Two bros crying in the hot tub
five feet apart cause they're not gay ~
Tu aurais pu te payer une chambre d'hôtel. Ou même quelques heures dans un cybercafé. Mais en dépit de tes options, tu te laisses juste glisser là, sur le sol froid et dur dans la ruelle à côté de l'izakaya dont tu t'es fait jeter. Entre deux murs oppressants, à ciel ouvert et inhospitalier. Assis dans une espèce de restant desséché de flaque de bière, ou peut-être de vomi, est-ce que cela fait vraiment une différence ?
T'es imbibé au point que que si tu t'allonges, tu risques de t'étouffer dans le tien pendant ton sommeil. Si ça pouvait venir à bout d'un fantôme.
De tes fantômes. Si ça pouvait être la fois de trop. Si tu pouvais la retrouver une ultime fois, et ne plus te réveiller. Ne plus faire le deuil, nuit après nuit. Rester endormi car c'est désormais le seul moyen d'espérer l'entrevoir.
L'odeur des ordures est exécrable ; rien que tu ne sois capable d'endurer puis de passer outre. Rien que tu n'aies pas déjà connu dans des existences antérieures. Alors qu'au contraire, les douces effluves d'herbes séchées, d'encens et de tabac qui imprègnent les murs de la boutique te filent la nausée. Comment est-ce possible que tu finisses hanté même dans la mort ?
Alors tu t'abîmes dans le réconfort destructeur des réminiscences crasses de ta première
itération. Ton premier trépas,
le vrai, c'était dans la rue. Tu t'efforces de ne pas l'oublier, même si tu prétends le contraire. Tu te demandes toutefois si ça ne te soulagerait pas de laisser ta mémoire être submergée par les souvenirs factices. S'il ne serait pas préférable de perdre ton identité, de lâcher prise, au lieu de souffrir de tes attaches destinées à s'étioler.
Deviendrais-tu alors suffisamment creux pour que plus rien ne t'affecte ? Arrêterais-tu de chérir la mémoire de celles et ceux que tu perds ? Y compris la sienne ? Cesserais-tu de chercher malgré tout un dernier signe ?
Ah. Tu en viens à regretter qu'il se soit produit un
miracle il y a quelques jours, quand tu l'as revu
lui. Parce que maintenant, tu te remets à espérer qu'elle aussi soit toujours là, quelque part. Qu'elle réapparaisse de nulle part à ton chevet un matin. Que tout ça ne soit encore qu'une illusion trop palpable qui finira par se dissiper.
Tu achèves de te vautrer au milieu des détritus, le crâne dans des sacs poubelles que la benne à côté de toi a dégueulé, le visage tourné vers ce triste recoin de firmament qui perce entre les toits et les nuages sales. Les étoiles ne trouvent aucun reflet dans ton regard terne ; tes paupières s'abaissent, comme toi lorsque tu leur confies le vœu qu'elle ne te manque plus.
Tu ne seras pas exaucé. Tu rouvres des yeux possédés par tout ce que t'échappe. Tous ceux qui t'échappent.
Elle t'échappe.Tu tournes la tête, trop confus pour vraiment comprendre qui t'appelle, et pourquoi. Et tu ne peux répondre que par des convulsions alors que tu réalises que l'air ne parvient pas à sortir de tes poumons. Dans un mouvement brusque, tu rejettes le contact de l'inconnu quand tu parviens à te renverser sur le flanc, tes spasmes se transformant alors en une toux grumeleuse. C'est effectivement arrivé : tu t'es noyé dans tes renvois d'alcool toute la nuit. Tu expulses tout ce que tu peux entre deux hoquets rauques, tu cherches ton souffle. Tu reprends alors quelques couleurs plus naturelles : ta peau avait bleui, faute d'oxygénation.
— ... Où... qui... bredouilles-tu, sans encore trop réaliser ce que tu cherches à savoir.
Tes dents claquent, ta température ayant chuté toute la nuit comme celle d'un cadavre. Mais pas aussi convaincant que celui qui se tient devant toi. Tu le fixes, hébété, moins par son apparence que par l'instabilité de ta mémoire à ce moment précis ; ça ne t'a jamais réussi d'être réveillé brusquement.
— ... Je vous... connais ? sembles-tu réaliser cependant, au milieu des débris de ta conscience fracturée.
Tu remarques également le chien, ce qui renforce ton impression de déjà-vu. Mais tu en es encore au stade du tri maladroit dans tes bribes de pensées, après des décennies écoulées dans la peau d'un autre toi.