tw : violence physique (graphique), vomissements
Que les os explosent, que
son visage se fissure ; rien ne semble être capable de l’arrêter. En apparence, tout du moins, le chien enragé continue de punir avec une frénésie telle que la douleur de son majeur qui s’écrase trop fort contre une côte
trop dure ne lui parvient même pas. Chaque petit bruit absolument repoussant qu’
il produit sonne comme une justification à continuer : après tout il respire encore. Mal, et peu, mais
encore. Il s’arrête de nouveau pendant un instant qui semble bien trop court. Il respire profondément, comme si l’air passait pour la première fois à travers ses poumons. Il le dégoûte et pourtant la faim lui donnent envie de se nourrir ; mais plutôt mourir que de goûter à ce sang qui a tout pour le repulser. Il suffit de voir son porteur après tout. Ça ne l’empêche pas de passer ses mains endolories sur son visage, l’odeur du sang qui l’enivre un peu. Ou le rend encore plus instable ; difficile de le savoir. Une instabilité qui le pousse à un point de non-retour.
En tout cas, c’est ce qui semble paraître.
Jusqu’au moment où les quelques mèches de cheveux de
l’autre disparaissent lorsqu’il les saisit, d’une main poisseuse.
Stupeur. Tremblement de ses doigts. Comment ses cheveux peuvent paraître s’évaporer ainsi, ne laissant que ce qui ressemble à des cendres.
Des cendres. Son corps s’immobilise, au-dessus de ce qui s’apparente plus à une poupée désarticulée qu’un être humain. Il lâche, il contemple ses paumes comme incapable de comprendre ce qu’il peut bien se passer. La bête semble avoir un moment de faiblesse, une incompréhension qui lui coûte cher puisqu’elle laisse la place à sa pire ennemie. La
conscience. Les tremblements se font tels qu’il ne peut se retenir de croiser ses bras contre lui, se serrant fort, si fort que ses ongles entre légèrement dans sa peau et qu’un léger filet de sang se met à couler. Il ne peut pas avoir vu ce qu’il a vu et même si c’était le cas pourquoi se mettre à douter ? Pourquoi maintenant, là, à ce moment précis alors qu’il se sentait enfin mieux ? Mais est-ce réellement du soulagement, ou tout autre chose ?
Qu’est-ce qu’il veut, finalement.
Est-ce qu’il attend de voir la flamme s’éteindre dans ses yeux ? Qu’il le supplie, qu’il l’implore ? Quelque chose ne tourne définitivement pas rond chez lui ; et pourtant cette pensée elle, elle tourne encore. Et encore. Comme un engrenage rouillé, souillé, corrodé par le temps qui s’est arrêté il y a longtemps. Très longtemps. Trop épuisé pour continuer à fonctionner il s’est mis en veille et pourtant à ce moment précis, il entame un cran pour la première fois depuis des siècles. C’est plus douloureux que tout ce qu’il a bien pu
lui infliger ce soir : il en est persuadé. Ou plutôt il essaye de s’en persuader, de s’en convaincre, comme incapable de faire face aux conséquences de ses propres actions, de son libre arbitre qui est bien le seul responsable de la scène qui se présente face à lui : un corps abîmé si profondément dans ses chairs qu’il n’y a bien que le fait d’être un fantôme qui le sauve
un peu de l’absolu trépas. Du repos éternel qui lui tend les bras, là, si près.
Mais il refuse de lui donner. Par colère, haine et dégoût, il lui refuse toute forme d’absolution.
Par peur, culpabilité et empathie, il lui refuse de
mourir pour de bon.
S’il pouvait s’arracher les yeux il le ferait. Cette sensation qui le brûle derrière ses globes oculaires devient le fléau de son existence ; ça l’entrave de nouveau. Il ne veut pas, non, il
refuse. Il ne veut pas recommencer à souffrir, à vivre sous des pulsions si violentes et instables que cela a bien failli lui coûter encore plus que tout ce qu’il a pu sacrifier depuis : liberté, libre arbitre, prise de décision. Il a tenté de transformer une bête affamée en un chien bien sage, bien éduqué en se cachant les yeux, se voilant la face dès que cette dernière se comportait comme ce qu’elle est : un monstre. Il s’est muselé lui-même et à gracieusement donner la laisse à quiconque accepterait de prendre ce poids à sa place.
Le poids de faire face, de dresser plutôt que de taire, de museler.
Il veut sa liberté et il en a peur.
Il veut affronter et confronter et il rejette ses émotions.
Une contradiction si immense que son esprit semble se fissurer et il voit double. Ou bien est-ce simplement sa vision qui cède sous la pression immense de ce trop plein qui déborde, enfin, après tant d’années ? Qui s’exprime dans la brutalité, le sang et la bile ? Quels genres de sévices compte-t-il encore infliger et à qui ?
Sa victime ou à
lui-même ?
Brusquement ses mains attrapent ce qu’il reste du col de son tee-shirt détrempé, le forçant à se redresser légèrement pour rapprocher son visage du sien.
« C’est de ta faute. C’est de ta faute. »Un mensonge si révulsant qu’il lui brûle la gorge.
Il est trop tard pour arrêter l’engrenage, maintenant.