✯ Un, deux…
Aujourd’hui encore, il ne comprend pas.
Comme presque toutes les semaines, il s’est rendu aux cours sur les Poltergeists aux Catacombes. L’enseignant parla à nouveau de la possession d’objets. C’est un sujet récurrent. Ce qui est normal puisqu’il s’agit de la base de leurs capacités…
Mais pourquoi ? Pourquoi est-il le seul à ne rien réussir ?
Trois, quatre, cinq…
Aujourd’hui encore, il a vu des camarades de classe récemment arrivés parvenir avec facilité à contrôler leur périsprit.
Cela fait deux ans qu’il suit ces cours. Et rien à faire. Rien ne se passe, rien ne fonctionne.
Deux ans, et il se tient toujours là, assez en forme et ne s’approchant pas de sa tombée en poussière malgré les avertissements selon lesquels, s’il ne possède pas d’objets, il disparaîtra.
(À moins qu’il ne soit plus translucide qu’avant ?)
Six, sept, huit…
Aujourd’hui encore, il a baissé les bras face à son échec et il s’est discrètement éclipsé de la salle de classe.
Son frère serait probablement déçu de lui. Mais il n’est pas là. Cela fait des années qu’il n’est plus là. Il doit être en vie, quelque part. Peut-être toujours aux États-Unis. Peut-être revenu au Japon. Jamais à ses côtés cependant.
Il soupire, observant le ciel crépusculaire où il compte les nuages rougis par les rayons du soleil qui s’éloignent poussés par le vent.
✯
« Avez-vous entendu ? Il paraît que des pas peuvent être entendus la nuit dans ce vieux bâtiment abandonné près des rizières, au nord de la ville ! » Une jeune fille s’exclame sur un banc voisin au sien, à son groupe d’amis.
L’un desdits amis se frictionne les bras, la couleur s’estompant de son visage. « O-Ouais… Le fantôme de l’ancien propriétaire hanterait les lieux pour que personne ne le rachète et ne le rénove… Des gens auraient même trouvé des pommes récentes là-bas… »
Un troisième fronce les sourcils avec suspicion. « Est-ce même possible ? Nous sommes déjà morts. Comment le fantôme d’un fantôme existerait-il ? »
« Rien ne nous dit le contraire non plus. Nous ne savons pas ce qui se passe après notre tombée en poussière. » Le dernier membre du groupe, plus calme et désintéressé, rétorque avec conviction.
…
Sa curiosité est piquée. Il en a fini de compter les nuages.
✯
Le voilà donc devant le bâtiment abandonné. Bien qu’abandonné soit plutôt un terme fort. Certes, du lierre grimpe toujours plus haut le long de la façade, mais cela et l’usure mis à part, l’édifice se trouve en bon état.
Bien que l’architecture ne ressemble en rien à celle typiquement japonaise. Au contraire, elle est plutôt occidentale. Cela correspond au nom du précédent occupant… Un certain Murphy, irlandais.
Il monte les quelques marches menant à la porte d’entrée, et une première surprise l’attend.
Ce n’est pas fermé.
Eh bien, beaucoup de choses pourraient expliquer ce phénomène. Des personnes qui se lancent des défis, d’autres comme lui qui viennent explorer, ou même des individus qui estiment les lieux pour racheter le terrain… Il y a tellement de raisons possibles.
Malgré tout, sa prise se resserre un peu sur la sacoche de son appareil photo.
Il tire sur la poignée pour ouvrir un peu plus. La porte grince, l’ouverture s’élargissant assez pour qu’il puisse se faufiler dans l’espace.
Il entre.
D’une manière ou d’une autre, l’intérieur n’est pas aussi bien entretenu que l’extérieur. Des mauvaises herbes poussent entre les lattes sur le sol, de la mousse envahit le coin des murs, les murs eux-mêmes sont devenus un peu verdâtres. Et il y a beaucoup de poussière qui flotte dans l’air.
Les meubles sont encore là, bien qu’en piteux état et dénudés de la plupart de leur contenu.
Il avance de quelques pas dans le hall d’entrée.
Deux pièces s’étendent au-delà de portes branlantes allant du sol au plafond sur sa gauche et sa droite. Il y a une longue table au centre de celle de gauche, avec plusieurs chaises dont certaines sont renversées. Dans le coin gauche devant lui, un escalier permet de se rendre à l’étage. Et sur la droite, près de l’escalier, se trouve une autre porte plus petite et fermée.
Peut-être qu’il regarde la porte solitaire une seconde de trop… Mais un instant, il n’y avait rien. Et le suivant, elle s’entrouvre sans un bruit, des flammes d’obscurité en jaillissant…
Il se fige, la panique naissant rapidement dans son cœur, et sa main gauche vient instinctivement pincer son poignet droit alors qu’il ferme les yeux avec force. Tais-toi, tais-toi, tais-toi. Il n’y a rien, ce n’est pas réel, c’est juste son cerveau qui lui joue des tours.
Plusieurs minutes s’écoulent. Il ne bouge pas. Il n’ouvre pas les yeux. Son cœur bat la chamade. Il essaye de respirer lentement.
Mais alors… le plancher craque quelque part, et il sursaute violemment, trébuchant sur ses pieds et atterrissant sur les fesses. Le craquement continue, sonnant de plus en plus comme des pas provenant de l’étage.
N’était-ce pas censé être une simple rumeur… ? Cette bâtisse est-elle réellement hantée par le propriétaire… ?
Son attention détournée, les ombres ont disparu et la porte près de l’escalier est fermée comme avant. Les membres tremblants, il se remet debout. Il est venu ici pour prouver que cette rumeur est tout ce qu’elle est : une rumeur pour effrayer les gens. (Même si, à l’heure actuelle, il est celui effrayé.) Il ira jusqu’au bout.
Ainsi, il entame la montée de l’escalier pour trouver la source des pas.