Can't u just die ?
Poker-faced
Je maintiens qu’il faut envoyer cet homme à l’asile. Et fissa.
Avant de me répondre, il m’a fixé d’un air inquisiteur, l’air de se demander si oui ou non il devait accepter ce défi. Mec, tu as déjà essayé de décoller la tête de mon corps avec ton « fulguro poing » à deux yen, ce n’est pas maintenant que tu vas regretter de m’affronter, si ? Je ne cherche plus à comprendre, de toute manière, Sergueï semblant imperméable à toute logique.
Je fais abstraction de tout le reste, des gens autour de nous, qui ont interrompu leur entrainement juste pour profiter d’un crêpage de chignon bien barré comme on vient voir une attraction risible, histoire de rire un bon coup avant de tout oublier et de retrouver ses activités respectives.
Le doute traverse un moment les prunelles du Russe et, s’il donne l’impression qu’il va rendre sa décision, son état de santé l’en empêche. Il vomit. Là, en plein milieu de la salle. Sans pression. Comme un enfant : c’est limite s’il n’affiche pas un sourire ravi en constatant qu’il s’est dégueulé dessus. Mais quel âge a cet homme, c’est pas possible ? D’un geste rapide, je couvre nez et bouche, sensibles aux odeurs, notamment celles nauséabondes, pour me couper de l’infection humaine. J’aurais tout donné pour crever avant qu’il ne pointe son doigt puant vers moi.
Hélas, nous sommes déjà morts, alors je me contente d’un bond en arrière.
Dans la salle, la curiosité a cédé le pas au dégoût, d’autant plus que Sergueï préfère lancer une vague invitation au défi, comme si nous étions dans un anime de duel de cuisine. Je lève les yeux au ciel en le voyant ravaler son vomi. C’est un comble, cet enfant n’a-t-il pas reçu l’éducation de maman-da ?
Mais il corrobore le tout d’un « bébé » qui me fait arquer un sourcil avec nervosité. Mon sourire se crispe tandis que mes phalanges, ramenées en un poing ferme, blanchissent à vue d’œil, et je manque de vomir à mon tour. « Bébé » ? « Bé-bé » ? Mais pour qui il se prend celui-là ?! Si j’avais été un super sayen, nulle doute qu’une aura de flammes roses m’entourerait déjà.
— Répète ça ? je siffle. Tu te prends pour qui, suppôt de Staline, pour m’affubler de petits surnoms ? Pour toi, pauvre merde, c’est « Shinoda-sama », point final.
Oui, à défaut d’avoir des qualités, le Russe a le mérite de parvenir à chaque instant à me faire sortir de mes gonds. Et je vais lui faire payer cette humiliation cuisante au prix fort.
Heureusement qu’il accepte ce duel, je vais le fracasser, à défaut de pouvoir le tuer.
En signe d’acquiescement, j’ignore sa main tendue pour hocher la tête, un rictus dégoûté collé sur le visage. Mais une idée semble lui traverser l’esprit. Je me méfie de lui, encore plus lorsqu’il réfléchit, vu qu’il a l’air d’être limité au stade de l’enfance dans tout ce qu’il fait.
Il faut dire que lorsqu’une armoire à glace plus proche de l’ours que de l’homme russe se met à faire un strip-tease avec ses affaires pleines de vomi, on n’a pas vraiment tendance à lui accorder une grande crédibilité. Dès qu’il commence à enlever son haut, je glapis et me réfugie en amont derrière le propriétaire de la salle, de peur que l’autre taré ne m’envoie en pleine une « preuve de son amour -da » ou je ne sais quoi.
Résultat : c’est le proprio qui se prend en pleine tête le t-shirt. Il hurle et s’étouffe, doit avaler un peu de vomi vu les bruits de gorge qui filtrent au travers du tissu. Mais quelle horreur, que quelqu’un me réveille et me dise que tout ceci n’est qu’un cauchemar !
Pendant que le proprio s’écroule à terre pour refouler son horreur, agité de hauts le cœur, toute la salle s’éloigne de Sergueï et de ce dernier, et j’ai le même mouvement de recul.
Son annonce de défi manque de me faire perdre connaissance. Oui, je crois que, subjuguée par l’absence de logique de tout ce qu’il se passe actuellement, j’aurais bien pu tomber dans les pommes. J’aurais presque préféré ça a un duel sur Just Dance.
Je ne sais même plus quoi penser du flot de parole qui s’échappe de ses lèvres. Pourquoi serais-je heureuse avec un beau tas de muscles ? Pourquoi s’acharne-t-il à vouloir me « séduire » ? Deux cornes rouges et un regard à faire pleurer les enfants, ce n’est pas assez explicite pour lui ? Encore un qui ne comprends pas la notion de consentement et la limite entre la dragouille et le harcèlement. Encore un qui va finir avec un coup de pieds dans les burnes.
Je frémis de plaisir en imaginant réaliser cette délicate idée.
— J’imagine que je n’ai pas le choix, si je peux ne plus être collée par un pot de colle comme toi.
Heureusement que j’ai deux gosses à la maison, sinon jamais de ma mort je n’aurais testé cette invention du démon qu’est Just Dance.
Effectivement, c’est à peine s’il me demande mon avis, c’est juste pour la forme. Je claque ma langue contre mon palais : qui est le fou qui m’a dit que la condition de la femme dans la Russie soviétique était plutôt avancée, que je l’étrangle ? L’épreuve ayant été imposée par le russe, il ne reste plus qu’à établir le nombre de manches et à installer le matériel.
Wait.
Attendez. De un, pourquoi une salle de muscu a-t-elle une console pour Just Dance ? De deux, pourquoi Sergueï se balade-t-il avec le cd du jeu, planqué on ne veut pas savoir où ? Je cligne plusieurs fois des yeux sans comprendre. Mais ce n’est pas le pire.
Avec lui, rien n’est jamais le pire, il se passera une éternité avant que l’on puisse être sûr que l’on a définitivement touché le fond.
La couche finale, le poil de torse qui fait déborder la piscine, c’est lorsqu’il me parle de déguisement. J’ai peut-être pas assez bouffé de Sergine la diva pour les 100 prochaines années, peut-être ? Je demeure interdite, en espérant que par « se déguiser » il ne parle pas d’une nouvelle robe écarlate aux strass aveuglants. Les gens autours - c’est-à-dire ceux à qui il n’a pas foutu de gifle gratuite - pouffent de rire lorsqu’il apporte cette clause facultative, eux non plus, ne comprennent plus rien, mais ils peuvent au moins en rire.
Le voilà reparti en direction des vestiaires, tandis que l’on peut distinctement entendre la musique du menu du jeu. Kami-sama, il va m’avoir à l’usure, ce malade ! Néanmoins, un yakuza ne se défile pas devant le combat, encore moins lorsqu’il peut gagner.
Et c’est mon cas.
Assise sur un banc, je m’hydrate tranquillement en regardant le propriétaire tenter de se relever, les jambes tremblantes suite au choc, avant de filer en pleurant vers les douches. Là, on peut entendre un cri d’effroi suivi du choc d’un corps contre le sol ou un mur. Ah, Sergueï est déguisé, j’imagine.
Et rien de tout ce que l’assemblée pouvait imaginer n’aurait pu nous préparer à un tel spectacle.
En le voyant, les gens qui piaffaient presque d’impatience échangent des murmures choqués, ne sachant pas s’il faut rire ou pleurer. Moi ? Je recrache mon eau et manque de m’étouffer de rire. Ce sont d’abord des spasmes qui secouent mes épaules, à la manière d’une crise d’épilepsie, puis, petit à petit, des gloussements montent le long de ma gorge pour éclater. Des tremblements frénétiques secouent mes membres et c’est avec un effort considérable que je ne tombe pas du banc pour me rouler de rire à terre.
J’en pleure, je n’en peux plus, mes abdominaux me font si mal à présent, mais ce n’est pas pour autant que ma crise de fou-rire s’arrête.
Il est déguisé en pom-pom-girl, une jupe courte cachant à peine le haut de ses jambes et sa brassière couvrant moins de chair que la mienne. Faut dire qu’à part des poils, y’a pas grand-chose à garder dans un jardin secret. Un détail m’achève et m’empêche de me relever alors que j’avais entrepris de calmer mon fou-rire : les barrettes dans les cheveux. Kami-sama, qu’ai-je fait pour mériter ça ?
Mais le pire, dans tout ça, c’est qu’il rougit, pas à la manière d’un pote bizuté, non, mais bien comme un personnage féminin tout droit sorti d’un shojo pour adolescente en manque d’amour. Mon rire se fait plus fort, j’en baverais presque. En tous cas, mes yeux sont à présent noyés de larmes.
Mais c’est l’heure du du-du-du-duel, alors il faut se reprendre. J’essuie d’un revers de la main mes larmes et respire de grandes bouffées d’air pour calmer la crise. Une fois prête, je le rejoins face à l’écran, retrouvant ainsi ma mine sérieuse.
Je ne peux pas perdre la face contre ce monstre Russe. Qui sait ce qu’il me ferait endurer s’il gagne. Un frisson dégoûté remonte le long de mon échine tandis que je me décide, plus que jamais, à l’écraser.
Le voilà parti en transe, dès les premières paroles, il est soudain bien sérieux. Jusqu’à déclamer une nouvelle déclaration de guerre sans queue ni tête.
— Mais on a pas huit enfants ! Et question virilité, je crois que j’en ai plus que toi, mon gros ! je m’esclaffe, en campant sur mes positions, prête à lui montrer toute l’étendue de ma souplesse.
Merci Chisako, de m’avoir fait acheter ce jeu du démon.
De toute façon, vu qu’il n’a déjà pas l’air sobre de base, ce n’est pas en s’enfilant des gorgées de vodka entre chaque mouvements ou presque qu’il va gagner. De mon côté, j’exécute avec sérieux les mouvements au rythme des paroles de Katty Perry. Ce qui me motive à atteindre les « perfect » ? La perspective de le frapper jusqu’à le défigurer. Une idée qui dénote complètement avec la manière dont les gens peuvent à l’heure actuelle me voir : une petite chimère aux cheveux roses s’agitant dans tous les sens et à la queue de biche qui frétille face à l’approche de la victoire.
De face, c’est un autre combat… j’ai un rictus de yakuza étiré sur mon visage d’ange rose et je ne peux que savourer ma réussite face à ses gestes embrouillés par l’alcool.
Une petite chansonnette de victoire vient m’apporter la satisfaction désirée, d’un geste du poing, je me retourne vers la salle, emballée par notre prestation, qui s’écrie - première et dernière fois de leur vie que ces mâles en sueurs soutiendront une chimère, première et dernière fois que je me laisse embarquer dans une telle situation. Mais il ne faut jamais dire plus jamais, avec Sergueï.
Je me retourne vers lui en soufflant d’un air amusé :
— Seconde manche ?
C’est plus un ordre qu’une question, aussi, je change le titre pour « No Limit » de 2 Unlimited. Une chanson en duo, pour sûr qu’il ne saura pas se coordonner et que je vais pouvoir lui montrer l’étendue de ma force. La musique retentissant, je me positionne et exécute en rythme les pas, tournant autour de lui lorsqu’il faut échanger de position, pas vraiment sûre qu’il ne capte ce mouvement.
Je m’amuserais presque, si la victoire ne m’obnubilais pas.
Si le gérant de la salle avait fait son boulot et nettoyé la flaque de vomi qui se trouvait derrière nous. Lorsque mon pied dérape, à la toute fin de la chanson, j’ai le temps de me crisper face à l’horreur de la situation avant d’essayer de me rattraper.
Alors je hurle. Un cri à donner mal à la tête à n’importe qui dans la salle.
Ft. @"SERGUEÏ P CHOUKHOV" JPP