Lost child - [Vaska & Milo]

A la réponse du garçon, ta bouche s'ouvre et tu laisses s'échapper un son qui secoue tes épaules, et que tu stoppes après une seconde. Tu n'as pas l'habitude de rire, tu n'as pas l'habitude de t'amuser d'une phrase amusante, en général tu ne lâches qu'un demi sourire. Mais tu as rit. Tu n'as pas rit par l'ironie d'une situation cadavérique, comme cette autre fois avec l'autre garçon dans la ruelle, ou tu n'as pas rit par anticipation d'une suite distrayante d'un quelconque événement. Non, tu as réellement rit. Ça faisait longtemps.

Un nécromancien donc ? Il ne peut pas faire ses propres potions ? Apparemment pas, ou peut-être qu'il est juste trop jeune pour ça, tu penses.

Une malédiction, ça s'approche pas mal de ta situation.

"On est tous maudits ici, tu dis en prenant une bouffée de ta cigarette nouvellement allumée. Je me plains pas. Etre un vampire, c'est supportable."

En ta condition de suceur de sang, il n'y a qu'une chose que tu regrettes. C'est d'avoir tué ce garçon, cette nuit-là. Le reste du temps, ce n'étaient que des nantis sans importance, des sacs de nourriture desquels tu t'es nourri allègrement sans aucune émotion autre qu'une soif à rassasier et la jouissance d'avoir une vie sous ton emprise.

"Et puis j'ai souvent des... chose à faire chez les vivants, tu expliques avec un petit sourire en coin, l'air de dire "Tu vois ce que je veux dire". C'est distrayant, je tombe pas en poussière à cause de l'ennui."

Tu devrais peut-être lui dire que t'es un vampire membre du Bchobiti ? Que tu fais partie de l'une, si ce n'est la plus grande organisation criminelle du Monde des Morts ? Que ton travail consiste uniquement en tuer des cibles sans aucun remord, encore et encore ? Que tu n'es pas rassasié avec la mort par morsure, mais qu'il te faut aussi planter une balle dans le crâne de ta cible ? Peut-être pas, pas encore. A moins qu'il ne te pose la question, tu ne comptes pas révéler tes passe-temps à cœur ouvert.

Il est un peu trop jeune pour savoir ce genre de choses.

Le garçon ne semble pas intéressé le moins du monde par tes activités criminelles... Ça t'arrange et t'évite de faire trop d'explications, tu ne vas pas t'en plaindre. Tu l'observes cependant gratter la tête de Glaza, qui se soumet docilement à ses caresses avec un regard amoureux. T'as toujours essayé de l'élever pour en faire un truc violent, une machine de guerre, un chien policier au minimum... Mais non. La seule chose à laquelle tu l'aies jamais vu aboyer ça a été à un poteau dans lequel il s'était prit un jour où il n'avait pas tous ses yeux. Mais Glaza est le chien le plus inoffensif que tu aies rencontré, comme un vieux grand-père qui reste docile et aimant en toute circonstance.

"Pourquoi il a six yeux ? te demande ton invité.

- Parce que les nécromanciens sont des fois... tu cherches tes mots en japonais, mais aucun mot ne te semble approprié pour décrire ta pensée. Des Сволочь. Son maître faisait des expériences."

Un souvenir de la première fois où tu avais vu Glaza sans ses six yeux te revint à l'esprit et un léger pouffement amusé sort de ta bouche avant que tu ne prennes une autre bouffée de ta cigarette.

"Impossible de vivre sans potion, tu dis, même si cette remarque s'applique tout autant à Glaza qu'à toi-même. Ou il est totalement perdu et tombe sans arrêt, c'est ridicule... Tu peux pas fabriquer des potions pour toi ?"

Tu t'es déjà posé la question un peu plus tôt, pourquoi il ne ferait pas ses propres substances ? Il n'est pas assez vieux ? Tu sais même pas comment fonctionnent les nécromanciens de toute façon...

Tu reprends un peu de fumée salvatrice et jette ta tête en arrière avant de souffler un cercle dans les airs.

Tu t'amuses à faire des ronds de fumée en écoutant ton interlocuteur. Tu ne t'étais jamais penché sur la question, étant donné que tu ne peux pas en faire, mais tu supposes que faire des potions doit quand même être sacrément difficile. Ils mettent quoi dans leurs fioles les nécromanciens ? Des animaux vivants ? Des plantes ? Du sang ? Ça ne t’étonnerait même pas que ce soit le cas, après tout t'es un vampire homicidaire qui vit avec un chien à six yeux.

"Je fais celle pour mes cheveux, précise le garçon. Et une de celles pour les zombies. Je les vend pour me faire un peu de fric quand je suis à sec, mais j’suis pas un expert."

Tu aurais rit à la remarque des cheveux si tu ne prenais pas toi-même des potions pour les tiens. Pas des potions pour améliorer leur longueur ni leur couleur, non, ça c'est que du naturel. Mais une pour les démêler, c'est que c'est sacrément chiant à défaire des nœuds dans des cheveux de cette taille...

"Le nécromancien qui m'a donné la potion est un bon ami, tu dis. Je peux vous présenter... Tu es mort depuis longtemps ? Quel âge as-tu ?

Parce que t'as beau lui avoir parlé et le traiter de gamin, tu connais pas son âge réel. Alors que lui en sait beaucoup sur toi... Un peu trop même, mais bon, tu sauras t'y faire.

36 ans ? En effet, il est plutôt jeune. Tu fais un calcul rapide sous ton crâne, pleine dictature, comme tu le pensais. Tu te sens un peu vieux tout à coup, non pas que tu le sois tellement, t'as rencontré bien pire, mais quand même...

Tu observes le garçon se masser les tempes. Effectivement, il a beau avoir reprit une apparence adulte, il n'en reste pas moins malade. Tu dois bien avoir une potion anti-douleur quelque part dans ton armoire, tu as de tout de toute façon. Tu as même complété ta collection en achetant deux potions de vieillissement pour toi-même, tu les testera quand le moment sera venu...

Tu commences à répondre au gamin quand Glaza vient fouiller dans ses poches et...

"Бля !" tu lâches en t'agenouillant à terre.

Du sel putain, même toi t'en as jamais transporté, et t'en fais pourtant des allez-et-retour entre le Monde des Morts et celui des Vivants. Y'a bien un truc qui t'énerve, c'est compter du putain de sel. C'est une des choses qui te met le plus en rogne, depuis que t'es mort. Et t'es un gars difficile à déranger pourtant, en général tu ris au nez de toute les situations et leur adresse un sourire en coin. Mais ça, c'est vraiment insupportable. Cette envie de compter les petits cristaux blancs... Ça pouvait pas être du gros sel au moins ? Сука

"OДИH, ДВA, TPИ..." tu commences à compter à voix basse en séparant les grains.

Puis une idée te viens à l'esprit. Pendant un instant, un court instant, tu parviens à compter les grains et prononcer un simple mot en même temps.

"Glaza !"

Ton ami s'approche alors, allez, allez approche, tu penses. Viens manger le putain de sel. Tu t'en fiche pas mal de savoir si Milo devait le donner à quelqu'un ou si c'était pour sa consommation personnelle, tu comptes pas rester une minute de plus à compter ces foutus grains. Le sel, putain mais si tu savais qui avait instauré ce truc débile de comme quoi il fallait compter les grains tu l'étranglerais bien volontiers.

Tu vois Glaza se faire malheureusement se faire rembarrer par le gamin qui te fait face. A ses paroles impertinentes tu lances un regard mauvais, mais restes concentré sur ton ouvrage. Tu es trop occupé sur ces grains de riz comme pour parvenir à te dissocier une fois de plus de leur comptage, tu es incapable de faire deux choses à la fois correctement, c'est insupportable. Glaza s'est retiré dans un coin, incapable pour sa part de désobéir à une personne que tu as amené si aimablement chez toi.

"семьсот двадцать три ! tu t’exclames triomphalement en te levant. Tu transportes des choses très dangereuses, gamin.

Enfin libéré de cette tâche ingrate, tu te diriges vers la cuisine afin de te servir un verre de vodka bien mérité, avant de lancer :

"Est-ce que tu aimes la vodka ?"

Vous avez tous deux participé à ce travail atroce qui vous revient à vous, les morts, il a autant mérité ça que toi... Enfin, pas autant bien-sûr, puisque c'est à cause de lui que tu as vécu les minutes les plus atroces de ta vie, mais un peu quand même...