Extraits du carnet "Mémoires d'une bohême nouvelle: ma vie, ma mort, puis ma vie." d'Esperanza Thallia De Medicaneli, circa 1620.
"Croyez-le ou non, vous qui me connaissez de près ou de loin, mais j'ai toujours été une petite fille agitée. D'aussi loin que je me souvienne, je rendait la vie impossible à mes parents. Je penserais à m'en excuser, si je les recroise. À moins que je ne me trompe, je suis née le cinq Août mille cinq cent cinquante-quatre. Je ne m'en souviendrais certainement pas d'ici quelques décennies, je m'en remet à vous pour me le rappeler si je m'égare. J'étais fille unique d'une branche de la famille De Medicaneli, et si nous n'avions tout de même pas la fortune ni les terres de mes cousins, reste que nous n'étions pas modestes. J'ai du embrasser la passion des arts italiens aux alentours de mes douze ou treize ans, j'avais cette fascination pour les petites gens qui s'animaient, la comedia Del'Arte" Trois tâches de larmes séchées déforment le papier ici, le maquillage s'est mêlé à l'encre. "Une passion qui m'a suivi toute ma vie, et aujourd'hui encore, remarquez. J'ai cette tendresse de coeur infinie pour les miséreux qui jouent nos vies avec une exactitude rare mais grossière, je les aime, et les ai toujours aimés c'est dit. Ils m'ont volé mon coeur, et je pourrais peut-être même les pardonner de voler ma bourse et bijoux si je les y prenait."
Lettre à Madame Vittorelli, "Au sujet de notre rerésentation", signée E.T. Di Florenza, du 15 septembre 1778.
"Très estimée collègue,
Otto m'a fait savoir que votre prétexte pour fuir la répétition d'hier soir était parfaitement inventé. En plus d'être passablement insultée, je suis profondément déçue, Octavia. Je comprends la honte qui t'habite après ton jeu catastrophique d'il y a deux semaines, et je m'en veux de t'avoir crié dessus, mais essaie aussi de comprendre. J'attend de vous que vous donniez le meilleur de vous-mêmes, parce que je sais que vous avez du talent. C'est moi qui t'ai recueuillie, affamée et miséreuse, et personne d'autre, parce que je te fais confiance. Je compte sur toi pour revenir au plus vite, l'excellence ne s'obtient que par le travail acharné, tu nous manques à tous. Tu verras avec le temps, les opportunités que la vie d'artiste ouvre, tu comprendras.
Ne me déçois plus, je t'en prie. Cordialement, E.T. Di Florenza, arrivederci."
Lettre à Cuauhtzin, signée Esperanza Tonalli, circa 1653. Un baiser au rouge à lèvre fade orne encore le papier, la lettre a apparemment été chérie, puis déchirée il y a bien longtemps.
"Mon ciel.
Il me tarde de te revoir. J'ai organisé tous les préparatifs, envoyé toutes les invitations. Sois-en certain, la cérémonie sera grandiose. Je porte toujours le collier d'émeraude que tu m'as offert, mes amies pensent qu'il fait trop imposant pour ma carrure, mais le sentir frapper contre ma poitrine quand je me déplace me rappelle la chaleur de tes bras. Je te laisse une goutte de parfum, j'espère que l'odeur n'aura pas disparue le temps que cette lettre te parvienne.
Je te remercie de m'avoir montré que les hommes peuvent aimer, je ne t'ai jamais vraiment parlé de mon premier mariage -de mon vivant, le dernier également par ailleurs-, mais tu m'as permis de tourner la page. Parce que toi, je t'aime, et je sais que tu m'aimes. Je porterai la même robe qu'à notre rencontre, celle de ta "Tulipe rouge et endiablée". J'espère que tu penses à moi la nuit. On se revoit pour nos fiancailles, ma moitié.
-Ta danseuse préférée."
Extraits du carnet "Mémoires d'une bohême nouvelle: ma vie, ma mort, puis ma vie." d'Esperanza Thallia De Medicaneli, circa 1620.
"Hernando, même en mettant de côté ma haine et ma frustration viscérale, était objectivement une merde humaine. Il est navrant que j'en vienne à de tels termes, mais je n'ai pas le coeur à arracher cette page pour en reprendre la rédaction. Je crois que le premier de mes traumatismes a été mon introduction brutale et douloureuse à la sexualité. Je commence à reprendre contrôle de mon corps maintenant, mais c'est un démon qui m'aura suivi quelques décennies, tout de même. Non pas que je me faisais d'illusion quant au bonheur qu'un marriage arrangé aurait pu m'apporter à l'époque, mais rencontrer des français doux et attentionnés lors de bals m'a fait goûter à un romantisme qui contrastait trop violemment avec la vie qu'on m'imposait. Mon seul regret, c'est de ne pas lui avoir crevé les yeux, en retrospective. Ça, ou de lui avoir arraché les tripes à la main. Ma foi, j'arracherai peut-être cette page au final, elle est vulgaire. Si vous la retrouvez dans une poubelle, par respect, brûlez-là, je vous en conjure. Retenez cependant pour toute conclusion que j'avais milles raison de le haïr, et que ma colère est tout à fait légitime."
Extraits de la nouvelle "El Corazon de La Dorada", nouvelle de fiction autobiographique, signée Esperanza Thallia, parue en 1823.
"Sa quête sainte accomplie, Junia s'en retournait à la ferme qui avait vu ses plus jeunes années, et la naissance de son amourette inavouable. Elle trouva seulement les champs en ruine, la grange de ses premiers ébats rongée par les vermines et les âges, et la fière demeure qui surplombait les terres vidée de ses meubles. Sur une seule commode déplacée dans la salle de banquet, un tapis de poussière, et une lettre posée en évidence, ainsi qu'une alliance. La même qu'à son doigt, elle remarquait, et déjà sa gorge se serrait, elle retenait ses larmes. Presque à contrecoeur, avec un masochisme puissant, elle dépliait délicatement le papier, l'inondant de larmes. Elle n'y trouvait qu'un adieu, une explication sommaire de celui qu'elle pensait être sa moitié. Il avait tout vendu, tous les somptueux trésors qu'elle avait pu lui déterrer, pour financer une expédition folle en quête de l'or infini des aztèques. Elle le savait déjà, il avait certainement saisi son navire, dégagé son équipage, elle se trouvait seule et sans sou, trahie. Mais dans tel effroi venait enfin une épiphanie rassurante, une idée poignante et malsaine, venue des abysses de l'âme les plus mauvaises. Puisque tous l'avaient trahi, elle pouvait partir à l'aventure en paix, sans responsabilité ni remords, sans rien laisser derrière. Elle ne voulait même pas se venger, seulement tout détruire, effacer, tout consumer."
Extraits d'une petite histoire titrée "De celle qui dansait comme les flammes", offerte à Sabah Al-Burhan, auteur anonyme, circa 1689.
"C'est dans le feu que Noisette trouvait sa paix, et sa fin. Ce qui vivait, respirait et se mouvait tout comme elle, mais avec qui elle s'était trouvée une dernière différence. Les flammes léchaient, détruisaient, effaçaient, consumaient. Tout ce que sa bienveillance lui avait interdit de faire, le tort. Finalement, lui venait cette folie du Schadenfreude, le dernier des bonheurs qui lui restait à découvrir. Ses paumes brûlées, elle valsait dans les rues avec les fantômes et les cadavres carbonisés, la chaleur étouffante lui écrasant les paupières. Elle avait incendié Rome entière, le blanc de sa toge enfin tâché d'un rouge cruauté, son rire devenu diabolique et malsain. Les viciés lui avaient volé son innocence et sa pureté, elle leur prendrait tout. Son ballet interminable n'a jamais connu de fin, et même quand le dernier lambeau de sa chair finissait de brûler, son âme magnifique dansait toujours, sur les ruines, avec une joie nouvelle."
Bon de commande auprès d'un nécromancien anonyme, signé Esperanza Thallia De Medicaneli, du 12 janvier 1587
"Bonjour ou bonsoir.
Une connaissance m'a conseillé votre enseigne, aussi je me permet de vous envoyer cette requête. J'ai honte d'en parler, j'espère que vous ne partagerez ces informations à personne, mais je ne sait pas vers qui me tourner. J'ai, quelques instants avant ma propre mort, avalé du cyanure en quantité certes excessive par peur de souffrir. Il en vient aujourd'hui que j'ai de grandes difficultés à respirer et parler, ma gorge est comme figée dans du marbre. Par pitié, j'ai besoin de toute urgence d'une potion pour apaiser ce mal, je n'en trouve nulle part. Je saurais vous récompenser d'une manière ou d'une autre en temps et en heure, mais hélas ma fortune est partie en fumée.
Comprenez, je vous en supplie, qu'il s'agit bien plus d'une prière desespérée que d'une requête banale.
Esperanza Thallia de Medicaneli."
Extraits d'une lettre originellement retrouvée en morceaux, réassemblée. Adressée à une certaine "Zi Lin". Impossible à dater, signée E.T.
"Croyez-le ou non, nous avons bien du vécu en commun, et je crois que notre complicité y trouve son origine. Voyez, mon ancien époux -de mon vivant j'entend- m'en avait très explicitement voulu de ne jamais porter d'enfants. Même encore, impossible de savoir si l'un de nous deux à toujours été infertile, ou si la malchance nous frappait éternellement, reste qu'il m'en a voulu à moi. J'avoue rélféchir encore à votre proposition d'injection, mais elle m'évoque une certaine anxiété. Je crains des mutations disgrâcieuses, désavantageuses. Je sais très bien que vous m'aimerez quand même, pour ce que je suis.
Je vous prie d'excuser la distance que j'ai mise entre nous dernièrement, certaines jalouses ont tenté de me faire croire que vous jouez de mes sentiments, que vous ne m'avez jamais aimé. Vos doux mots m'ont convaincue, je sais que notre amour est sincère. J'espère vous revoir bientôt, que je ne vous manque pas autant que vous me manquez."
Extraits du carnet "Mémoires d'une bohême nouvelle: ma vie, ma mort, puis ma vie." d'Esperanza Thallia De Medicaneli, circa 1620.
"La mort aura au moins su me traiter plus doucement que la vie, du moins je crois. J'ai pu fonder la troupe de théâtre de mes rêves, et une amie m'a offerte une magnifique harpe. Je crois qu'elle a accompagné ce présent d'avances, mais sur le moment, je n'ai pas vraiment saisi ce qu'elle attendait de moi. Je m'en veux un peu. J'ai déjà subi le pire et appris à me forcer, je peux bien lui offrir un peu de moi. Je crois que je le ferai, c'est plus sain. Ou peut-être pas, non certainement pas. Mais je le ferai quand même, je ne sais pas... Que cette page brûle aussi, je hais ce que j'écris! Peut-être que je me hais moi-même, allez savoir. Vous qui lisez, ou moi qui me lis, jette ce damné papier aux flammes quand le courage te viendra.
Extraits d'un traité de philosophie, "La valse dévorante" d'Esperanza Thallia De Medicaneli, circa 1889.
"Il y une noblesse dans les flammes dansantes qui est inexplicable. Imprévisible, chaotique, et si attrayante. Je me suis brûlée plus d'une fois à tenter de les embrasser, de les tenir dans mes bras. Ça inquiète des personnes de mon entourage, c'est vrai, mais elles me fascinent. C'est qu'elles m'ont tant rendu service, j'en suis convaincue, je dois avoir quelque chose de profondément ancré dans mon inconscient. J'ai oublié pourquoi elle me font si forte impression, hélas. Ce doit être un traumatisme ancien et profond. Je devrais me replonger dans mes mémoires, la réponse doit y être, si je n'ai pas déjà ignifié la page. Je regrette profondément d'en avoir effacé des pans entiers, vraiment, c'est presque un combat contre moi-même.
J'ai voulu me donner les outils pour me souvenir, puis j'ai décidé de les brûler. Maintenant, je veux me souvenir à nouveau.
Me vient une épiphanie. J'ai peut-être simplement consumé ce que j'ai consumé pour ne pas pouvoir m'y replonger, non pas pour me protéger, mais pour éviter de revivre en boucle la même vie. Pour valser éternellement, toujours avancer, chaotique et imprévisible, comme le feu. Quelle entité fascinante, que l'esprit humain."
résumé pour bien tout mettre au clair :
En gros, Esperanza Thallia est né d'une famille un peu noble en espagne, et à été mariée de force (l'époque tmtc) à un bonhomme qu'elle porte pas dans son coeur. Vu que leur couple était foireux, il a décidé de vendre toutes leurs propriétés et de partir en quête de l'El Dorado, quitte à la renvoyer à la maison de ses parents. Disons qu'elle a quand même bien mal pris la démarche, et à décidé d'incendier l'entièreté de la demeure, puis de se donner la mort en avalant une capsule de cyanure (le poison était déjà connu depuis l'antiquité je vous épargne des recherche) dans sa baignoire. Dans l'au dela, elle gère une troupe de théâtre itinérante, et joue occasionnellement pour des orchestres. Par contre, avec l'âge, elle oublie des grandes parties de sa vie, et a arraché plusieurs pages de ses divers mémoires (j'en évoque un seul pour la lisibilité, mais on peut assumer qu'il y en a plusieurs) pour s'éviter de trop vivre de nostalgie. Aussi, se flinguer au cyanure a gravement endommagé sa gorge et ses cordes vocales, et elle est obligée de prendre des potion déjà pour respirer convenablement, aussi pour pouvoir parler. C'est en partie de là que vient sa réticence à mouvoir sa machoîre pour communiquer ses émotions (s'il fallait le justifier, je précise au cas où). Par ailleurs, on aura remarqué à travers les siècles qu'elle a parfois changé légèrement de nom selon ses fréquentations, mais est toujours revenu au vrai de sa naissance éventuellement.