Peek a Boo ! est un forum rpg dont la v4 a ouvert en février 2023. C'est un forum city paranormal où les personnages sont décédés ; après une vie pas très chouette, iels se sont vu offrir une nouvelle chance et évoluent désormais dans le Tokyo extravagant de l'au-delà.
起死回生
La pire chose venait d’arriver.
Depuis la semaine dernière, Luap économisait précieusement les dernières gouttes qui constituaient un tout p’tit fond de sa bouteille de Giorgio Armani. Le prix d’une telle possession dépassait les cent Øssements, une somme dont il ne disposait pas (encore) étant donné que le zombie avait eu trop la flemme de travailler jusqu’à présent, action qu’il comptait retarder au maximum… Mais une absence de quelques heures avait été l’erreur fatale.
Rentrant dans la chambre qu’il avait colonisée à Lascaux – rien qu’à cette idée il tremblait d’exaspération, vivement qu’il ait assez d’argent pour faire construire son propre chez lui hors de cette grotte infâme – l’odeur lui monta instantanément au nez. Pour qu'il remarque une effluve malgré la sienne, qui couvrait tout et à laquelle il s’était habitué, il fallait qu’elle soit extrêmement puissante : la flaque absorbée par le tapis dégageait effectivement un sacré parfum… puisqu’elle en était constituée.
Il se rua sur la carpette souillée, et grogna rageusement en sentant le liquide encore frais sur ses doigts… Dans un geste désespéré, il voulut saisir le fond de la bouteille qui était miraculeusement intact pour sauver le peu de substance qu'il pouvait ; il s’entailla la paume sur un des autres éclats de verre abandonnés là. Le sang coulait et les gouttes de parfum s’insinuaient dans la coupure, causant une douleur infecte qui lui arracha un long cri guttural et augmenta encore sa colère. QUI DONC AVAIT OSE LUI FAIRE ÇA ?
Fulminant, il se mit à gueuler dans un langage fleuri alors qu’il cherchait l’appartement à la recherche du colocataire fautif. Qui… QUI ? Saburo, sûrement. Ou Brendan… Quand même pas Ebiko ?! Si elle avait fait tomber ses affaires pendant son déménagement… Qui que ce soit, ils allaient probablement tous s’en prendre plein la gueule, dès qu’il mettrait la main sur eux. Pour l’instant, l’appart était vide, et le vieux zombie avait foutu la zone dans l’espace commun pendant son caprice, alors la dispute serait sûrement réciproque.
En attendant, il n’avait personne sur qui se défouler, et quand il était énervé, impossible de se calmer avant d’avoir pu se plaindre un bon coup et déverser son fiel. Ulcéré, il saisit la veste qu’il avait venant à peine de balancer par terre à son entrée, et sorti de Lascaux, claquant violemment la porte derrière lui. Il allait simplement monter en ville et chercher un pauvre débile dans un bar pour soutenir ses plaintes : mais en passant devant l’appart Bozo, un individu plus approprié pour ce genre d’activité lui vint en tête. Quelqu’un qui partagerait son léger agacement. Quelqu’un dans le même état d’esprit. Angel.
Il ne prit pas la peine de taper à la porte, trop irrité pour perdre son temps avec ces conventions sociales à la con. En plus, il n’avait pas pris le temps de soigner sa main, et toucher cette porte où tous les autres avaient foutu leurs germes n’arrangerait probablement pas la coupure, en plus de lui faire super mal. Il entra donc en trombe, laissant derrière lui une faible piste de gouttes de sang et de parfum.
AH, ces terribles clowns lui tapèrent instantanément sur le système, comme à chaque fois. Non seulement il trouvait l’idée même d’un « clown » stupide, mais en plus les couleurs qui accompagnaient ces créatures étaient criardes et insupportables. Un regard rapide sur l’ensemble de la pièce l’informa qu’elle était vide - EVIDEMMENT. RIEN NE POUVAIT ETRE FACILE – à l’exception d’une petite jeune femme aux cheveux clairs qui observait l’intru. Faute de mieux, il l’interpella sèchement :
Elle était petite et pâle, et ses oreilles et sa queue indiquaient clairement qu’il s’agissait d’une Chimère. Jeune. Nouvelle, sûrement, il ne l’avait jamais vue. Il ne s’attarda pas beaucoup sur son apparence et s’intéressait surtout à sa réponse, toujours bouillant de rage et trop grognon pour s’apercevoir qu’il pouvait effrayer la demoiselle.
L’animosité du zombie heurta visiblement la jeune femme, et il aurait été trop occupé à redoubler d’agacement pour le remarquer… si les oreilles repliées de la Chimère ne lui avaient pas fait un couvre-chef si ridicule. Trop ridicule pour être ignoré. Il eut un temps d’arrêt, dérouté. Mais la réponse de la jeune femme lui rappela son problème.
Putain, génial, les bonnes nouvelles continuaient d’arriver. Où était encore allé se fourrer ce salopard de blondinet ? Sûrement en train de se dévergonder en écoutant de la musique de rave beaucoup trop fort, comme tous les millenials insupportables de son âge.
Ah. Ouais. Il venait de se rappeler de sa blessure, du coup. Elle quitta la pièce, et comme il n’avait rien écouté à ce qu’elle avait dit, il pensa qu’elle était gênée par le sang et avait fui. C’était sûrement l’occaz’ de s’en aller à son tour – il n’avait pas que ça à faire – mais avant qu’il eût pu bouger, elle était de retour avec de quoi le soigner et lui demandait sa main (littéralement).
A ces mots, il fit exactement l’inverse de ce qu’elle commandait, et la ramena contre sa poitrine dans un geste digne d’une vierge effarouchée. D’ordinaire il avait déjà horreur d’être touché par quelqu’un d’autre, mais là, en plus, c’était par une petite nana à l’odorat visiblement très développé – du moins, au vu des mouvements subreptices de son nez. D’un autre côté, la coupure était sur sa main dominante, la droite, il ne pourrait donc pas se soigner lui-même, son appartement était vide de colocs, et il n’avait pas d’autre « ami » qu’Angel.
Après avoir rapidement pesé le pour et le contre, il tendit finalement la main avec une gêne mal dissimulée. Tandis qu’elle s’occupait de refermer tout ce bordel, il s’excusa maladroitement :
Elle ne serait sûrement pas dupe, mais il avait préféré devancer ses éventuelles questions. L’appartenance de Luap aux zombies était limpide, mais pour empêcher la jeune femme de trop y réfléchir, il se mit à déblatérer en grognant :
Heureusement pour elle, le zombie eût soudain un haut-le-cœur, et le mouvement de surprise qu’il eût lui arracha un « Aïe ! » perturbant, il ne s’en formalisa pas longtemps et préféra reculer, les yeux écarquillés.
Le Chat venait d’entrer dans la pièce.
Il le désigna fébrilement de sa main valide, serrant la main meurtrie contre son cœur sans rien dire. L’animal assit nonchalamment se léchait pour l’instant les pieds de façon hyper sale, et ne se préoccupait ni de Paul, ni de la souris, dont il ignorait toujours le nom sans vraiment sans soucier. Mais A TOUT MOMENT il pouvait se lever et marcher vers eux.
Le Zombie avait l’air terrorisé, mais prétendrait sûrement le contraire dans deux minutes.
La jeune femme, visiblement courageuse, vint au secours de Luap à grands renforts de gestes et de bruitages. Il retint d’ailleurs un rire en entendant ses « pssssht » très expressifs mais totalement inutiles. Finalement, elle terrassa la bête grâce à la fameuse ruse de l’estomac, dont il fût très admiratif puisque – non content de se contenter d’observer pendant que la souris faisait face à son prédateur naturel – il n’y aurait jamais pensé lui-même. Il faut dire qu’il n’avait que peu d’interactions avec les chats, et avait oublié au même titre que le reste de sa vie à quel point ces animaux étaient gourmands.
Après être revenue vers lui, elle profita de son ahurissement pour récupérer sa main et reprendre son examen, tout en s’excusant. En apprenant son allergie, le zombie y vit soudain une excuse personnelle tout à fait valable, et s’empressa d’annoncer :
Démarrant ainsi une sorte de compétition de symptômes absolument pas nécessaire, il força un éternuement peu convaincant, mais sembla satisfait de sa pathétique tentative. L’important était qu’elle ne croie pas qu’il avait eu peur… D’ailleurs c’était même pas la peine d’évoquer ce mot. Qui a peur ici, hein ? Pas lui.
N’ayant jamais possédé de chat de toute sa mort, sa remarque sentait à la fois les préjugés… et le vécu. Il eut un frisson en évoquant les maladies, mais évidemment, il ne se rappelait pas pourquoi.
Il fixa un moment les mains de la petite souris qui s’affairaient à panser enfin sa plaie, ne sachant plus que dire. Littéralement. Luap avait terminé de se plaindre ? Incroyable. Impossible, surtout. Le silence lui pesait déjà, trop gênant. Il demanda donc, enjolivant à peine sa question :
Au plus haut dans sa liste de choses méprisées à ce moment se trouvait les chômeurs. En particulier les chômeurs de type « jeunes », c’est-à-dire les gens au top de leur forme physique et mentale, qui restaient chez eux à rien foutre et à profiter des allocs. Des gens comme ça, il y en avait beaucoup à l’Agence… Luap n’avait pas encore compris que l’intérêt d’être mort était d’être délivré de la pénibilité du travail sans avoir à s’inquiéter de trouver un toit, lui qui était certain d’avoir passé sa vie à être un membre productif de la société pas du tout décédé dans un appartement insalubre.
Sentant que sa main était soignée, il serra doucement le poing et le desserra trois ou quatre fois de suite pour vérifier que tout marchait bien.
Visiblement, la souris n’était pas convaincue par sa justification, mais elle eût la décence de ne rien dire et le laissa changer de sujet. Ou alors, c’était simplement parce que le reproche qui suivit la troubla au plus haut point ? En tous les cas, à en juger par son soupir et par son regard vindicatif, elle sembla dérangée par la question. Quoi, elle allait se vexer pour si peu et le foutre dehors ? Lui qui avait encore tant de choses à dénigrer aujourd’hui. Par exemple, la veille il avait voulu acheter une pizza, et le gars était arrivé après vingt-neuf minutes, ce qui fait qu’il n’avait pas eu le droit à sa pizza gratuite promise au bout de trente. A une poignée de secondes près. Unbelie-fucking-vable.
Mais elle finit par expliquer plus calmement qu’elle prévoyait de partir bientôt, mais qu’elle perdait la mémoire assez régulièrement. Tiens ? Alzheimer, si jeune ? Il envisagea un instant qu’elle soit bien plus vieille que ce que son apparence laissait penser. Curieusement, malgré sa situation personnelle plus que zarbi, il avait tendance à omettre cette possibilité. Il n’était mort que deux ans auparavant, après tout, et le réflexe de se dire que n’importe quel gamin pouvait en réalité avoir plus de cinq cent ans d’existence derrière lui ne venait pas encore systématique à l’esprit du zombie.
Ce n’était de toute façon pas le cas de cette demoiselle ; d’après ce qu’elle disait, elle venait à peine de mourir. Il avait donc probablement mis les pieds dans le plat en l’agressant ainsi, elle devait encore être sous le choc. Oh, well. Millenials are such special snowflakes, pensa-t-il sarcastiquement. Mais elle ajouta autre chose au sujet de ses pertes de mémoire, une chose qui attira son attention.
Elle proposa aussitôt une pâtisserie, sûrement pour passer à un autre sujet. Ce n’était sûrement pas bon pour son foie, ou tout autre organe pourri chez les vieillards zombies comme lui, mais peu importe. Il accepta. Il économiserait ainsi le repas de ce soir et pourrait réutiliser ses sous comme fonds pour acheter un nouveau parfum. D’ailleurs, il serait peut-être temps qu’il prenne sa propre remarque en considération et se trouve un job, histoire d’arrêter de vivre à l’Agence comme un parasite. Meh.
Il croqua dans la pâtisserie qu’elle offrait avec résolution.
Et lui pourrait peut-être devenir dentiste pour soigner toutes les dents qu’elle aura attaquée avec tout ce glucose.
Il restait néanmoins le problème de l’amnésie qui la retenait ici, dans cet appart tout bonnement glauque. Il n’osait même pas regarder à quoi ressemblait le tabouret sur lequel il s’était permis de s’asseoir, sûrement une grosse fleur moche ou une trompette… Ridicule. Et soit dit en passant, si elle l’avait laissé sans problème changer de sujet plus tôt, il ne comptait pas en faire autant pour elle. Il revint au sujet de l’amnésie, qui l’intéressait beaucoup, sans aucune considération pour la gêne visible de la souris. Luap n’avait que très peu d’expérience avec les Chimères, et n’avait pas encore conscience du danger auquel il s’exposait en ayant si peu d’égard pour ses émotions. Il reprit donc :
Luap se retrouva totalement démuni face à sa réponse. Combien de bons souvenirs est-ce qu’elle pouvait bien avoir à son âge ? Repartir à zéro devrait être salutaire pour tout le monde, pourtant. Il se surpris à réfléchir aux belles choses qu’il pouvait avoir oublié. Et à cette voix de femme qui lui revenait en rêve de temps à autre, et qu’il enfouissait bien profondément, en espérant qu’elle ne revienne pas. Non seulement Swann n’avait pas eu l’air convaincue par ses dires, mais en plus les remarques qu’elle lui opposa étaient parfaitement recevables.
Je ne pense pas comme toi, avait-elle osé lui annoncer. C’est ce qui le surpris en premier lieu, à vrai dire : la jeune femme avait l’air tellement paumée qu’il pensait pouvoir lui coller n’importe quelle idée en tête et ne recevoir que de l’approbation. Et pourtant. Elle présentait ses propres idées et n’étais pas d’accord. Il l’avait sûrement mal jugée.
En parler, uh.
Bien évidemment, il ne se rappelait pas que dans son enfance et pendant toute sa vie, on lui avait appris à ne pas parler de ses sentiments. Un homme ne faisait pas ça, c’était tout sauf viril, et tout sauf utile. Mais bien qu’il n’ait pas le souvenir de ces enseignements, ils étaient toujours présents dans son comportement, et il lui paraissait donc inconcevable de faire ce qu’elle conseillait. Et en plus, comme il l’avait exposé, il n’avait pas envie de se rappeler. Plus on parle des choses, plus elles deviennent vraies. Donc non, non, il n’en parlerait pas. Surtout pas de cette voix… Nora.
Comme elle commençait à ranger, et que ses dires avaient remué le Zombie, il se leva et s’ébroua. Elle s’excusa de l’absence de son ami (alors que ce n’était pas sa faute, décidément elle était si avenante…) et espérait l’avoir aidé. Il hocha la tête pour signaler que oui, bien qu’il ne soit en vérité pas très sûr que cette conversation lui avait fait du bien. Luap se sentait assez bizarre, un peu moins Luap, un peu trop Paul ; plein de choses le turlupinaient, il les repoussa. Au moins le temps de saluer rapidement la demoiselle sans perdre la face. Il se racla la gorge et la remercia, pressé de s’évader pour retrouver sa tanière et enfouir ses pensées dans son oreiller. Mais alors qu’il ouvrait lui-même la porte de l’hideux appartement, il s’arrêta soudain dans l’embrasure, se retourna vers elle, et demanda :
Il n’était sûr de rien, mais sentait que quelque chose dans l’attitude de la Chimère l’avait remué, et qu’il aurait peut-être besoin d’utiliser cette excuse pour la recontacter. Et, même s’il ne s’était pas attaché à cette gamine au cours de cette parenthèse, il restait curieux de connaître ce qu’elle deviendrait. Ils avaient plus d’une chose en commun !
|
|