Errare chimera est - [Céleste & Olympe]

Elle recommence avec ses obsessions étranges, de pas être à la hauteur ou je sais pas quoi. C'est usant, je sais même pas d'où ça lui vient ce genre de démon. Elle qui paraît toujours si impassible de manière générale, qu'elle se pose ce genre de question, ça me laisse perplexe.

Et c'est franchement facile de dire qu'on doit discuter, pour ensuite répondre "je sais pas". C'est sûr que d'un coup, ça devient ma responsabilité de parler et d'acter ce qui est dit. J'aime pas prendre les devants, mais elle m'y force. Je me penche un peu par dessus la table, j'essaie de chercher quelque chose dans son regard.

"Mais tu tiens à moi, non? T'as envie de me voir heureuse?" Jusque là, c'était l'impression que j'ai eue. Et c'est peut-être tout ce qui compte, même si elle saurait pas nommer ça. Sans parler de sa jalousie, c'en est si poussé que ça peut qu'être une preuve d'amour à mon sens. Bon, d'autres le voient d'un oeil plus méfiant. "J'ai pas besoin de plus pour être heureuse avec toi, moi."

Je sais pas vraiment si c'est la vérité, ou un mensonge situationnel. Je sais plus trop ce qui est vraiment moi, et ce qui est un essai désespéré de changer pour refaire couple.

"Et puis tu m'apprécies en tant que personne, non?"

Tout est là, au fond. Peu importe comment on appelle ça.

C'est pas grand chose, mais ça me rassure déjà qu'elle dise tenir à moi. Si on se base sur un référentiel "Céleste", c'est déjà une énorme avancée. Le reste est moins reluisant, elle revient encore et toujours sur son idée étrange qu'elle peut pas me rendre heureuse, je sais pas d'où ça lui vient. Ça doit la travailler, quand même, pour qu'elle le ramène à chaque fois sur la table.

"Moi ça me suffit, quoi que t'en dise."

Seigneur, j'ai osé la contredire, ça m'arrivera pas encore avant un long moment. C'est saoulant, à la fin, ces protestations-là. Je suis quand même capable de savoir ce que j'apprécie ou non, indépendamment de ce qu'elle en pense.

Sa 'blague" m'aide pas à me détendre non plus, remarquez. J'ai aggrippé ma boisson un instant pour lui jeter le contenu à la face, mais j'ai saisi à temps que c'était une de ses tentatives de dévier par l'humour. J'ai reconnu le mécanisme, j'ai le même quand les discussions sont trop sérieuses à mon sens. Elle a pas passée loin d'une douche surprise, l'abeille.

"Tu vas pas me faire croire que les peluches sont plus douces et gentilles que moi."

Déjà que les gens, y'en a pas beaucoup de plus conciliants, alors des machins en tissu... Faudra que je lui demande de m'expliquer le délire, un jour, parce que ça résonne toujours creux en moi. J'ai peut-être passé l'âge depuis trop longtemps.

"Je sais pas pourquoi tu te poses trop de questions, mais moi j'ai jamais eu l'impression que tu me méritais pas, ou quoi que ce soit. Tu m'as toujours rendue heureuse."

J'essaie d'aller poser ma main sur la sienne, je sais pas trop si elle va me laisser faire. J'espère.

Elle arrête de me contredire, c'est un début. Ça va dans le sens de mes interêts, et c'est bien tout ce qui compte. Je cherche pas à creuser pourquoi, si elle se tait juste pour me faire plaisir ou si elle est vraiment convaincue. Je sais bien que je pourrais jamais savoir, elle exprime aucune émotion.

"Bah le jour où tes peluches en font autant que moi, tu m'appelles."

J'ai pas trop aimé son trait d'humour, c'est pas gentil. J'en suis à deux doigts de craindre qu'elle finisse vraiment par se dire en couple avec son Monsieur Lapin, là. M'étonnerait qu'il sache bâtir des châlets et cuisiner, celui-là. Mais bon, je vais pas faire une crise de jalousie envers une bestiole de tissu, j'ai assez de problèmes comme ça.

"Oui bon, je savais à quoi m'attendre, aussi. L'important c'est qu'on fasse toutes les deux des efforts, on en a fait pour que ça marche." Moi peut-être plus qu'elle, je fais toujours trop. Trop pour mon propre bien, trop par crainte que les chsoes empirent, trop parce que c'est tout ce que je sais faire. "On peut pas tout abandonner parce que j'ai fait une faute, j'ai eu un moment de faiblesse, ça arrive. C'est pas ce qu'on veut, tu le sais et tu veux pas l'admettre."

Je parle un peu pour elle, mais elle a voulu reprendre le contact même après deux semaines de silence. C'est une preuve en soi, ou alors j'ai trop d'espoir pour mon propre bien.

La question est, intrinsèquement, absurde, mais la réponse l'est encore plus. Oui, effectivement, j'en viens peut-être à jalouser ses peluches. J'ai quand même parfois l'impression qu'elle reçoivent plus d'attention et d'affection que moi, et je peux pas dire que ça me laisse insensible. Par contre, loin de moi l'idée de le verbaliser et de lui en faire part. Je prends sur moi, je prends toujours sur moi.

"Certainement pas, tu dois les étouffer avec tes câlins."

Vous l'aviez pas vu venir, celui-là, hein? C'est le retour en triomphe de l'humour pour cacher mes anxiétés, le fameux et le reconnu. J'espère que personne remarquera jamais que c'est mon seul mécanisme de défense, parce que je vais devenir encore plus facile à déchiffrer. Et ça m'aiderait pas tellement, je crois.

Pis bon, pas folle la guèpe, je me tais quand elle rappelle qu'on doit toutes les deux avoir une part de responsabilité dans notre échec précédent. J'ai quand même l'envie profonde de lui rétorquer que c'est bien moi qui aie flanché en actes, mais ça va pas lui plaire. N'empêche que j'en pense pas moins, j'ai rien à lui reprocher. Vient sa question, le moment de vérité, d'une certaine manière. Les prochains mots vont compter, et je les choisis avec soin.

"Mon... Mon plan, c'est qu'on se remette ensemble, en apprenant de nos erreurs pour faire mieux."

C'est mieux tourné, comme ça. Ça a l'air plus joli et ça rend le sourire, et les papillons chantent et tout. À quelques détails près.

Elle est mordante, décidément. On me dira, fallait pas attendre autre chose d'une vampire, mais ça reste plus prononcé qu'habituellement. Je sais pas ce qui la tend autant, peut-être qu'elle a stressé avant de me rencontrer aussi. Juste qu'elle le cache beaucoup mieux.

"Désolé d'aimer respirer, j'essaie de vaincre mon addiction à l'air."

Bon, parlant de ça, je peux enfin respirer quand elle accepte qu'on se remette enfin ensemble. C'était pas gagné d'avance, on partait de loin quand même. La dernière fois qu'on s'étaient vues, j'avais dit jamais vouloir revoir sa face nulle part.

Je me retiens d'exploser de joie, quand même. Elle risquerait de partir en courant, ou de me jeter la table à la figure. Et puis de toute manière, j'ai pas la force physique d'exulter de bonheur, j'ai pas les ressources. Mais ça me fait immensémment plaisir, les mots peuvent pas le décrire. C'est un poids en moins sur mon coeur et une douceur de plus dans ma vie.

"T'as pas besoin de changer, c'est pas ça..."

Si on est tout à fait franc, je sais pas "ce que c'est". Mais c'est pas si important à mes yeux non plus, moins je me pose de questions, mieux je me porte. Je lui prends la main, masse ses phalanges, je pense pas à autre chose qu'elle.

"L'important, c'est d'avancer."

Et je m'avance par dessus la table, un peu. J'attends qu'elle me rejoigne.