous, qui suis-je ? Que reste-t-il ? Rien. Et c’est sans doute pour cela que je ressens cet énorme vide.
Le staff décide de me laisser sortir prendre un peu l’air, pour me calmer. Mes amies restent à l’intérieur, assure le show. Je respire profondément. Et puis tout s’enchaîne très rapidement. Une silhouette apparaît, on me saisit la main, je sens une horrible douleur au poignet. Et je meurs.
Seule.
Je me réveille et petit à petit je comprends que le repos éternel n’existe pas. Que ce n’est qu’une vaste blague. Tout s’entrechoque dans mon esprit. Je crois à une mauvaise blague, puis à un coup du diable... Finalement, je baisse les bras.
En me baladant dans les rues, j’aperçois quelqu’un qui fonce vers moi, grand sourire, l’air presque fou.
« M-m-mi-hi ? C-c'est bien toi ? Oh mon dieu, oh mon dieu ! J’avais tellement hâte de te rencontrer je- »
S’en suit une longue conversation. J’apprends que cet inconnu avait payé un... vampire... pour me faire tuer, car il s’imaginait que nous vivrions une idylle. Il n’avait pas supporter de ne plus pouvoir me voir lorsqu’il est mort. La seule chose qui l’embêtait, c’était que j’étais devenue vampire. J’étais tellement en colère. Par vengeance, j’ai donc décider de détruire l’image qu’il avait de moi, j’ai pris la décision de ne plus être idol ici. Je me suis teins les cheveux, j’ai affiché mes piercings, je m’habille de la façon dont je veux et surtout : j’insiste le plus possible sur ma condition de vampire. Au départ, j’ai été plutôt mal guidée ici. J’ai dû vite apprendre. Je suis retournée dans le monde des vivants simplement au départ pour voir... ce que j’étais devenue.
Le groupe est en pause, comme je pouvais m’y attendre. Mes amies sont dévastées. Aucune nouvelle d’elles, si ce n’est quelques messages sur les réseaux sociaux pour donner signe de vie pour ne pas inquiéter les fans.
Je me nourrissais au départ sur des cadavres, refusant de tuer. Puis j’ai opté pour les poches de sang, au moins pour la plus grande partie de mon alimentation, il m’arrivait encore de retourner sur terre pour me nourrir, mais c’était plus rare. C’était sans doute trop douloureux.
Ça va te paraître étrange... Mais depuis que je suis morte, malgré tout ce qui en découle, malgré la douleur, la tristesse et la solitude... J’ai l’impression, pour la toute première fois, de pouvoir enfin vivre ma vie. Presque comme si... C’était une seconde chance. Une occasion de tout faire différemment.
Cette vie, je la dédie à toi.
Mi-hi du présent, à Mi-hi de tout juste 3 ans.