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TW : Blessure auto-infligée
Alors… Il n’y a pas – ou plutôt plus – de corbeaux. Ni de ’trou noir’. Le ton de l’inconnu est assuré, certain de ce qu’il dit, de ce qu’il voit, malgré la touche d’inquiétude toujours présente.
D’accord… D’accord, très bien, il n’y a pas de trou noir. C’est juste lui, c’est juste une déformation visuelle.
Il préfère lorsqu’elles ne sont pas si effrayantes, à tel point qu’il réalise la différence uniquement grâce à ses photographies.
Dans un souffle tremblant, il acquiesce.
Il va le croire. Juste pour cette fois, il va croire cet étranger. Il espère ne pas se tromper en l’écoutant. Il espère que cela ne se retournera pas contre lui. Pourquoi cela n’aurait-il pas pu être son frère…
Lentement, il inspire et expire à nouveau.
« D’accord… » Rassemblant ses forces et son courage – surtout son courage –, il retire ses mains de ses yeux. Il ne les ouvre pas encore et, sans la pression exercée sur eux par ses paumes, ils lui font d’autant plus mal. Une sensation d’aiguilles, de débris de verre, de céramique qui les transperce. Il ignore la vieille blessure éveillée de son mieux.
C’est un inconnu, il ne devrait pas faire cela.
C’est un inconnu, il ne devrait pas.
Pas devant un inconnu.
Yamero, yamero, yamero.Toutes ses pensées essayent de l’empêcher de faire une erreur.
Malheureusement en vain.
Sa main droite atteint son poignet gauche. Il effleure les bandages qui couvrent sa peau.
Yamero. Il pince. Ses doigts tremblants ne saisissent que la gaze qui l’enveloppe. Il grimace.
Une autre inspiration. Une autre expiration.
D’accord, très bien.
Il se ressaisit, il réessaye.
Yamero. Il tire légèrement sur les tissus blancs, cherchant aveuglément le bout qui les maintient enroulés. Il le trouve –
yamero – et déroule les bandages sur quelques longueurs. Pas trop, juste assez pour lui donner accès à son poignet.
Yamero, yamero, yamero.Il ne s’arrête pas. Il enfonce et gratte fortement ses ongles contre sa chair, grimaçant davantage. C’est douloureux, mais c’est l’objectif… Donc il presse, et presse, et presse, comptant jusqu’à dix dans sa tête. Il relâche, et recommence une seconde fois.
Cela devrait suffire. Cela suffit toujours habituellement.
Soufflant longuement, il éloigne ses ongles et laisse retomber son poignet meurtri contre lui, une petite ligne de sang coulant le long de sa main sans qu’il s’en aperçoive. Il relève finalement la tête, et ouvre les yeux.
Le visage de l’homme devant lui ne dégouline plus d’encre noire. Il n’est plus aussi effrayant… Le ciel aussi paraît moins sombre.
Il tourne la tête vers le ciel.
En effet, le soleil est plus bas qu’un peu plus tôt. En effet, il n’y a plus de corbeaux, ni de ’trou noir’ s’étendant au-dessus de la ville. Au final… ce qu’il a vu… était-ce réel ou vraiment une autre de ses déformations visuelles ? La deuxième option semble être la plus crédible. Mais il ne peut en être complètement sûr.
Son attention se reporte sur l’inconnu. Ses yeux le lancent encore légèrement, mais la douleur fantôme diminue. Il a l’air… d’âge plus avancé. Le tracas se lit toujours sur son expression.
Il ouvre la bouche pour le remercier. Sa gorge se serre, l’anxiété remplaçant peu à peu la terreur précédente, et étouffe ses mots. Il referme la bouche, avale tant bien que mal, respire et recommence.
« Merci… » Il balbutie doucement, sur un ton faible.
« Merci de m’avoir aidé… et d’être resté… »Même s’il ne comprend toujours pas pourquoi cet étranger est resté pour lui. Cela n’a aucun sens.
« Parfois… » Il commence, parce qu’il se souvient que l’homme souhaitait des explications sur ce qui lui arrivait. Il jette un nouveau coup d’œil au ciel derrière lui, puis revient sur l’étranger.
« Mon cerveau… retranscrit mal en images les signaux que mes yeux envoient. Ce qui donne… eh bien… ce que j’ai vu… une réalité incorrecte. » Au moins, c’est ce que le médecin lui a expliqué, il y a des années.
Il baisse les yeux, et remarque le bandage défait, et quelques gouttes de sang sur le sol. Son cœur rate un battement. Paniqué, il réenroule la gaze autour de son poignet et passe le bout dessous pour maintenir le tout, avant de redescendre la manche de sa veste.
S’appuyant contre la balustrade, il se remet debout sur ses jambes, même si celles-ci tremblent encore un peu.
« Je… Je devrais probablement y aller… Je vous remercie encore pour votre aide… »Il s’avance vers ses affaires pour détacher son appareil photo, et replier son trépied. Tout cela en tâtonnant, ses mains peu stables. Ce n’est pas grave s’il ne voit pas les Perséides cette année. De toute façon, il ne se sent plus très bien après tout ce qui s’est passé.