Soul Crush(er) | Gabriele

Évidemment que le Planétarium avait une boîte à suggestions.
Évidemment que Gabriele prenait le temps de les lire.
Et évidemment qu'il n'avait pas pensé qu'on allait en abuser.

Il tira un papier de la boîte, parcourant attentivement les mots tracés par cette écriture enjouée qu'il pourrait reconnaitre les yeux fermés.

Ce n'est pas possible... pensa-t'il alors qu'il fourra la note dans une autre boîte. Il plongea la main à nouveau parmi les suggestions, lu le papier (Encore une !?) et ce fût une succession de dix d'entre elles qui y terminèrent sous le regard désabusé du directeur du planétarium.

Cette fois, l'Italien ne put retenir un long soupir et se vautra dans sa chaise, résigné. A sa droite, la boîte apportée plus tôt par un.e de ses employé.es, devant lui, une petite pile de notes manuscrites d'enfants, d'adultes, en japonais, en anglais, parfois dans des langues qu'il ne savait pas lire. A sa gauche, un carton spécial, déjà plein alors qu'il commençait à peine à passer en revue les fruits du mois.

Lentement, il se redressa et draina les dernières onces de son énergie pour se pencher sur les derniers papiers qui eux aussi, finirent dans cette boîte qu'il déposa avec les dix autres près de son armoire. Inscrit en lettres capitales sur chacune d'entre elles, un unique sigle : RED.

Les Revenants En Difficultés étaient peut-être des clients fidèles, mais au bout de 15 ans, Gabriele avait fini par perdre une patience que même son malaise des conflits ne pouvait retenir.

Cette semaine, il allait y mettre fin.

C'était avec l'estomac légèrement noué, qu'il allait recevoir l'éducateur du RED déjà désigné coupable. Gabriele avait longuement considéré la façon dont il allait lui annoncer qu'il fallait mettre un frein à toutes ses suggestions, mais rien ne lui vînt lorsqu'il invita Alarick à entrer (avec le chien aussi, visiblement).

Lorsqu'il vit le nouveau carton, l'Italien ne put s'empêcher de mettre son visage entre ses mains.

Mamma, encore une.

Il sentit ce nouveau poids sur son bureau et pendant quelques secondes, il n'osa pas lever les yeux en espérant pouvoir tout faire disparaître. Finalement, il abdiqua. Les mains en prière devant sa bouche, il posa le regard sur la boîte, puis la pile près de son armoire, et enfin Alarick.

— Quelle... surprise. Merci.

Lentement, il se redressa et décala la boîte pour ne plus avoir à l'avoir dans son champ de vision. Puis, il convia l'Allemand à s'asseoir. Maintenant, Gabriele ne pouvait plus faire marche arrière. Même s'il n'avait que la fuite en tête, il allait se forcer à rester.

— Cela tombe bien que tu sois venu avec une boîte, c'est justement à ce propos que j'aimerais te parler.

Le moment fatidique était venu. En s'asseyant sur cette chaise en 1997, Gabriele avait accepté l'éventualité d'endosser le rôle du méchant.

— Nous apprécions énormément la fidélité du RED et son enthousiasme pour le Planétarium ainsi que toutes les suggestions que l'association (toi seul je suppose) propose à chaque visite. Je les lis attentivement à chacune de vos venues. Mais avec l'équipe nous avons un peu de mal à tout suivre, il faut l'avouer.

C'était une vérité que personne ne pouvait nier malgré la bonne humeur qu'apportait la venue du RED au Planétarium, et Alarick était très apprécié des équipes.

— Comme tu peux le constater... (Il désigna les dix boîtes cachant la moitié de son armoire.)... nous en avons quelques unes de retard. J'aimerais beaucoup qu'on trouve une solution pour traiter tout ça et trouver ensemble un moyen pour qu'à l'avenir, on puisse se concentrer sur une ou deux suggestions de l'association à la fois.

Dans son esprit, Gabriele pensa être clair bien qu'un peu protocolaire. Il n'accusait l'éducateur de rien et il ne voulait certainement pas le vexer.

Il se leva lentement de sa chaise et attrapa derrière l'un des cartons, un classeur lui aussi estampillé "RED", qu'il feuilleta en se rasseyant.

— L'équipe en a sélectionné quelques unes qu'elle aimerait qu'on discute à la prochaine réunion. Peut-être que tu peux m'aider à mieux les comprendre ? Et on voit si c'est faisable. On n'est pas obligé d'aller dans le détail tout de suite, tu dois être occupé et je te prends déjà de ton temps.

Déposant le classeur devant son invité, il attendit patiemment, cette boule appuyant désormais beaucoup moins fortement sur son estomac bien que toujours présente.

Gabriele fit semblant de ne pas voir les yeux rougis ni d'entendre la nervosité dans la voix de son invité, et s'accouda à son bureau, examinant le contenu du classeur qu'il avait finalement tourné pour qu'ils puissent l'étudier tous les deux.

Lorsque qu'il avait invité Alarick dans son bureau, ce n'était pas pour le réprimander et il était convaincu d'avoir choisi les bons mots et mis le bon ton pour transmettre uniquement l'embêtement que provoquait cette pile de cartons et non son léger agacement. Malgré toutes ses précautions, l'Italien n'avait pas prévu que ses paroles provoquerait chez Alarick un si fort sentiment de culpabilité et Gabriele s'en voudrait encore plus s'il continuait à s'excuser.

Il se pencha pour lui donner quelques tapes amicales sur l'épaule. Désolé Alarick, je ne voulais pas te faire de la peine. Ce n'était pas le but. Malgré la fatigue, il sourit, rassurant.

— Au contraire, vous êtes très prolifiques. On a jamais eu autant de suggestions qu'avec vous, même si c'est un peu trop de lecture pour nos journées de vingt-quatre heures, plaisanta-t'il. Peut-être que toutes les idées dans ces cartons ne sont pas bonnes ou faisables, mais je suis certain qu'on va trouver quelque chose dans ce classeur.

Gabriele le précisait également pour remonter un peu le moral d'Alarick.

Il s'accoude à nouveau au bord de son bureau, les bras croisés, détendu.

— Il y a uniquement des idées d'expositions car c'est ce qui nous manque en ce moment, lui explique-t'il, et on garde également d'autres choses pour plus tard. On a pas mal de maquettes au sous-sol qui mériteraient qu'on les mette à jour, mais on a bien envie de lancer quelque chose de différent dans quelques mois et l'équipe a émis la volonté que le thème soit choisi par le RED.

Gabriele n'était que le porte-parole de cette décision. Il gérait le planétarium comme une grande famille et si certain.es avaient plus de responsabilités que d'autres, chacun.es avait son mot à dire sur les évènements organisés. Dans ce système, la parole du directeur valait autant que celle de n'importe qui et son pouvoir décisionnel final relevait uniquement de la faisabilité financière. Clairement, l'équipe souhaitait faire plaisir à l'association.

Quoi que le planétarium organisait, les enfants seraient contents. Gabriele n'avait même pas besoin qu'on le lui dise, il n'y avait qu'à voir leurs sourires même lorsqu'un.e nouvelleau peu expériementé.e et hésitant.e faisait une séance.

— Et moi aussi, j'insiste également pour que ce soit une de vos idées. Même, que ce soit le RED qui prenne part à la décision finale et participe à l'élaboration. Dans tous les cas, on peut regarder maintenant si tu penses que quelque chose peut plaire – et aussi pour m'aider à décrypter certaines phrases écrites en pattes de mouche. Je pourrai t'envoyer la liste pour que tu vois avec les enfants et tes associé.es si vous voulez y prendre part, mais on ne vous oblige en rien à le faire.

Il demandait, mais il ne doutait pas un seul instant de la réponse.