Need a place to stay ft. Lolly

« T’es sûr que tu veux rien ?!

Ça ira. »

Le ton est froid et particulièrement cassant. Pourtant son interlocuteur ne s’en rend pas compte, puisque la voix de Wynn est quasiment entièrement recouverte par la musique que crache les enceintes de l’Ectoplasm. Ça vibre jusque dans sa boîte crânienne sans épargner sa mâchoire et bien évidemment ses oreilles. Crispé, il reste debout près d’un groupe composé d’une dizaine de personnes qui parlent, boivent, se tapent dans le dos. La distance entre lui et la personne qui lui est le plus proche est suffisamment raisonnable pour lui permettre d’esquiver les coups sur les omoplates et malgré tout, on lui parle. On lui demande d’abord s’il veut pas un verre d'alcool mais il refuse. On lui propose ensuite encore un verre, puis un autre. Chaque refus est accueilli par le rire de ses collègues et il ne comprend pas pourquoi.

Heureusement leur attention semble petit à petit se détourner de Wynn, livré à lui-même avec son verre à moitié vide d’une limonade quelconque. C’est sucré et d’habitude il trouve cela plaisant mais l’ambiance générale de la soirée donne à sa boisson un goût amer. Acide. Alors il joue avec le verre, le roulant entre ses doigts en jetant de temps à autre des coups d’œil vers le groupe. A chaque regard, il fait un pas sur le côté pour s’éloigner. La première fois un collègue le rattrape par la manche et il ne peut cacher une grimace d’agacement. La deuxième tentative il donne un coup d’épaule à quelqu’un et il retourne à sa place. Finalement c’est la troisième tentative qui lui permet d’enfin s’éloigner assez pour respirer un peu.

Il hésite à rentrer. Trop de bruit, de gens qui dansent. Lui, il ne sait pas danser. Enfin peut-être, ce n’est pas comme s’il avait réellement eu l’occasion d’essayer. Mais en même temps il sait parfaitement que s’il part pour de bon, il en entendra parler demain. Voir ce soir même, ses collègues étant bien capable de le rattraper -c’est déjà arrivé par le passé. Il balaye la boîte du regard, perdu, presque confus. Les minutes passent avant que ses yeux se posent sur le dos de quelqu’un qui lui semble vaguement familier. Cheveux long, rose, taille élancée. Il ne connait que très peu de personnes avec des cheveux qui lui font penser à de la barba papa mais il n’arrive pas à mettre le doigt dessus tout de suite. C’est quand il aperçoit son profil qu’il la reconnaît.

La fleuriste.

De toutes les personnes qu’il peut possiblement croiser, il ne s’attendait pas à ce que ça soit elle. Dans son esprit, il est compliqué d’imaginer des personnes qu’il ne voit que dans un contexte précis avoir une vie. Il regarde son verre, puis son dos et ses yeux alternent entre les deux plusieurs fois. Le rire bruyant et désagréable d’un collègue finit par lui donner la motivation nécessaire de traverser la boîte et aller la rejoindre. Il ne la connaît pas, ou si peu, mais il préfère largement une interaction avec elle que de devoir supporter le reste du groupe une seconde de plus. Une fois à côté, il ne dit pas un mot -pas tout de suite. Il inspire avant de tourner la tête, observant son visage mais évitant soigneusement ses yeux.

« Bonsoir. »

Il n’est pas sûr de parler assez fort, alors il se répète une deuxième fois avant de poursuivre.

« … Je ne sais pas si vous me reconnaissez mais est-ce que ça vous dérange si je reste avec vous un moment ? »

Sans plus de contexte. Il n’est pas le plus doué ni le plus à l’aise ; et il ne prend sûrement pas conscience que c’est une approche assez particulière à avoir avec un autre être humain. Ni qu’elle n’était peut-être pas seule. Devrait-il également lui rappeler son nom ? Impossible de se souvenir si elle le connaît déjà.

« Wynn, Wynn Llewellyn. »

Elle le regarde, il reste debout sans savoir quoi faire du reste de son corps. Peut-être que venir lui parler comme ça, sans prévenir, n’était pas une si bonne idée en fin de compte. Il revoit entièrement sa décision et l’hésitation se fait légèrement ressentir : est-ce qu’il devrait repartir ? La laisser tranquille ? Peut-être qu’il dérange. Il se racle la gorge après avoir lâché un très léger soupir, étouffé par le bruit incessant de la musique, alors que ses pieds commencent déjà à amorcer un demi-tour. Mais il est arrêté dans son élan par son interlocutrice qui lui sourit avant de s’approcher. Le léger mouvement de recul est instinctif, surtout lorsqu’elle passe son bras autour de celui de Wynn qui a l’air parfaitement confus. Déboussolé, même. Ses yeux alternent entre le bas du visage de la fleuriste et le bras qu’elle retient, faisant des allers-retours si rapides qu’il pourrait en avoir le tournis.

Lui qui se retrouve facilement déstabilisé par le contact avec autrui, le voilà incapable de réagir autrement que de se crisper discrètement.

« Ah Wynn ! Tu n’imagines pas à quel point j’étais impatiente de te retrouver, je me sentais seule sans toi… »

Il semblerait qu’elle se souvienne de lui, au final. Il ne comprend simplement pas pourquoi tant de familiarité et surtout pourquoi elle se tient aussi près ; il se mord légèrement l’intérieur de la lèvre le temps d’essayer de comprendre. Ne pas fuir, ne pas repousser et ne pas partir. Après tout c’est lui qui a décidé de venir vers elle, c’est lui qui a voulu échapper à une situation encore plus inconfortable ; rien que l’idée de vivre la même chose mais avec des collègues lui tire une grimace ainsi qu’un léger frisson. Tout sauf ça. Alors il se contente de hocher la tête lentement, déglutissant un instant alors qu’il regarde enfin la jeune femme dans les yeux -quelques secondes. Cependant son regard semble être fixé ailleurs et lorsqu’il en suit le trajet, il remarque un homme. Un homme qu’il ne connaît absolument pas et qu’il n’avait pas remarqué. Il n’a pas besoin de rajouter une source supplémentaire d’inconfort alors d’un geste il resserre légèrement la prise de la fleuriste sur son bras -non sans une petite moue crispée, avant de dire d’une voix malhabile.

« Oui … J’imagine … Est-ce qu’on peut s’installer plus loin ? »

Il n’attend pas vraiment la réponse avant de tourner les talons et l’emporter avec elle. Elle ne semble pas opposée de résistance et de toute manière, sa marche mécanique mais rapide l’empêche de réellement se rendre compte de quoi que ce soit. Le bruit est toujours aussi envahissant et la sensation d’un bras autre que le sien accroché à lui l’incommode au plus haut point. Au bord de la piste de danse, il s’arrête dans un recoin légèrement moins bondé que le reste de la boîte avant de souffler et regarder les cheveux rose vif de la jeune femme.

« … Est-ce que c’était un de vos amis ? Désolé, je ne suis pas très à l’aise avec les inconnu·e·s. »

Léger silence alors qu’il regarde ses propre pieds un instant.

« Si je me souviens bien c’est … Lolly, n’est-ce pas ? Je suis désolé j’avoue ne pas avoir compris votre remarque sur le fait de se retrouver. »

Difficile pour lui de comprendre ce qu’il vient réellement de se passer.