À la Croisée des Arts ✯ ft. Yasuke Oda

✯ ’envoyé en plein milieu de l’ancienne culture japonaise’ ? Oh. Donc la couleur de peau n’est peut-être pas un choix fait avec l’aide d’une potion, tout compte fait. Il y a certainement une histoire qui explique tout cela, mais cela ne le regarde pas.

Ils ne sont pas amis. À peine des connaissances depuis moins d’une heure.

De plus, Oda a choisi un nom japonais et en parle exceptionnellement bien la langue. S’il devait employer des termes que l’homme apprécierait certainement, son âme appartient au Japon.

Suivre le code des samouraïs japonais est une autre preuve largement suffisante.

Et en ignorant tout ce bazar sur la couleur de peau, franchement, il s’en fiche de l’endroit d’où les gens viennent. Il a visité assez de pays au cours de sa mort pour se rendre compte qu’ils sont tous pareils jusqu’au bout des ongles : des humains. Qui naissent, mangent, boivent, tombent amoureux, et meurent.

Tout ce qui importe, c’est où on se sent chez soi, non ?

Il acquiesce, notant mentalement le jour pour les cérémonies, même si cela implique qu’il reviendra deux fois. Une fois un jour aléatoire en effet de surprise, et une le samedi en tant que simple visiteur curieux.

Même s’il préférerait éviter de remettre trop les pieds dans un endroit qui lui rappelle vaguement sa maison d’enfance, il aimerait vraiment voir une cérémonie. Cela semble bien différent d’une prière pour une divinité. Aussi bien au Japon qu’à l’étranger.

« On s’y habitue. » Et c’est le cas. Ce n’est pas non plus très courant, ces déformations visuelles. Cependant, c’est le fait que cela survienne de manière hasardeuse qui le dérange le plus. « Hm… pas vraiment ? Les photos figent la réalité. Ma vue me montre des choses irréelles. Alors si je regarde les photos, je saurai ce qui est vrai. »

Le commentaire suivant d’Oda attire assez son attention pour qu’il y pense sérieusement. Il fixe à nouveau le ciel à travers l’entrebâillement des portes. Seul élément immuable, indéformable.

« Je n’avais jamais vu les choses de cette façon. » Il admet doucement. Même s’il ne pense pas vraiment avoir fait de sa vue défectueuse un avantage. Elle était juste gênante au début. Il ne sait même pas ce qui est le pire entre les ’hallucinations’ et les moments où ses yeux lui font mal comme s’ils étaient poignardés à nouveau.

« Malheureusement… » Il s’arrête, jette un coup d’œil vers ses bras couverts par son manteau même s’il donne peut-être l’impression de regarder son appareil photo, et revient vers Oda. « Je pense que ma vue est le cadet de mes soucis. »

Mais c’est une histoire qui n’est pas vraiment pour les oreilles d’une connaissance.

Ni pour personne, à vrai dire.

Il se rapproche du propriétaire. « Cela mis à part… » Il appuie distraitement sur le bouton gauche et droite, parcourant sa galerie. « Souhaitez-vous voir les premières photos maintenant ? Sinon… je suppose que si vous avez d’autres éléments ou lieux à prendre… »

✯ Le manque de questions au sujet desdits ’soucis’ et les simples encouragements de l’homme l’apaisent immédiatement. Il souffle de soulagement, les épaules se détendant, comme si un poids soudain disparaissait.

Il hoche la tête en guise de remerciement, un très faible sourire passant brièvement sur son expression.

Oda ne semble vraiment pas méchant. Un individu mature, qui colle avec son ancienneté dans ce monde. Il l’aime bien. Ils sont similaires sur certains points, ne parlant pas plus que nécessaire, et ne se mêlant pas de ce qui ne les regarde pas.

Il se sent plus à l’aise ici que lorsqu’il est entré.

Le silence se pose un instant, avant d’être rompu par le refus de son interlocuteur. Il acquiesce une nouvelle fois. Très bien.

Il n’est pas plus sûr que lui des lieux intéressants à prendre. Qu’est-ce qui serait bien à présenter sur un site web ? Il n’est pas développeur ou designer, ou quelque chose comme ça… Dans les musées, il capture tout ce qui l’intéresse dans chaque pièce disponible. Sauf qu’il ne connaît pas les pièces qu’un dojo possède, alors il ne peut pas vraiment suggérer.

Peut-être un jardin japonais ? Ou une salle où est entreposé le matériel ? N’y a-t-il pas des arts martiaux qui utilisent des shinais ou des katanas en bois… ?

Cependant, le propriétaire du dojo semble finalement penser à quelque chose. « Je doute que la valeur des choses puisse être estimée par une seule personne. Sinon, soit nous n’aurions aucun musée, soit nous en aurions beaucoup trop pour toutes sortes de choses aléatoires. » Il réfute calmement.

Il n’est, lui-même, que voyageur et photographe. La valeur de certaines choses exposées dans les bâtiments qu’il a visités par le passé lui échappe complètement. Comme les lettres de Ryōma Sakamoto…

Suivant tranquillement le grand homme dans une autre pièce, il est surpris par la présence des sabres et la lance exposés sur le mur. Il cligne des yeux, ne s’attendant vraiment pas à cela. Ce sont les ’choses’ qui lui tiennent à cœur ?

Vu l’explication qui suit, en effet.

Il connaît ce Oda Nobunaga. C’est un samouraï légendairement connu, et encore plus ancien que Ryōma. Ils parlent beaucoup de lui dans les livres d’histoire.

Et… ’sans entrer dans les détails’, malheureusement, quelques pièces se mettent en place avec tous les morceaux d’histoire racontés jusqu’à présent. Oda sous-entendait ne pas vraiment venir du Japon, mais il a très vraisemblablement servi ce samouraï. Puis à sa mort, il a pris son nom comme sien. Probablement. Par hommage ? Reconnaissance ?

Cela lui donne aussi une petite tranche plus claire de la période durant laquelle il a vécue. Beaucoup plus ancienne que lui.

L’idée de ’vivre’ aussi longtemps… Il n’est pas sûr d’en avoir envie.

Une question subsiste.

Il s’approche un peu plus près, veillant tout de même à ne pas y toucher, non pas par crainte de se blesser, mais parce que c’est un souvenir important pour Oda. Il essaye de savoir si c’est la véritable ou non. Même s’il ne peut pas vraiment les distinguer, en vérité. « Vous avez pu les récupérer du Monde des Vivants ? Normalement, nous arrivons sans rien ici, non ? »

C’est juste de la banale curiosité. Le grand homme pourrait aussi bien avoir commissionné des Vampires pour les rapporter ou que ce monde en ait créé des copies comme certains monuments, il ne s’en soucie pas.

« C’est incroyable de les voir en vrai. Je les ai seulement vus dans des livres. » Il se recule et lève légèrement les yeux vers Oda. « Il n’y a pas forcément besoin de les mettre sur la page d’accueil de votre site. Je ne sais pas exactement comment vous avez prévu de présenter votre dojo, mais vous pourriez éventuellement en afficher une photo sur une page ’Histoire’ qui raconte les origines et l’inspiration de votre dojo. Il y a des gens qui aiment lire l’histoire des lieux comme ça. »

Après tout, il est une de ces personnes. Et ceux non-intéressés, ils pourront simplement ignorer cette page.

✯ À quelques exceptions près. Eh bien, il est vrai qu’il ne se souvient pas avoir entendu parler de morts s’étant réveillés nus dans la salle d’attente du Roi… Ce qui peut se comprendre car cela aurait été très embarrassant pour tout le monde présent.

Mais d’autres exceptions ?

Malgré les deux siècles passés dans cet au-delà, des mystères lui échappent encore.

Il ne connaît pas les critères requis pour qu’un objet vienne avec soi. À moins que l’objet ne vienne pas vraiment avec soi, mais est copié en même temps que le corps. Et pour ça, peut-être faut-il le tenir fermement ? Et être d’une taille acceptable ? Aurait-il pu sauver les carnets de dessin de son frère s’il les avait tenus en mourant ?

Il ne saura jamais. Ce qui est fait, est fait. Ils ne sont plus qu’un tas de cendres emporté par le vent depuis des années.

S’il a besoin d’un rappel, il en a un de ceux d’ici. C’est suffisant… pas vrai ? Peut-être devrait-il commencer un véritable album photo en retour qu’il pourra offrir à son frère, un jour.

(En supposant qu’il soit même en ’vie’.)

Il acquiesce simplement à la mention des ’connaissances’ ayant récupéré les armes. Il peut combler les trous ; les personnes et la raison. Ça ne le concerne pas, il n’ira pas rapporter, et il aurait fait la même chose s’il restait autre chose qu’une maison familiale pillée et brûlée.

À la place, il observe la pièce. Son agencement, comment la lumière tombe sur les armes, leur emplacement sur le mur…

(Il se sent parfois comme un physicien ou un architecte. Mais avec un ’travail’ certainement moins pénible.)

Il s’écarte de quelques pas sur la gauche, se plaçant légèrement en diagonal face aux armes. Il lève son appareil photo à l’horizontal pour cadrer… et grimace en observant le résultat à la fois dans l’objectif et sur l’écran.

D’accord. En portrait un peu pivoté alors.

Il effectue les changements et les réglages adaptés à la nouvelle position. Cela le satisfait davantage. C’est dans la boîte.

« Un tri… » Il abaisse l’objet numérique pour regarder pensivement Oda. « Avec ou sans site web, vous devez pourtant avoir des visiteurs qui passent juste par curiosité aussi… » Il n’est pas sûr lui-même de savoir où il veut en venir, alors il ne termine pas. Pas dans l’immédiat, du moins.

Le propriétaire refuse tout visiteur touristique ou juste les personnes trop curieuses ? Un panneau indiquant que le dojo ne propose aucune visite pourrait être utile… Sauf qu’il pourrait aussi avoir l’effet inverse.

L’humanité et son esprit de contradiction.

Il ne peut pas les comprendre. Il n’arrive pas à comprendre lorsque les gens lui expliquent l’envie qu’ils ressentent de faire le contraire de ce qu’on leur dit.

« Peut-être… » Il y pense. Il y pense vraiment. « Pour un meilleur tri… mais si vous ne voulez pas de touristes du tout… » Il s’égare. Il ne comprend pas tout ça. « Vous pouvez… indiquer une journée ouverte aux visites ? De préférence, une journée en semaine où il y a plus de chance que les gens travaillent, et donc cela les démotivera à venir ? »

Il n’en sait vraiment rien. Ce dojo n’est pas un musée non plus, donc son idée est peut-être totalement stupide.

✯ D’accord, pas de visiteurs acceptés. C’est dûment noté. Son idée suggérée était terriblement stupide. Il devrait réfléchir avant de parler, parfois. Ou au moins attendre l’ensemble des informations.

Maintenant, il se sent un peu gêné. Même si Oda ne semble pas lui en tenir particulièrement rigueur.

Il se tait, acquiesçant simplement lorsque le propriétaire des lieux déclare qu’il trouvera une solution définitive pour empêcher les gens trop curieux de s’inviter entre ces murs. Il doute qu’il existe réellement une méthode qui stoppera complètement la curiosité des gens.

Surtout des historiens. Il y en a probablement, non ? Si la connaissance de ces armes légendaires se répand…

Peut-être qu’une page racontant l’histoire de cet endroit n’est plus une si bonne idée, tout compte fait. Cela provoquera l’inverse de ce que veut le grand homme.

Il cligne des yeux et les lève vers le plus âgé à la mention des ’tracas’ ressentis à propos des nouvelles technologies et de leur influence. Il les rebaisse juste après vers son appareil photo entre ses mains. Il n’est pas vraiment dernier cri, il a onze ans. Mais il n’est pas non plus dépassé.

« Je comprends. J’ai un peu de mal avec la technologie aussi. » Cela doit être dû à leur ancienneté en ce bas monde. Ils n’ont pas connu la technologie de leur vivant. Ils l’ont vue arriver et se développer si vite… Il a eu du mal à suivre toutes ces nouvelles choses. Il se sent un peu comme ces personnes âgées qui débarquent parfois ici, toutes grognons à propos d’un ordinateur ou autre. « À part les appareils photos que je maîtrise, tout du moins. Je ne peux guère vous donner de conseils à ce sujet. Peut-être que vos élèves sauront mieux ? »

Ils se sont… beaucoup éloignés de l’origine de sa visite. Il ne sait pas si Oda à autre chose à lui montrer, comme une fameuse salle de stockage ou un jardin japonais, ou s’il est temps de lui montrer l’ensemble des photos.

Il hésite. Comment est-il censé demander ça à nouveau ? Il tripote anxieusement la sangle de son Nikon D800, et se gratte un peu la peau du bout de ses doigts. Il prend une légère inspiration silencieuse, puis regarde à nouveau le samouraï. « Cela mis à part… est-ce tout ou avez-vous… autre chose… ? Sinon nous pouvons… » Il trébuche un peu sur les mots, prononçant des phrases qu’il n’achève même pas complètement. C’est encore plus gênant maintenant.

✯ Un manque d’adaptation, hein… ? C’est bien possible. Il s’est habitué à certaines nouveautés, comme les véhicules, ayant même le sien, et aux appareils photos. Mais il est vrai que pour le reste… cela reste un peu catastrophique.

Et contrairement à Oda, il n’a pas vraiment de gens sur qui compter pour l’aider avec ça.

Eh bien, si. Il a Angel, qui lui expliquerait sûrement avec plaisir. Mais il ne veut pas spécialement le déranger. D’autant plus que son ami a son propre travail… Peut-être pourra-t-il lui demander un peu durant le voyage qu’ils feront ensemble, dans quelques mois, si le plus jeune est toujours partant d’ici-là ?

Heureusement, il ne demande pas à devenir un expert. Loin de là. Après tout, il n’a guère besoin de technologie pour voyager à travers le monde.

« Vos élèves ont l’air digne de confiance, c’est une bonne chose. » Il n’y pense pas trop quand il le mentionne à voix haute. Il a toujours eu un peu de mal à accorder sa confiance. Il attribue cela à voir beaucoup trop de côtés de l’humanité. Les bons et les mauvais.

Il baisse ensuite les yeux vers l’appareil photo entre ses mains. « Les circonstances ont fait que. » Puis il se souvient d’un fait assez comique. « Mais la première fois que j’en ai vu un… J’ai pensé que les humains avaient inventé une nouvelle sorte d’arme cubique. Une arme que, même pointée vers un autre individu, il ne fuyait pas. C’était étrange. »

Le pire est qu’il n’a découvert ce que c’était réellement que bien des décennies plus tard.

Un bref silence s’ensuit, qu’il rompt à nouveau pour suggérer de… passer à la suite, comme en conclut le maître des lieux.

Il acquiesce pour confirmer que c’est ce qu’il voulait dire.

Alors il accompagne le grand homme jusqu’à une nouvelle pièce qui ressemble fortement à un bureau. Eh bien, c’est probablement la fonction de cette pièce tout court, à vrai dire. Plusieurs meubles, des documents et même un ordinateur.

Il s’approche, se tenant maladroitement de l’autre côté du bureau central, tandis qu’Oda démarre la machine.

Il cligne des yeux à l’invitation de lui présenter les photos sur le grand écran. Ah. Oh. Oui, bien sûr. Il fouille dans la poche avant de la sacoche de son appareil photo pour en retirer le câble. Ce n’est pas encore un réflexe. Il montre plutôt les photos directement sur l’écran de son appareil… ce qui, il doit bien l’admettre, est nettement plus petit qu’un écran d’ordinateur.

Délicatement, il connecte son Nikon D800 à la plus grosse machine, la laissant charger les, très probable, milliers de photos qu’il contient.

Se fiant au nom des photos – des dates –, il sélectionne un groupe d’entre elles, et lance la galerie d’images pour les afficher. « Vous pouvez les parcourir… Je compte toutes vous les laisser, juste au cas où. Indiquez-moi simplement un endroit sur votre ordinateur où je peux les copier ? »

Il y a sûrement plusieurs photos qui se ’ressemblent’ car il a pris le même endroit, mais avec des réglages différents, pouvant donc donner un effet final différent. La luminosité, le contraste, le zoom ne sont que des paramètres parmi tant d’autres plus complexes…