Garde reprochée - [Yasuke & Zdenka]

Puisque toute les bonnes choses ont une fin, Zdenka s'était résolue à mettre un terme au contrat signé avec son ancien garde du corps, ce dernier ayant décidé de quitter la ville pour de bon. Il avait occupé le poste depuis quelques décennies déjà, leur relation d'abord très professionnelle devenue progressivement une profonde amitié. Tant pis, ça n'était ni le premier ni le dernier compagnon de route qu'elle perdait en des siècles d'existence.

Naturellement, elle avait dans l'urgence engagé un nouvel agent pour assurer sa protection, tant ça lui manquait. Un genre de samouraï, qui faisait au moins assez propre sur lui pour mériter d'apparaître en sa compagnie.

Reste que pour le moment, elle s'était assise à une table en terrasse pour déjeuner, ne lui avait pas vraiment parlé beaucoup jusque là. Et déjà un léger détail devait être adressé. Le gardien restait debout, fixe, statique. La polonaise ne savait même pas s'il avait compris qu'il avait le droit de manger.

"Vous pouvez vous asseoir, vous savez. Je ne mords pas."

On aurait pu l'en croire capable, du premier coup d'oeil, cependant. Hélas, elle n'était pas arrivée vampire dans ce monde cruel.

"Et commander de quoi manger, aussi. C'est gênant de vous voir rester immobile, là."

Voilà pourquoi elle n'aimait pas le changement, le nouveau. Il fallait toujours tout reprendre de zéro.

Elle soupire déjà d'épuisement. Manifestement, elle n'est pas tombée sur le plus docile des hommes, ni le plus sensible à ce que d'autres appelleraient la bienséance. C'était légèrement hypocrite de sa part de lui reprocher un tel professionnalisme tant elle pouvait se faire pointilleuse sur tout, mais il y avait tout de même des limites à respecter.

Face à tant d'obstination, elle fait ce qu'elle fait toujours: être plus têtue encore. Il a certes réponse à tout, mais elle se contenterait de se répéter jusqu'à ce que ça rentre, aujourd'hui ou demain. Elle n'avait rien de mieux à faire, de toute manière, son entrée n'était même pas encore arrivée.

"Jeunez si ça vous tient à coeur, mais pour l'amour du ciel, prenez au moins une chaise."

Un rapide coup d'oeil vers la rue, et il devenait assez évident que les passants semblaient s'écarter légèrement des deux hurluberlus en décalant leur trajectoire vers le loin. Zdenka avait bien ce qu'elle le payait pour: une sécurité absolue, personne n'osait les approcher à moins de trois mètres. Aussi rassurant que ça puisse être, ça la dérangeait.

"Vous faites peur aux gens. On va me prendre pour une matriarche mafieuse, ou je ne sais quoi."

Une accusation lâchée presque avec désinterêt, comme un constat brutal et froid. Elle avait cerné assez rapidement que le sarcasme n'était pas un language qui prendrait face à tant de sérieux, alors elle se retenait de faire une blague sur le fait qu'elle soit vraiment une grande criminelle en cavale. Elle retenait de la faire devant quelqu'un d'autre, par contre.

Une fois encore, la matriarche a su soumettre à sa volonté l'altérité en étant simplement la plus bornée. Elle se retient quand même d'arborer un sourire narquois pour signer sa supériorité, mais c'est seulement parce qu'elle ne connaît pas encore Yasuke.

L'inverse n'a pas l'air si vrai, cependant, le garde du corps a manifestement fait ses recherches. Ou alors il estime simplement au jugeant rapidement la polonaise qu'elle a l'air honnête, mais dans le doute, et surtout pour faire la discussion, elle demande, amusée.

"Ah oui? Et comment vous pouvez en être si certain? Vous vous êtes renseigné?"

Zdenka n'était pas tout à fait au courant qu'une simple recherche google en disait plus long sur sa vie qu'elle ne pouvait se souvenir, ne se servant d'internet presque que pour envoyer des mails ou regarder des vidéos de chats faisant des choses stupides. Elle croyait encore avoir sa part d'ombre à cacher.

Par chance, son entrée arrivait, et elle attaquait sans politesse aucune devant les yeux de son interlocuteur. Elle commençait à siffler son vin rouge, avec. Elle avait commandé la bouteille entière d'ailleurs.

De manière assez détestable, son nouvel employé reconnaissait certes avoir pris le temps d'étudier le cas de la polonaise, mais refusait catégoriquement d'expliquer comment. Sur ce terrain-là, elle sentait qu'insister n'allait que le brusquer et rendre toute communication tendue. Plutôt qu'insister, elle laissait filer.

Mais ne comptait certes pas laisser l'information lui échapper, elle profitait du fait que les restaurants servent toujours un verre à eau et un verre ballon pour pousser le premier vers Yasuke, innocemment.

"Je vous sers, peut-être?"

Elle posait la question, mais prenait quand même la bouteille en main. Le pauvre lémure ne pouvait pas encore le savoir, mais qu'importe la réponse, elle comptait fermement remplir son verre. Quitte à devoir le vider elle-même s'il se faisait particulièrement têtu, au fond elle n'y perdait pas grand chose.

Puisqu'elle devinait qu'il fallait quand même une excuse pour le faire boire, elle inventait:

"Pour célebrer le début d'une collaboration professionnelle durable!"

Zdenka espérait seulement que la langue de l'homme se déliait avec la boisson, parce que c'était indéniablement son cas.

Zdenka le sentait cette fois-ci, rien ne servait d'insister. Elle le comprenait, dans un sens, elle-même n'oserait pas se présenter ivre à une réunion professionnelle. Non pas que ça ne lui soit jamais arrivé, en fait... Mais pas volontairement, seulement par des concours de circonstances.

"Vous ne buvez pas, hein?"

Poser la question était parfaitement inutile, mais en réalité elle cherchait juste à le faire parler pour éviter qu'un long silence malaisant n'aie le temps de s'installer pleinement. Elle n'avait même pas eu le temps de formuler la question jusqu'à la fin, que sa main venait déjà saisir le verre pour le rapprocher de son assiette.

Pour sa part, elle avait déjà franchement entamé sa boisson, et à peine deux bouchées plus tard, elle en vide le reste. Au moins, elle s'était déjà servi un deuxième verre. Certes la polonaise boit un peu trop vite pour que son métabolisme n'en assume les conséquences, en fait, mais l'ivresse viendra lentement. Pour l'heure, elle est parfaitement lucide. Elle parle la bouche pleine, cependant, mais c'est seulement parce qu'elle est un peu malpolie quand elle a de la nourriture sous le nez.

"N'allez pas croire que je suis contre le sérieux et le professionalisme, mais je crois quand même qu'il y a des choses sans conséquences que l'on peut se permettre de faire, même au travail..."

Bon, boire du vin n'en faisait définitvement pas partie, mais elle pouvait tenter de prétendre que c'était le cas.