cours improvisé
La soirée est un véritable succès, comme d’habitude.
Elle est là, en plein milieu de la scène, devant une foule en délire.
Elle frotte rapidement son front du dos de sa main, échauffée par les projecteurs braqués sur elle. La lumière souligne ses bijoux argentés, met en valeur sa tenue extravagante, mais, ce soir, c’est son talent inné qui brille de mille feux.
Elle jette un coup d'œil par-dessus son épaule pour croiser le regard de ses amis. Le bassiste. Le claviériste. La batteuse.
Ils sourient, émus par les applaudissements, mais surtout par la leadeuse du groupe.
Elle a traversé tellement d’épreuves pour en arriver là, ils le savent. Ils sont fiers.
Elle leur sourit.
Puis elle se réveille.
Poser le regard sur le gargantuesque plafond de l'appartement lui laissait toujours un goût amer dans la bouche, comme un café fade gâché par un fond de marc déposé au fond de la tasse.
Alors, naturellement, Junko avait tourné la tête en refermant les yeux de toutes ses forces, faisant son possible pour ignorer ce sentiment désagréable.
Combien de fois devra-t-elle s’adonner à ses rêveries compulsives avant d’enfin se rendre compte d’à quel point elles lui étaient néfastes ?
Ça faisait tellement longtemps que ça durait, trop longtemps pour compter. Tous les scénarios avaient été exploités, encore, et encore, et encore. Ils variaient constamment, certes, mais ne connaissaient que des happy endings.
Le réveil était toujours brutal. Trop froid. Trop décevant. Trop réel.
Quand elle avait débarqué ici, elle s’était dit que tout pourrait devenir réalisable, en omettant un léger détail : elle était…
Elle.
Et elle était destinée à le rester, jusqu’à ce qu’elle redevienne poussière, et qu’elle se libère enfin de ce fardeau.
Oui, ça devait être ça, sa destinée. Une deuxième vie tout aussi pitoyable que la première, bien que douloureusement assez longue pour lui donner le tournis.
Au milieu de ces pensées pour le moins festives, un soupir de frustration s’échappa de ses lèvres en réajustant son casque anti-bruit, visiblement dérangée par les agitations lointaines en bas de sa tour d’ivoire.
On ne peut même plus se lamenter sur son sort tranquille, maintenant… ?
Le corbeau avait tenté d’ignorer les fréquences discrètes pendant quelques secondes qui lui semblèrent durer une éternité avant de se rendre à l’évidence : l’heure de la sieste était terminée. Quelqu’un avait décidé de la déranger.
Tant pis, elle reprendra la scène une autre fois.
Sa curiosité désormais titillée, la rêveuse avait finalement abandonné son casque pour espionner discrètement la source du bruit.
Les notes de guitares lui avaient fait hausser les sourcils.
L’inconnu qui fredonnait aussi.
Cet homme ne lui disait rien, mais la brune était persuadée d’avoir déjà aperçu son instrument. Un ami de Madame Musique ?
Oui, c’était sûrement ça.
Ses cheveux sombres lui chatouillaient les joues tandis qu’elle était restée parfaitement immobile, se contentant de fixer l’intrus en laissant sa tête dépasser du canapé qui lui faisait office de chambre.
Le moment du concert improvisé était bien tombé, ou… Très mal tombé, question de point de vue.
De star, Junko était devenue spectatrice silencieuse, comme hypnotisée par les quelques notes timides qui montaient jusqu’à ses oreilles. Et elle aurait bien aimé pouvoir continuer à en profiter en secret, hélas, la vie avait bien fini par lui faire comprendre que l’ermite n’était pas aussi discrète qu’elle ne l’aurait espéré.
“Hey, salut.”
Le regard brun qui lui était adressé contrastait drastiquement avec celui qu’elle lui renvoyait. L’un était doux, calme, presque rieur, tandis que l’autre était ébahi, vide, quoique désormais un peu paniqué.
- … Salut ?
- J’espère que j’faisais pas trop de bruit, désolé si c’est le cas.
- Tu m’as réveillé.
Sa réponse n’avait pas pour but d’être agressive, mais tout simplement factuelle. Malheureusement, son ton manquait d’un détachement nécessaire pour percevoir le manque d’animosité dont elle aurait aimé faire preuve.
Sans trop le faire exprès, elle avait tout de même apaisé les tensions en se redressant pour venir timidement descendre la longue échelle qui la déposait à la terre ferme afin de s’asseoir en tailleur devant l’inconnu, se laissant tout de même une distance de sécurité pour respecter leurs espaces personnels.
Junko était restée silencieuse un moment, comme pour trouver ses mots avant de finalement lâcher à voix basse :
“... Tu joues plutôt bien. Moins bien qu’Esperanza, quand même, mais je préfère la guitare. Tu peux continuer ?”
La requête était timide, mais elle semblait sincère, ce qui n’aidera sûrement pas le pauvre inconnu à démêler les vraies envies de la Lémure.
Elle était curieuse, tout simplement. Et peut-être un peu poussée par son intérêt personnel, aussi.