Selon les gens, l’adrénaline peut être mortelle ∞ ft. Mino Masaki

Le silence règne dans sa voiture. Ou presque. Si on oublie le rugissement du moteur poussé au maximum de ses capacités, si on oublie le vent qui fouette contre les vitres, si on oublie les pneus qui dérapent contre l’asphalte, si on oublie les coups de klaxon des autres usagers, si on oublie… tout.

Son tél’ est fixé au support, allumé sur un appel de groupe. Aucune voix n’en sort, et lui-même est mute de son côté.

Le groupe étant quelques-uns des participants et des observateurs le long de la route à la course de street racing dont il prend actuellement part. De vieux camarades qui se retrouvent et concourent ensemble contre d’autres.

La communication est présente par sécurité, pour se tenir au courant d’éventuels problèmes sur la route, accidents, ou si la Boolice rapplique à leurs trousses.

Il a l’habitude de tout ça. C’est sa vie comme il l’aime.

La ligne d’arrivée désignée pour aujourd’hui est proche. Il jette un coup d’œil dans son rétro central, et… ouais. Écarlate est toujours à moins d’un mètre derrière lui, lui collant au cul avec la ferme intention de le dépasser au prochain et dernier virage.

Ah ! Comme si !

Un sourire carnassier se dessine sur son visage, tandis que la prise sur son volant se resserre. Il appuie davantage sur l’accélérateur…

140… Encore un peu, encore un peu.

150… Il y est presque, sa pédale touche presque.

160… Le dernier virage approche considérablement vite. Un ’clic’ résonne à ses oreilles seulement. Le turbo NOS s’enclenche.

170… 180… Rayleen fonce, et son conducteur avec. Le virage est juste là. Il attrape le frein hydraulique, appuyant d’abord sur l’embrayage puis la pédale de frein, avant de tirer le frein hydraulique tout en tournant radicalement le volant pour se lancer dans un drift parfait.

Son adversaire le talonne.

En réponse, il pousse encore plus sa MK7.5, l’adrénaline et l’excitation pompant dans ses veines. Il ne lâchera pas. Il n’abandonnera pas.

Il sprinte plus vite que le vent. Le virage est passé, l’arrivée est proche, il peut voir la personne avec son drapeau noir et blanc de fortune. Il attaque une dernière fois, utilisant la fin des réserves de son turbo pour une ultime accélération.

Écarlate le rattrape, malheureusement, ça ne suffit pas à lui arracher la victoire.

∞

« Bien joué, Amethyst ! Ton dernier drift était incroyable ! » Écarlate lui tape fortement dans le dos, maintenant qu’ils sont tous deux descendus de leur véhicule pour bavarder.

Il rit, essuyant la sueur sur son front d’un revers de main, le casque dans l’autre. « Heh, le tien aussi, bordel ! La route aurait été un poil plus longue, je jure que tu passais d’vant ! » Il est pas frustré, au contraire. C’était excellent, le poussant dans ses derniers retranchements comme il l’aime.

Son ami-rival éclate de rire avec lui, le tapant un peu plus dans le dos. « Bon à savoir pour la prochaine fois alors ! J’t’aurai à coup sûr ! »

« Tu rêves ! Je trouverai un autre moyen pour te laisser derrière ! » Il riposte, mais se sentant déjà impatient à l’idée de la future course. Peut-être que quelques ajustements seront de mise, juste au cas où. Même s’il se soucie pas de perdre, tant qu’il a donné le meilleur de lui-même.

Ils continuent de parler, certains autres participants et spectateurs venant les féliciter.

Ils revoient également une vidéo des dernières secondes avant le passage de la ligne d’arrivée pour le plaisir de commenter ce qu’ils auraient pu faire de mieux ou non.

Ils échangent quelques canettes de soda – ou bières pour d’autres, mais il est pas de ces gens qui tolèrent l’alcool – et bavassent encore et encore.

Jusqu’à ce qu’Écarlate demande brusquement. « Hey, y’a une demoiselle qui vient vers nous. Tu la connais ? »

Il cligne des yeux, regardant dans la direction indiquée pour apercevoir une jeune fille en tenue un peu… gothic lolita, de ce que ça lui semble, s’avancer réellement dans leur direction.

Il secoue la tête en réponse à la question. « Non, jamais vu par ici. » Et bien, ils ne vont probablement pas tarder à découvrir ce qui l’amène dans le coin…

La gothic lolita s’avance vers eux, l’assurance saignant dans sa démarche. Elle a pas peur. Welp, pour quelqu’un qui assiste à leurs courses depuis un certain temps – apparemment, il retient pas tous les spectateurs qui viennent –, le contraire aurait été surprenant.

Écarlate et lui échangent un regard, puis haussent simultanément les épaules.

Ça les dérange pas. Ça fait toujours plaisir de discuter avec des… fans, ou quelque chose comme ça. Comment on appelle des gens qui assistent régulièrement à des courses ?

Outre ceux placés tout le long du trajet, notamment dans les zones plus dangereuses, pour veiller à ce que tout se passe bien.

« Heya ! » Il la salue, levant joyeusement le bras, un grand sourire aux lèvres. « Content de savoir que nos courses te plaisent ! » Il est loin d’être aussi ’poli’ que la nouvelle venue. Faut dire que dans ce coin, la plupart se connaissent depuis un bail, ou se soucient franchement pas des conventions.

À ses côtés, Écarlate acquiesce de la tête. « Salut. Évite juste de répéter ça imprudemment, encore plus seule. » Un avertissement que tous les coureurs répètent à ceux qui montrent un peu trop de curiosité sans avoir de pratique derrière.

Beaucoup sont morts dans un accident de voiture, ici. C’est donc une norme, de prévenir les inconscients.

En accord avec Écarlate, il hoche vigoureusement la tête pendant quelques secondes, avant de se calmer et de passer à autre chose. « Alors qu’est-ce qui t’amène jusqu’à nous ? Une dédicace ? » Il fouille ses poches, tirant sur le tissu intérieur au point de le faire ressortir visuellement. « Dommage, pas de crayon ! »

Il renfourne le tissu correctement à sa place, et se tourne vers son ami-rival. « T’as un crayon et d’quoi noter, Écar’ ? »

Ce dernier lève un sourcil dans sa direction, avant de soupirer, habitué à ses bêtises. « Pourquoi j’aurais ça sur moi ? On sort d’une course, Amé’. En plus, j’ai pas gagné. Ça se trouve, c’est juste à toi qu’elle veut parler. Alors écoute-la deux minutes. »

Il cligne des yeux, et revient regarder la jeune fille devant eux. Ils parlent beaucoup, une habitude de se connaître. Elle doit avoir eu du mal à en placer une.

« Ah ouais, oopsies. On t’écoute ! » Il se reprend, ne s’excusant pas vraiment, mais lui laissant enfin la parole.

C’est pour le moins atypique. Une fana de courses… qui possède pas de voiture ? Il en reste bouche bée. Sur quelle énergumène il est tombé, cette fois ? Peut-être qu’elle est juste trop jeune ou quelque chose comme ça ? Après tout, l’âge est facilement faussé ici.

Il s’efforce de retenir une grimace.

C’est tellement décevant, une spectatrice sans véhicule. Elle ne doit rien y comprendre. Il a pas la foi de réfléchir à ses mots pour en utiliser des alternatifs moins compliqués, moins techniques.

Et il plaisantait au sujet de l’autographe. Ouais, il en a déjà signé, reconnu ici et là parfois, mais c’est pas trop son délire.

Alors il prend le morceau de feuille et le crayon – il regrette que ce soit pas un violet –, et gribouille son surnom. « Et voilà ! » Satisfait, il rend ensuite le papier à sa propriétaire pour qu’elle le range. Il était censé demander pour qui ? Tant pis !

Il pensait que ce serait tout. C’est généralement le cas.

Il s’est gravement planté. Sur toute la ligne.

S’il prend des passagers ? En voiture ? Il jette un coup d’œil à Écarlate qui hausse les épaules. Alors il revient à regarder l’inconnue, penchant légèrement la tête sur le côté, son index posé contre sa joue. « Bah ouais, ça arrive souvent. Genre, pour ramener des potes, tu vois ? J’prends pas pendant une course, si c’est c’que tu demandes. »

Il s’excuse pas pour ça, il a ses raisons. Pas seulement parce que c’est trop dangereux. Il est OK pour risquer sa vie, mais pas celle des autres. Même s’ils sont déjà morts. C’est juste que ça fausse ses connaissances, et ça le déconcentre.

Cependant…

Il redresse la tête, croisant les bras, et adoptant un air sérieux. « J’peux t’offrir un tour sur l’autoroute au mieux, peut-être une montée et une descente d’une route montagnarde si c’est sur le chemin. Y’a moins de monde de nuit. Mais c’est tout. » Et encore, même s’il est guéri, il préfère toujours éviter les montagnes.

Le danger la dérange pas, hein ? Ouais, il peut l’dire. Aucune personne sensée descend dans les bas-fonds de Tokyo en craignant pour sa non-vie. Y’a trop d’trucs louches par ici, sur lesquels lui-même doit parfois fermer les yeux pour qu’on foute la paix aux street racers.

Mais les coureurs sont pas tous cinglés. Ils ont leurs propres règles, et quiconque décide de les défier ou de se mêler de leurs activités doit les respecter.

Ça inclut la prudence envers les spectateurs. Ou toute personne tierce.

Donc même si mistinguette aime le danger et participer à une course en tant que passagère, c’est non. Qu’elle aille demander ailleurs. Enfin ça veut pas dire que toutes les options sont fermées…

Ainsi, il lui propose un bref tour. Qu’elle accepte avec une joie non-dissimulée. Puis essaye de reculer juste après. Ou de se justifier. Pas sûr de ce qu’elle cherche à faire, ici.

Il sent déjà les ennuis venir en s’impliquant avec elle.

Soupir. Il regarde Écarlate, espérant obtenir son avis. Celui-ci semble pensif. Il a remarqué un truc zarb’ ? Il est pas con, mais plutôt côté calcul que gens. Finalement, son pote-rival acquiesce. Probablement pour lui-même. Mais il répond à la question tacite. « Juste un tour rapide, ça ira. Fais gaffe, après notre course, la Boolice pourrait surveiller les autoroutes. »

Bon. Si Écarlate est OK aussi, alors ça doit l’faire. Il hausse les épaules à son avertissement. « Quand les surveillent-ils pas ? » Ça sonne plus comme un commentaire random qu’une vraie question.

Il se rapproche de son comparse pilote et lui serre la main. « Dis aux autres que je reviens vite ! Terminez pas la fête sans moi ! »

Puis il rejoint la dénommée Mino et l’invite à le suivre jusqu’à sa voiture garée un peu plus loin. Depuis son accident mortel, il la laisse plus trop sans surveillance. Il lui fait signe de monter du côté droit car, en dépit d’être au Japon et de devoir rouler à gauche, Rayleen reste un véhicule européen. Conducteur à gauche, passager à droite.

Il s’embête pas à lui ouvrir la portière ou à la lui tenir pour l’inviter à grimper comme toute galanterie demanderait. Rien à foutre.

« S’te plaît, ne touche absolument à rien. Je suis sérieux. » Il insiste fortement sur les mots lorsqu’ils sont tous les deux à l’intérieur. « Si tu fais quoi que ce soit à Rayleen, je te mets dehors. » Parce qu’il aime sa voiture plus que tout. Son cœur, son âme.

Il insère les clés et met le contact. Le moteur s’active dans un fort ronronnement. Il sourit. Il murmure. « Oui, on retourne en balade, sowwy. » Il passe la première vitesse, quittant tranquillement sa place, et s’éloigne de la zone pour se diriger vers l’autoroute la plus proche.

« T’auras p’t-être besoin de t’agripper. » Il avertit. « Et te retiens pas d’hurler si t’as la trouille, pour éviter de vomir. » Il ajoute. Beaucoup de passagers, même des coureurs aguerris, ont souvent peur quand ce sont pas eux qui sont aux commandes. Et avec la vitesse et l’esquive rapide des autres usagers, ça peut ressembler à une attraction un peu folle.

S’engageant enfin sur l’autoroute, il commence à accélérer de plus en plus sans pour autant encore dépasser la limite de vitesse. Il demande une dernière fois. « Prête ? »

Eh bien, c’est pas faux. Dans ce monde où l’amusement prime, le respect du code de la route passe assez au-d’ssus de la tête de la Boolice. Il le sait bien.

Cependant.

Leur vitesse excessive, bien plus élevée que même celle des chauffards un peu fêlés, porte potentiellement atteinte à la sécurité et au bien-être des autres spectres. De ce fait, il est pas trop sûr que ce soit clean aux yeux des flics.

Il l’invite à monter et l’avertit. Elle le questionne. Elle le rassure. Elle a l’air d’une inculte. Pas surprenant, ce dernier point. Il l’a bien compris au cours des minutes passées.

Elle veut vraiment savoir, ou demande juste pour faire genre ? Il sait pas. Ça lui rappelle pourquoi il s’entendait pas avec ses camarades d’école, quand il était en vie.

Il doit s’embêter à lui répondre ? Peut-être. Ça lui coûte rien. « Ouais, c’est son nom. » Ce manque de connaissances lui arrache quand même une grimace. « C’est une voiture allemande, en fait. Volkswagen Golf 7.5. » De son vivant, il en avait une américaine, par contre, ouais.

S’engageant sur l’autoroute, il donne un ultime avertissement, une ultime possibilité de faire marche-arrière. Elle refuse, elle est prête.

Il sourit largement. Au moins, il aime son enthousiasme. « Bien. On y va alors ! »

Avant même de terminer ses mots, il appuie sur la pédale d’accélération, passant rapidement les dernières vitesses disponibles sur le levier. Même alors, il continue de pousser Rayleen toujours plus loin, toujours plus vite.

C’est la nuit. Y’a moins d’monde sur l’autoroute. Mais c’est pas complètement vide. Donc il esquive parfois des véhicules, ou se faufile entre deux tellement de justesse qu’il reçoit des coups de klaxon. Il les ignore. Il sait ce qu’il fait, certainement bien mieux qu’eux. Tout est calculé, tout est maîtrisé.

À un moment donné, y’en a même un qui essaye de le concurrencer. Ça le fait rire. « Oh ! Regarde ça ! Il veut m’doubler ! » Il jette un coup d’œil à sa passagère, vérifiant si elle supporte la vitesse. P’t-être qu’il aurait vraiment dû prévoir un sac plastique, au cas où.

Tant pis.

« Welp, il peut toujours courir ! Accroche-toi, on va lui montrer c’que vaut un vrai pilote ! » Il enfonce la pédale d’accélération au maximum. Son turbo NOS est vide, donc il s’activera pas, mais face à un rigolo, il en a pas besoin.

130… 140… 150… 160…

Rayleen file. Le vent fouette contre la carrosserie et les vitres. L’écart se creuse à vitesse grand V. Son ’adversaire’ tente de le suivre pendant un petit moment, mais il finit par abandonner lorsque d’autres usagers l’obligent à ralentir.

« Aww… Dommage. » Faut dire que bon, c’est loin d’être easy de maintenir une haute vitesse et d’éviter des véhicules.

L’inconvénient des autoroutes, c’est que les virages sont pas brusques ou courts pour la plupart. Donc drifter sert essentiellement à rien. Il sait pas si Mino veut juste qu’il aille vite, ou si elle veut voir autre chose. Genre le passage dans un tunnel aussi, plus étroit, plus compliqué quand faut contourner les autres. « … Des envies particulières ? » Il finit par lui demander ce qu’elle attend exactement de lui, ce qu’elle attend de voir, de ressentir.