Vampemo: the mascara - [TW: Sang, Morsure] [Wynn & Huia]

Des fois, la vie vous donne des signes, et vous savez pas trop quoi en faire. Bon, sinon ça concerne que moi, et ce sera difficile de transmettre l'émotion, mais c'est pas grave.

Le cosmos doit m'indiquer par des voies étranges que c'est mon plus grand talent, ou une sorte de voie mystique que mon âme doit suivre. Le fait est que c'est la deuxième fois qu'un mort me demande de le mordre, et conséquemment la troisième que je vais le faire. En six ans, ça fait beaucoup de morsures, et encore j'ai pas compté les deux de mes débuts en tant que vampire, quand je savais pas trop ce que je faisais.

J'ai aucune diable idée de ce qui a pu traverser l'esprit de Wynn pour qu'il pense même à formuler la requête, mais... Je l'apprécie assez pour avoir agréé. Ça me coûte rien, et en plus je sais comment ne pas répéter les mêmes erreurs que la dernière fois. Déjà, j'ai pris des vieux vêtements salissables, et une serviette au cas où il aie la clémence de m'autoriser une douche avant de rentrer.

Pour l'heure, j'attends sur le canapé, ç'aurait été un peu brusque de lui sauter à la gorge à peine la porte s'ouvre. Quoique ç'aurait été un peu drôle de voir sa réaction, ou son manque de réaction. Bonne question, ça, comment il prendrait la surprise? Je tente de fabriquer un scénario plausible, les yeux perdus sur le cimetière en bas. Je pourrais y passer des heures, mais je me concentre sur ma proie, la vraie en chair, pour avancer. Quand je sens avoir capté son attention, je le me lance hasardeusement:

"Du coup, désolée de demander mais... pourquoi tu veux que je te morde, en fait?"

J'imagine que c'est assez intime et privé, mais je me pense quand même raisonnablement en droit de savoir. Pis s'il veut pas me le dire, tant pis pour moi, j'ai déjà dit oui.

Les clés qui tournent dans la serrure de la porte entrée et d’un mouvement de poignet, voilà qui l’ouvre en grand. Il lui fait un léger signe de la tête d’entrer en première et il lui emboîte le pas. Pas besoin de lui indiquer de bien penser à se déchausser avant d’aller plus loin ; après tout elle est déjà venue. Ce n’est pas dans ses habitudes d’inviter plus d’une fois qui que ce soit chez lui et pourtant le voilà avec Huia qui lui tourne le dos le temps de poser ses affaires. Sans surprise, Rhys se précipite à votre rencontre, esquivant légèrement la jeune vampire pour se jeter dans les jambes de Wynn tête la première. Intenable comme à son habitude, il reçoit son lot de caresses sur la tête pour le calmer alors qu’il tente tant bien que mal de retirer lui aussi ses chaussures et poser son manteau.

« Doucement Rhys. »

Sa voix est presque inhabituellement douce. Posée, plutôt. Lui qui parle toujours d’un ton calme mais froid, il met bien plus de chaleur dans sa voix lorsqu’il parle à son compagnon à courtes pattes. Ce dernier finit d’ailleurs par laisser son maître respirer, repartant s’installer près du canapé vers lequel se dirige Huia. Autre preuve qu’il a fini par s’habituer à la présence de son acolyte vampire : il ne paraît pas aussi nerveux que la première fois. Il ne regarde même pas où elle se déplace, lui laissant une liberté qui semble ridicule et pourtant venant de lui ça en dit beaucoup. Son détachement était loin d’être gagné cependant, surtout depuis les événements du Nouvel An. Au fond, il a gardé une légère impression désagréable après cette soirée contre Huia : peut-être de la voir discuter avec quelqu’un qu’il n’apprécie que très peu.

Heureusement le temps qui passe aide, un peu. Il a d’ailleurs depuis récupéré certains de ses livres avant d’en prêter d’autre, une façon de tourner la page qui est bien spécifique à Wynn. Il ne l’exprime jamais à voix haute et souvent il n’agit pas non plus et pourtant, il faut croire qu’après plus de 100 ans passés dans le Monde des morts il finit par changer -même un tout petit peu. Mais certaines choses restent les même et justement, le voilà qui revient vers Huia avec deux verres d’eau. Il ne lui a pas demandé ce qu’elle voulait mais c’est un réflexe, un geste qu’il a apprit pour paraître plus … Accueillant. Mimiquer ce que les autres semblent faire naturellement est quelque chose de courant chez lui.

« Tiens. »

Il pose les deux verres sur la petite table qui fait face au canapé. Il se relève, reste debout un instant avant de finir par s’asseoir près de Huia. Enfin près, il maintient une certaine distance, s’asseyant presque à son opposé mais au moins il n’est pas en face sur une chaise comme un parfait étranger dans sa propre maison.

« Du coup, désolée de demander mais... pourquoi tu veux que je te morde, en fait? »

Silence. Il ne s’attendait pas à ce qu’elle lui pose la question ainsi dès maintenant et de cette manière. Ses yeux se lèvent vers elle de très courtes secondes avant de détourner le regard vers Rhys, confortablement installé.

« Probablement … La curiosité. »

Il marque une nouvelle pause.

« Je ne sais pas pour toi mais personnellement ma … Ma mort a été douloureuse, mais rapide. Je ne me souviens pas de grand-chose et encore moins de ce que ça fait. D’être mordu. Et récemment je me suis posé la question à cause de certaines … choses. »

Léger soupir. Loin d’être de l’agacement, il soupire plus face à sa propre curiosité. Sans mesurer pour autant l’aspect plus qu’étrange de sa demande envers Huia.

« Et je peux difficilement demander aux personnes que je mords ce que cela fait. De toute manière ça ne serait pas la même chose que de le vivre. Et toi, pourquoi tu as accepté exactement ? »

Oh Seigneur, un chien. J'avais pas fait gaffe, mais il est là, avec nous, dans la pièce. Il nous regarde et il nous entend, ce diable quadrupède. Je vous jure que j'ai rien contre les animaux, j'adore les chats, mais ce genre de bestiole-là... Je sais même pas comment Wynn peut tolérer sa présence, encore moins considérer qu'il aie voulu sa compagnie. Comme quoi, on connaît jamais vraiment les gens. Que la créature se tienne loin de moi, ça sera très bien.

Allez, je me concentre sur la voix de Wynn, c'est plus sain. Sur ses doutes, ses questions, sa quête. Je m'attendais pas tellement à ce qu'il me raconte toute la logique derrière sa pensée, mais il reste un peu trop vague à mon goût. La curiosité. Quoiqu'au fond, la curiosité, c'est la seule justification de beaucoup de mes actes, en fait. Je vais m'en contenter.

"Ouais, moi non plus c'était pas doux. Il m'a jeté au sol avant de me mordre."

Je me suis retenue de répéter le nom d'Antonio, même si je sais que Wynn le connaît. Je crois que les syllabes l'auraient fait rapidement réagir, et violemment. Avec un peu d'espoir, il connectera pas les points et ça passera tout seul, comme remarque. Des fois, faudrait que je me taise avant de parler. Je prends un petite gorgée d'eau, mais je la recrache (un peu partout, pas tout à fait dans le verre) quand il me demande ma raison. Comment lui dire...

"Je... euh..." Cherche mes mots. Déjà. Allez, j'inspire, ça ira. "Tu vas me prendre pour une folle, mais bon. J'ai presque l'impression que c'est un destin personnel." J'ose pas imagine la tête qu'il tire. Non, je sais, il a exactement le même visage stoïque que d'habitude. Par contre, ce qu'il en pense... "J'ai mordu quelques gens déjà, enfin des morts, hein. Et t'es le deuxième à me demander de le mordre. J'ai juste l'impression que c'est pas anondin."

Loin de moi l'idée de refuser à la fortune les péripéties qu'elle me propose. S'il faut que mon rôle dans l'univers soit de mordre des vampires, qu'il en soit ainsi. C'est pas tellement déplaisant, au fond.

"T'as de la chance, je sais comment bien faire."

Il va pas rire. C'est pas drôle, déjà, mais en plus avec son caractère...

« Ouais, moi non plus c'était pas doux. Il m'a jeté au sol avant de me mordre. »

Alors comment arrive-t-elle à lui parler comme si de rien n’était ?
La question lui brûle les lèvres. La curiosité menace de l’emporter mais il se mord très légèrement l’intérieur de la lèvre avant de pousser un long soupir. Cela ne lui apportera rien de savoir, il n’a pas réussi à comprendre la première fois et il doute fortement de comprendre mieux. Peut-être que si Antonio ne l’avait pas qu’uniquement jeté au sol comme une vulgaire poupée de chiffon et qu’il l’avait poignardé, comme ce qu’il a lui-même vécu, elle serait plus en colère. Ou peut-être que cela ne changerait rien. Il n’y a pas un moment où il n’en a pas voulu, du tout, à la personne responsable de son état. Bien que plus calme qu’avant, son envie de vengeance est toujours là, tout le temps, plus persistante que son ombre. Heureusement -plus ou moins, Huia qui tente de boire avant de tout recracher sans prévenir le sort de la spirale qui s’installe. Il sursaute presque, avant de sortir d’un des tiroirs de la table basse un petit chiffon pour essuyer.

C’est plus fort que lui.

« Je... euh... Tu vas me prendre pour une folle, mais bon. J'ai presque l'impression que c'est un destin personnel.

… Un destin personnel ?

J'ai mordu quelques gens déjà, enfin des morts, hein. Et t'es le deuxième à me demander de le mordre. J'ai juste l'impression que c'est pas anodin.

Qui était le premier ? »

La question sort naturellement, sans qu’il n’y réfléchisse plus que cela. Sa nature curieuse reprend le dessus et il se demande bien qui a pu avoir cette idée en plus de lui. Peut-être un·e autre vampire ? Ou simplement un·e autre mort·e. Il ne peut nier qu’il comprend l’intérêt et la fascination que les autres peuvent avoir. Lui, c’est à la fois une question de curiosité mais également de chercher à comprendre. Comprendre ce qui peut lui échapper : est-ce douloureux ? Est-ce que cela pourrait précipiter sa chute ? Est-ce qu’il ne ressentira absolument rien ? Difficile pour quiconque de se rendre compte que derrière ses yeux verts, il se pose souvent et facilement des questions. Quand cela l’intéresse.

« Je ne suis pas sûr d’adhérer à la croyance d’un destin. Je ne sais pas vraiment ce que tu entends par là en réalité. »

Peut-être qu’il ne peut simplement pas comprendre -comme beaucoup d’autre chose. Si réellement le destin existe, tel un chemin tout tracé, cela ne ferait que confirmer les bien trop nombreux sermons de son père. Et il n’est pas sûr de ce qu’il peut ressentir, face à cela.

« T'as de la chance, je sais comment bien faire. »

Silence, alors que ses yeux se posent une fraction de seconde dans ceux d’Huia avant de détourner la tête légèrement.

« Puisque je suis le deuxième, je suppose. »

Il ne réfléchit pas plus à ses paroles, n’y voit aucun message derrière que peut-être une manière très étrange de le rassurer. Et quand bien même, il n’en est pas sûr et il doute que cela fonctionne. Son ventre lui fait légèrement mal, se sentant un poil nerveux, alors que son visage semble toujours aussi sérieux.

« … Est-ce que je dois m’installer d’une manière particulière ? Je ne sais pas si tu as une préférence en termes de position. »

Lui, par exemple, il préfère mordre les gens qui sont allongés. C’est plus pratique pour les immobiliser.

Ça m'étonne, de le voir aussi ouvertement curieux. Je le croyais plus réservé, plus discret. Du genre (comme moi) à se renseigner dans les ombres avant d'oser parler, du genre (comme moi) à observer du coin de l'oeil depuis l'autre bout de la pièce. Triste réalisation, Wynn n'est pas moi. Je sais, j'aurais dû le sentir, mais je suis heureuse pour lui. Quelle chance.

"Une petite que je connaissais pas, elle s'appelait Mino. Elle voulait voir ce que ça faisait aussi, mais ça devait pas être une vampire."

Au final, j'en sais toujours très peu sur elle. Je l'ai pas recontactée, j'ai pas tellement eu de raisons de le faire. J'en aurais plein, pourtant, des questions à lui poser. Sur mes désirs, ce qu'elle a réveillé en moi -tout ce que j'aurais préféré dormant et tout à fait loin de ma conscience. Mais je secoue la tête, reviens au réel. C'est Wynn, face à moi, et je vais sûrement pas lui parler de tout ce qui ne concerne que moi.

Puis bon, je retombe facilement sur mes pattes, quand lui se repose sur son pragmatisme. J'espérais certainement pas qu'il se mette à croire au destin, ou à tous les concepts vagues que je lui balance souvent au visage. Surtout qu'il me demande du concret, dans l'instant. De la logistique, ça doit le rassurer grandement quand tout est ordonné et millimétré.

"Non, j'ai pas vraiment de préférence..." Désolée, pas de cadre défini et confortable. Je peux pas tellement lui avouer que je mords sauvagement, par surprise, comme une bête férale. Qu'est-ce qu'il en penserait? "Mais tu préférais peut-être qu'on fasse... ça, dans la salle de bain. Ce sera plus simple pour nettoyer."

Lui comme moi, comme beaucoup de vampires en fait, on sait. Le sang, ça tâche, c'est poisseux, c'est épais, c'est sale. Enfin, c'est si bon, aussi.

« Une petite que je connaissais pas, elle s'appelait Mino. Elle voulait voir ce que ça faisait aussi, mais ça devait pas être une vampire.

C’est particulier de vouloir expérimenter ce genre de chose sans être vampire. »

Il ne cache pas cette espèce de répulsion qu’il ressent lorsque Huia lui explique. Pour lui, la logique derrière sa volonté d’expérience est simple, clair et incontestable ; après tout c’est un vampire. Cependant il éprouve beaucoup de difficultés à comprendre pourquoi une personne qui ne l’a jamais vécu souhaiterait savoir ce que ça fait. De ce qu’il en sait avec ses recherches, une morsure sur un·e vampire semble sans réel danger immédiat mais il n’est pas sûr que ce soit le cas sur un autre genre de fantôme. Il ne le reproche pas à Huia. Il ne sait pas trop la raison derrière son absence de reproche : peut-être parce que, après tout, elle s’est contentée de vouloir aider. De la même manière qu’elle a accepté de lui venir en aide à lui. Il ne prétend pas pouvoir comprendre réellement, d’autant plus à cause de point de vue sur la notion de destin, mais il préfère se taire et hocher la tête vaguement.

« Non, j'ai pas vraiment de préférence...

D’accord. »

Aucune protestation de sa part. Il commence à réfléchir à la meilleure solution et petit à petit, il se demande si le plus simple ne serait pas de suivre la méthode qu’il utilise pour … Se nourrir. Les gens aux sol, allongés, immobiles. Après tout le faux sol imitation bois, il arrive à le nettoyer sans trop de soucis. Mais après tout, peut-être qu’une serviette -ou deux, seraient nécessaires au cas où. Il réfléchit longuement, ne regardant plus réellement Huia, ses yeux fixant légèrement le vide juste à côté d’elle.

« Mais tu préférais peut-être qu'on fasse... ça, dans la salle de bain. Ce sera plus simple pour nettoyer.

Oh. »

Effectivement, l’idée semble pertinente. Plus simple à nettoyer. Moins de risque de tâcher son salon et à choisir, il préfère autant garder sa pièce à vivre propre de toute odeur de sang. Peut-être que ce sera plus simple à supporter, pour lui. Il soupire légèrement, non pas d’agacement mais de frustration de ne pas avoir pensé à une solution aussi simple et évidente. Il le met sur le compte de la fatigue vu les événements récents. Il se lève, comme pour indiquer à Huia qu’il est prêt à suivre son idée. Il fait un signe à Rhys qui s’allonge calmement, attendant patiemment que son maître revienne.

« Viens, je te montre où c’est. »

Un peu plus loin, il ouvre une porte sur une salle de bain qui semble neuve. Flambant neuve même, à se demander s’il l’utilise. Mais au vu de son hygiène et de la minutie qu’il met dans ses gestes, il est difficile d’en douter. Debout au milieu de la pièce, obligé de légèrement pencher la tête à cause du plafond en mansarde, il fixe Huia un instant. Dans le fond de ses yeux. C’est bref puisqu’il tourne la tête rapidement avant de grimper dans la baignoire. Il n’est pas trop sûr de quoi faire ensuite et ça se voit.

« … Est-ce que je dois retirer quelque chose ? Je ne sais pas si je m’allonge ou si je m’assois … Qu’est-ce que qui serait le plus pratique ? »

Fallait forcément qu'il retourne le couteau dans la plaie, dans un sens c'est ma faute, j'en ai trop dit. Le pire, c'est qu'il dit pas ça méchamment, c'est juste le genre de petits commentaires qu'il fait tout le temps, il doit pas se rendre compte que ça me contrarie un peu. Il a pas besoin de me rappeler que la requête était vraiment dérengeante au fond, et que j'avais dit oui par facilité. J'oserais même pas lui parler du reste de l'affaire, déjà il aurait du mal à comprendre, puis c'est encore trop personnel.

"Les gens ont leurs raisons."

Ça veut rien dire, et ça ressemble à quelque chose qui veut dire des trucs. Si, quand même, le fond du propos c'est que la raison qui l'a poussée à me demander ça, ça me concernait pas forcément. Sauf qu'elle me l'a donnée quand même, donc ça vaut rien, ce que je dis.

Bref. Je me laisse guider jusqu'à la salle de bain, en silence. Je sais pas pour lui, mais je commence doucement à appréhender le moment fatidique. Surtout qu'on voit pas la même mystique dans le geste, qu'on aura des rôles inégaux. Je me pose encore trop de questions, mais je peux pas m'en empêcher. Je sais pas si c'est normal, ce qu'on fait, si c'est honteux ou choquant pour les gens dehors. J'aime être ma propre personne, mais impossible de me défaire de l'idée qu'il existe des normes tangibles à respecter.

"Non, je... J'aime autant que tu reste habillé. Et ça ira debout."

Il m'a pris de court, j'étais perdue dans mes pensées. Il doit pas s'en être rendu compte, mais moins de peau je vois de quiconque, mieux je me porte. Et puis on va pas se mentir, on sait tous les deux nettoyer des vêtements tâchés de sang, il a même encore plus d'expérience que moi pour ça.

Je fixe sa nuque. Déjà, ça m'empêchera de croiser ses yeux, ensuite ça m'aide à me concentrer. J'ai l'angoisse pesante de faire une erreur, de commettre une faute envers l'univers ou un truc du genre. M'enfin, des gens j'en mords souvent, et lui risque pas la mort. Mais il est pas appétissant, je sais pas, c'est pas contre lui. J'arrive pas à ressentir l'adrénaline et l'excitation que ça m'injecte dans le système de mordre des vivants, il fait taire mes instincts. C'est dérangeant quand c'est lui, en fait. Ça devrait pas être lui, pour des centaines de raisons, je les ai même pas toutes à l'esprit.

"C'est quand t'es prêt."

Je coupe court à mon propre fil de pensées, avant de revenir sur ma décision. J'ai voulu l'aider, j'admets envers moi-même que c'est un sacrifice et que j'ai pas vraiment envie de le faire, mais c'est ma volonté ferme que de lui porter assistance. Je respire, ça sera pas long, de toute façon.

Les gens ont leurs raisons. Ces mots lui font un effet très désagréable dans le cœur ; il sait parfaitement pourquoi. Il ne prétendra pas comprendre mieux après les mots d’Huia mais il semble accepter l’explication sans chercher à le remettre plus en question -et sans chercher à creuse plus. Bien sûr il continue de trouver que c’est une mauvaise idée, voire une très mauvaise idée, mais il a enfin la décence de se taire. Loin de comprendre les implications de sa réflexion, il sent simplement qu’il serait parfaitement mal placé pour persévérer dans cette direction car après tout, lui aussi il a ses raisons. Il les a eu plus d’une fois et bien qu’il trouve les siennes plus logiques et mesurées il fait cet effort conscient de simplement hocher la tête et de se murer dans le silence. Un silence bien confortable lorsqu’il s’agit d’essayer d’appréhender une situation qui lui semble … Étrange. Inconnue. Trop émotionnelle, aussi.

Elle l’a suivi, dans un silence aussi religieux que le sien. Debout les pieds dans la baignoire, il contemple quelques secondes le paysage qui s’étend derrière la toute petite fenêtre avant de reposer ses yeux sur Huia ; ou plutôt sur un point fixe. Regarder quiconque dans les yeux restent très pénibles et sans surprise, vu la situation, regarder sa compère vampirique dans le fond des yeux le met encore plus mal à l’aise qu’à l’habitude. C’est quand elle s’approche qu’il prend conscience d’avoir négliger un élément important : elle sera bien obligée de le toucher. Légère moue entre dégoût et résignation, il ne s’écarte pourtant pas du plan initial. Pas maintenant qu’il est là et elle aussi.

« Non, je... J'aime autant que tu restes habillé. Et ça ira debout.

D’accord. C'est pas le plus pratique pour moi, j’ai la tête qui touche presque le plafond. »

Il n’y a effectivement qu’un ou deux centimètres entre le haut de son crâne et le haut de la pièce, ce qui écrase d’ailleurs légèrement les boucles de ses cheveux. Alors il essaye de pencher un peu la tête, lui donnant encore plus un air inconfortable.

« Mais je ferais avec. »

Il hoche la tête légèrement, comme repoussant d’avance tout changement possible dans le plan. De toute manière, il préfère avoir la tête proche du plafond plutôt que de s’asseoir dans le fond d’eau de sa baignoire -il déteste sentir ses vêtements mouillés contre lui. Il retire cependant quand même sa sur-veste et sa chemise, restant dans un tee-shirt noir très sobre. Les yeux d’Huia pèse sur lui et il joue nerveusement avec ses mains, sans savoir quoi rajouter de plus. Pourquoi est-ce qu’elle le regarde comme ça ? Il a envie de lui poser la question mais quelque chose semble l’en empêcher, sans savoir exactement quoi. Alors il persiste dans le silence, attendant quelque chose. N’importe quoi.

« C'est quand t'es prêt.

Oh, oui, bien sûr. »

Léger soupir, il se mord l’intérieur de la lèvre avant de tendre une main pour l’aider à monter dans la baignoire. Heureusement que Rhys n’a aucunement l’habitude de venir dans la salle de bain, la situation est déjà suffisamment étrange comme cela.

« Tu … tu peux y aller. »

Il bute sur ses mots, ce qui est rare. Très rare, même. Il tire un peu son tee-shirt, comme s’il avait peur de ne pas laisser assez de place pour Huia, avant de fermer les yeux. La tête légèrement penchée, il se demande si c’est cela que ressentent les vivants.
Un mélange d’inquiétude et d’un sentiment sur lequel il n’arrive pas à mettre le doigt, mais qui lui tord le ventre.

J'ai son feu vert. J'aurais préféré ne jamais l'avoir, le voir se débiner et regretter, nous laisser retourner en arrière avant de commettre une erreur. Hélas, il faut toujours qu'Icare se brûle les ailes pour redescendre, ou quelque chose du genre. J'approche lentement, j'ouvre la machoîre avec hésitation. Une inspiration, un souffle de courage dans mes narines, et je mords.

Sans tendresse, aucune délicatesse, pas une once de pitié. Il l'a désiré, s'est poussé hors de ses limites pour l'avoir, j'écarte toute considération empathique. Je laisse son sang couler entre mes dents, sur ma gorge, je sens la chaleur, la vie quitter son corps et souiller ma peau. Je le sens souffrir, ses réflexes s'activer pour le faire fuir à mon emprise, je lui prends maladroitement les épaules pour raffermir ma prise. Je ressens pas l'excitation que ça me fait, normalement, enfin avec les vivants. Je sais pas si c'est parce que je le connais, parce que j'ai pas envie, parce que j'y pense trop. Ça dure quelques instants qui paraissent des heures, je le relâche quand l'angoisse devient intenable.

Je recule d'un pas, admire le travail. C'est pas propre, déjà, mais on s'en doutait. J'espère qu'il a pas trop mal, je me souviens pas tellement de ce que ça cause comme douleur, la morsure. Et avant qu'il me propose, je préfère pas savoir.

"Ça va?"

Quelle question. Je devrais me féliciter d'en sortir des aussi stupides aussi rapidement, personne doit avoir ma capacité à le faire. C'était vraiment plus un réflexe social qu'une inquiétude réelle, mais au fond j'espère quand même qu'il est pas trop en peine. Après, s'il l'est, il l'aura voulu hein.

"Je vais me nettoyer dans la cuisine."

C'est un peu intrusif et impoli de me balade chez lui comme ça, mais j'ai surtout d'un petit moment seule. Il comprendra, j'espère, et c'est pas impossible qu'il en aie besoin aussi. De toute manière je lui laisse pas son mot à dire, je m'éclipse rapidement pour passer de l'eau sur mon menton, nettoyer ça comme je peux. J'ai un frisson dans le dos, à me dire que c'est son propre sang sur ma chair, j'essaie de m'en débarasser rapidement.