requins = copains
ft. gulliver
Personne ne semblait manquer du canapé que le corbeau monopolisait, bien heureusement.
Aurait-elle déplacé son nid si l’un de ses colocataires lui avait demandé ? Non, bien entendu. Mais ça restait tout de même plus agréable de ne pas se savoir de trop, ou de ne pas devoir se chamailler pour un coin commode dans un appartement de cette envergure.
On lui proposa d’ailleurs une aide pour s’installer convenablement, ce à quoi Junko rétorqua avec nonchalance :
“C’est pas la peine. J’ai pas beaucoup d’affaires.”
S’ils savaient à quel point
“pas beaucoup” signifiait réellement
“rien”...
Toujours aussi serviable, Constantine abusa de gentillesse en laissant la grande dame les mener à la baguette alors qu’elle leur avait plus ou moins directement réclamé d’accrocher ses excentricités aux murs à sa place.
C’était rassurant, au fond, d’être témoin de tant de bienveillance. Lorsqu’on avait annoncé à la brune qu’elle serait placée dans une colocation quelques mois auparavant, elle avait réellement considéré porter son image d’ermite jusqu’au bout en quittant la ville pour poser son camp au fin fond de la forêt.
Pas qu’elle n’ait la moindre expérience dans le domaine, elle qui n’avait jamais rien connu d’autre que les joies d’une pièce chauffée comme il se doit et d’un matelas assez moelleux pour supporter son dos endolori par sa constante mauvaise posture.
À ses yeux, devoir faire un choix entre confort et solitude était une décision ayant autant de poids que de choisir entre se nourrir et s’hydrater : peu importe le vainqueur, vivre sans l’autre lui était impensable.
Comme quoi, elle n’aurait pas pu mieux tomber que sur Gulliver. Ici, il fallait le vouloir pour se marcher dessus, ou simplement interagir avec les autres locataires.
Mais le risque de se faire prendre était là.
Le risque d’être repérée et questionnée était là.
Ça la terrifiait.
Aujourd’hui, toutes ses peurs s’étaient réalisées, et pourtant… Tout se passait bien.
Elle avait plongé dans l’eau infestée des requins qu’elle craignait tant et était finalement tombée sur des créatures hautes en couleur, certes, mais parfaitement dociles, et plus encore.
Si elle avait su, peut-être se serait-elle jetée par-dessus bord plus tôt.
“Ah, bien sûr.”
Dès le feu vert de Louis, elle avait commencé à lever la main vers l’animal en écoutant sagement les instructions de son maître qui lui offrit un appât pour l’aider dans sa quête.
“Allez-y doucement”, avait-il dit. Ce conseil, Junko comptait bien le prendre au pied de la lettre.
Un peu trop, probablement.
En effet, ses doigts fins se rapprochaient désormais de Panpan dans une lenteur affligeante dont le poids ne se faisait que d’autant plus ressentir par le parfait silence qui l’accompagnait.
Plus que quelques centimètres.
…
On y est presque.
…
Allez.
…
Alleeez.Après un suspens interminable, le bout de carotte avait fini à portée du lapin, et son autre main était stratégiquement placée au-dessus de la boule de poils, comme pour être prête à le couvrir de caresses légères dès qu’une ouverture se présenterait à elle.
Au fond, c’était presque ironique de la voir aussi attentive et renseignée sur le langage non-verbal des animaux tandis qu’elle avait autant de lacunes à interpréter celui des autres membres de sa propre espèce.
Et, alors que toute son attention était focalisée sur le nouveau venu…
Il l’avait fait.
Doucement, son museau s’était avancé vers le bout de légume, l’analysant à son rythme avant d’enfin prendre une minuscule bouchée.
Junko avait miroité sa délicatesse en effleurant le haut de son crâne du dos de son index, une fois, deux fois, trois fois.
Ça lui avait décroché le premier sourire que ses colocataires eurent l’honneur de voir dessiné sur son visage.
Le souffle coupé par l'interaction qui l’avait tant démangé, elle avait brisé son silence pour répondre indirectement à Monsieur Clope en murmurant sous son souffle, comme par peur d’effrayer la bestiole :
“... Wow…”
La voir dans cet état était un privilège rare… Il n’aura suffi que d’un lapin, au final.