Yelizaveta Saphirova - Shining bright like a russian

Liza ne se souvient plus de grand chose de son enfant, elle se souvient surtout du vent froid, de la neige de l'hiver et des odeurs de métal qui traînaient dans la maison familialle quand ses parents rentraient de l'usine. Bien sûr, elle se souvient de ses frères et de sa soeur. Une famille de quatre enfants dont elle n'est ni la plus jeune ni la plus agée. Tout le monde s'occupe des uns et des autres, elle a parfois des flashs de la salle de cours de l'école, des corvées avec sa mère et ses tantes. Mais tout cela n'avait rien d'exceptionnel. Même en se concentrant devant le verre de champagne qu'on vient de lui amener dans l'avion du monde des morts, rien de bien particulier ne lui revient de cette époque. Rien à part, peut être les rumeurs sur le Tsar parfois, où elle s'imaginait à la court, où elle serait mariée et riche...

Bien sûr tout cela n'était que des rêves d'enfants. Pas du tout ce qu'il s'est passé. Elle a bien été mariée, mais à un homme rencontré en travaillant dans les usines d'armement. Un homme ni riche, ni vraiment beau, encore moins noble. Un homme au moins engagé, qui lui fera connaître une idéologie qu'elle ne connaissait pas. Elle se prend au jeu, en parle avec les autres femmes. Si les prises de position sont de plus en plus radicales, elles doivent également être discrète. Ce secret, ce danger permanent, quand elle y repense aujourd'hui, il y avait également cette excitation qui lui permettait de vivre une vie moins morose que celle de la femme qui reste simplement au foyer.

Les choses se sont précipitées après le début de la guerre en Europe. Peut-être parce que tout cela semblait loin, peut etre parce qu'il s'agissait juste d'une excuse. Avec le recule, si elle pense toujours qu'ils avaient raison, Liza voit beaucoup de choses qui auraient pu être fait mieux, avec moins d'émotions, mais ils étaient jeunes, enflammés et tout cela semblait tellement injuste à l'époque. Et quand une autre femme avait perdu son enfant, elles s'étaient organisées pour cette manifestation qui avait tourné au vinaigre pour elles. Il fallait dire que les hommes du Tasar n'avaient rien à voir avec la Boolice si laxiste de ce nouveau monde où elle s'était retrouvées en quelques heures.

Elle soupire légèrement avant de boire une gorgée du breuvage pétillant dans son siège. Quand elle repense à tout cela, elle n'a que le got amer de ses souvenirs à la bouche. Même la délicieuse production vinicole a du mal à la masquer. Il faut dire que l'arrivée n'a pas été facile. De leadeuse de la révolution, elle s'est retrouvée femme seule sans intérêt. Dans une époque presque décalée pour elle, parce qu'au dehors de la Russie les femmes avaient encore moins d'envergure et de respect. Le changement de trop. Elle les avait détestés pour leur genre, rien de plus, rien de moins. Pour cette supériorité qu'ils croyaient avoir sur elle, pour cette hauteur avec laquelle certains les regardaient, pour ces regards dédaigneux et ces intimidations quand elle voulait prendre la parole sur les sujets politiques au catacombes. Ca ne concerne pas une femme. Elles n'ont pas à étudier cela... Si ce n'est pas l'avis général, elle l'entends trop pour l'ignorer.

Il n'en faut pas plus pour reprendre la lutte. Plus féministe cette fois qui la mènera à rencontre des chimères. Si elle ne se ressent pas un besoin de devenir l'une d'elle, elle passe plusieurs années avec, allant jusqu'à déménager dans l'une de l'un de leur groupe. Sa transformation, elle ne s'en souviens même pas vraiment. Sûrement une des leurs qui aura trouvé qu'elle le méritait et qu'elle devait pouvoir se défendre en toute circonstance.

Elle partira du Japon une dizaine d'années plus tard pour découvrir le monde au moment où les moeurs de tous se libèrent ou une nouvelle révolution appelée sexuelle cette fois est entamée. Peut-être parce qu'elle avait l'impression d'avoir en partie gagné, en tout cas, c'est en arrivant en Russie qu'elle a compris que les températures fraîches de sa vie n'étaient définitivement plus pour elle.

Quelques mois plus tard, elle finit par tomber sur un homme à ses pieds. Une erreur de cet idiot qui lui fera comprendre à quel point certains sont manipulables. La première soirée où il l'emmène dans un restaurant d'exception lui fait découvrir une vie dont elle rêvait petite et comme souvent elle ne recule plus pour y avoir accès. Elle prend sa revanche en leur marchant sur la tête. Elle n'hésite même pas à enfermer plusieurs fois son mécène d'un soir dans une chambre d'hôtel de luxe devant une salière renversée, pour être tranquille et ne pas le récompenser comme il s'y attend. Elle est subtile, sans pitié aucune, alors que tous les aspects de cette vie de luxe, elle s'y habitue de plus en plus. Après tout ce n'est que de l'argent qu'elle encourage à partager un peu plus équitablement.

L'annonce d'arrivée de l'avion à l'aéroport de Tokyo la tire de ses souvenirs. Elle a passé presque 60 années à voyager dans toutes les zones les plus chaudes de la planète ainsi. S'accrochant au sac à dos du voyageur le plus rempli qu'elle puisse trouver. Mais elle sent maintenant qu'il est temps de changer quelque chose. Peut-être que c'est simplement l'âge qui la travaille. Quand on est mort, on a bien le droit de faire une crise en approchant de ses 140 ans non ?