« ... Assez longtemps pour que je regrette de pas être mort à 20 ans. Oh mes genoux... »
Qu’est-ce que tu devrais dire toi, vu ton état.
Mais c’est pas ce que tu penses. Tu le suis du regard sans bouger et tu ressens juste une boule au fond de ton bide qui a rien à voir avec le fait qu’il est maintenant vide de tout, même de bile. La culpabilité, cette vieille amie, qui vient s’installer et poser ses valises. Elle écrase tes organes sans ménagement, tassant tout ça pour en faire une mélasse difficile à supporter. Un désolé s’échappe de tes lèvres mais ta voix est si faible qu’elle se fait recouvrir par les bruits des pas de Basil, par sa manière de tapoter son pantalon et les milliards de petits bruits çà et là qui vous entoure. Combien de fois tu comptes t’excuser, plutôt que d’agir et te bouger ? De le soulager du poids que tu représentes présentement, à squatter le sol de ses toilettes avec un air défait. Pas besoin de voir son roulement d’yeux -que tu remarques pas d’ailleurs, pour le savoir.
À moi que ça soit dans ta tête, comme beaucoup d’autre choses.
Comme d’habitude.
« Bof, c'était pas pire qu'un jeudi soir, finalement.
Mmh. »
Ça te va pas d’être aussi peu bavard, mais ta langue semble subitement faite de plomb et c’est le mieux que tu puisses faire. Rectification : le mieux que tu es prêt à faire, là tout de suite. T’essayes de bouger les épaules, remuer, montrer que t’es encore bien vivant pour un mort mais c’est douloureux et épuisant. Tu l’entends à peine proposer de partir faire quelque chose qu’il part et tu te retrouves tout seul, comme l’idiot que tu es. Si seulement t’avais pas ce truc qui vient te gratter de l’intérieur Constantine. Si seulement t’étais capable de pas te voir autrement qu’un boulet. Si seulement t’avais pas cette envie irrémédiable de fuir, une fois de plus. Mais cette fois-ci c’est pas de peur, c’est pas de panique. Tu te fais juste engloutir par ta propre anxiété, tout cru. Et vu son appétit, pas sûr qu’il reste même un os de toi à la fin.
Mâchoire crispée, tu réussis enfin à bouger un peu. Tes jambes c’est pas trop encore ça mais en t’accrochant comme tu peux, t’arrives à être debout. Si tu tombes, t’arriveras à éviter de briser encore plus de trucs -normalement. L’épaule contre le cadre de la porte, la nausée fait des va et vient dans ton ventre, tes pieds semblent avoir du mal à te répondre. Mais t’y arrives, t’es tellement têtu, t’es tellement con. D’une main tu fouilles et tu retrouves pas ton paquet de clopes. Ni ton zippo. Où t’as bien pu les foutre exactement ? T’arrives pas à t’en souvenir, ironique vu la situation. Tant pis, tu pourras bien vivre sans. Enfin t’y tiens quand même, à ce zippo, vu ce qu’il représente. T’es déjà en train de réfléchir à comment tu vas pouvoir repasser le récupérer alors que tu te diriges sans réfléchir vers la porte pour sortir de l’appartement.
Mais un bruit derrière toi t’arrêtes. Net. T’as pas été assez rapide. La main sur le cadre de la porte tu regardes en arrière sans rien dire. Tu pourrais juste continuer et espérer qu’il te retienne pas. Ou le repousser, si par un miracle quelconque ça arrivait. Ça gratte encore un peu plus fort et pourtant une partie de ta cervelle semble enfin se remettre en marche.
T’as vraiment envie de faire ça ? T’enfuir, encore une fois ? T’es pas fatigué de lui infliger ce scénario, une fois de plus ?
T’as promis, non ?
« … Besoin d’un coup de main ? »
Un peu de toi réapparaît à travers cette phrase. Tu fais définitivement demi-tour, revenant sur tes pas et tournant le dos à la porte de sortie. Toute ton énergie passe dans le fait de rester debout du mieux que tu peux, alors que tes mains tremblantes trahissent à quel point tu es épuisé. Moralement. Physiquement.
Quitte à être un boulet, autant ne pas en être un lâche par-dessus le marché.
Résumé
698 mots
Anxiété : 1, Tantine : 0