Dorina se releva, un peu vexée. Qu’il dise tout de suite qu’elle ne servait à rien ! Bon, c’est vrai qu’elle s’était salement amochée : ses habits déchirés étaient couverts de sang noir et poisseux, ses cheveux en bataille et sur ses jambes et ses bras se dessinaient de petites égratignures rouges vifs. Tout cela sans compter les divers bandages sur son épaule fragilisée.
L’adolescente commença à marcher de long en large à travers le champ de bataille qu’était devenu le bureau tout en réfléchissant à voix haute :

L’eau du poisson doit être changée régulièrement vu qu’elle est limpide. Où est-ce que je rangerais une épuisette pour être sûre de la retrouver ? Près du bocal ! Mais…

Elle s’arrêta, regarda autour d’elle et essaya de visualiser le roi dans bureau changeant l’eau du poisson.

Non… Reprenons : Où est-ce que je rangerais une épuisette si j’étais quelqu’un d’illogique et de très mal organisé ?.. Au pire, si on en trouve pas, on peut toujours en fabriquer une…

Elle se baladait nonchalamment ouvrant des tiroirs au hasard, écartant les dossiers, mais toujours pas d’épuisette ! Inconsciemment, elle commença à chantonner pendant qu’elle cherchait :

Les petits poissons dans l’eau nagent nagent nagent…

L’adolescente s’arrêta devant le bocal, se pencha pour regarder le poisson, stoppa sa petite comptine et lui demanda :

Eh p’tit truc, tu saurais pas où elle est ton épuisette ?

Elle scruta l’animal aquatique et son bocal, l’eau limpide, les petites maisons symbolisant les appartements et soudain, son visage s’illumina.

Dorina observa la cigarette que lui tendait Eden avec curiosité. Elle avait déjà vu Viktor fumer, il fumait beaucoup et il lui avait fait promettre de ne jamais le faire. En plus, elle n’avait pas trop envie de se défoncer les poumons, mais est-ce qu’ici, l’impact serait le même ? Peu importe, elle décida que ce n’était de toute façon pas le moment d’essayer et secoua la tête, puis elle rit et lui répondit :

J’aurais bien aimé qu’il puisse me parler !

Elle s’apprêtait à expliquer son plan quand le téléphone d’Eden vibra. L’air le plus calme du monde, il lui annonça :

On a plus que dix minutes.

Dorina enleva alors sa basket en expliquant :

On a pas le temps de chercher cette épuisette, et je pense savoir comment on pourrait en fabriquer une !

Elle tira sa chaussette de son pied, sauta à cloche pied jusqu’au bureau et se saisit d’une paire de ciseaux et d’un stylo puis elle s’assit sur le sol. Elle perfora quatre petits trous à une extrémité du vêtement, et entre les mailles de l’autre elle passa le stylo afin d’en faire un manche. Elle testa son ustensile en le trempant dans l’eau et en le ressortant. La chaussette était imbibée d’eau et les gouttes tombaient lourdement sur le sol. Elle sourit, mais elle pensa à quelque chose et son sourire s’effaça subitement. Elle demanda :

Je sais qu’il est déjà mort, mais si on le sort de l’eau, il aura mal ?

C’est qu’elle était soucieuse des autres. Elle, elle était là, en sang, elle s’était griffée, cognée, coupée, et elle, tout ce qu’elle se demandait, c’était si ce poisson souffrirait.