deuxième chance
Après une semaine de dur labeur, le week-end avait enfin débuté. Dès la fin de ton service, tu n’avais déjà qu’une chose en tête : dépenser sans compter en faisant la fête du soir au matin.
T’avais envoyé un message à deux-trois potes, l’une d’entre elle avait accepté de te suivre à l'Ectoplasm. Alors tu t’étais pressée de rentrer chez toi pour une douche revigorante, un bon repas et un changement de tenue pour une robe bien plus flatteuse que tes joggings habituels.
Et là, c’est le drame : alors que tu faisais gentiment la queue, ton téléphone sonne.
“Allô ? J’suis dans la file, rejoins-moi !”
“T’y es déjà ? Ma Rinrin, j’suis trooop désolée, mais…”
… Et merde. Ce ton pleurnichard ne te dit rien de bon.
Apparemment, le compagnon de madame avait décidé de lui faire une jolie surprise en venant toquer à sa porte sans prévenir.
Trois mois qu’il était parti en voyage. Trois mois, et il fallait qu’il revienne ce soir.
Et toi, bonne poire, tu la rassures gentiment.
“T’inquiète, une prochaine fois”, tu dis.
“Profitez bien, les amoureux”, tu dis.
Les potes en couple, c’est vraiment les pires. T’es bien contente d’être libre comme l’air, toi.
Puis justement, tiens : tu t’es fait toute belle, t’es seule, et ça te donne l’occasion de peut-être rentrer avec une conquête au bras. Oui, soit ça, soit on te virera à grands coups de pieds au derrière de la part du videur qui essaye désespérément de fermer la boîte.
Tu jubiles rien que d’y penser.
Une fois que t’as fini de ficeler ton joli plan de soirée, tu passes enfin les portes et te diriges machinalement vers le bar.
Enfin, t’essayes, vu comme l’endroit est blindé de monde. Quitte à venir en solitaire, si t’avais su, tu serais arrivée plus tôt…
Tu fends la foule à grands coups de jeux d’épaule polis et d’excuses criardes, et lorsque tu tournes nonchalamment le regard, t’en croises un qui semble te reconnaître.
“Hey ! Comme on se retrouve.”
La lumière de l’endroit est d’abord trop faible pour distinguer ses traits, mais lorsqu’il s’approche, tu regagnes ton joli sourire.
“Oh, hey ! Tu me suis ou quoi ?”
Évidemment, tu plaisantes, comme en témoigne l’air joueur peint sur ton visage. Il faut dire que tu le croises beaucoup, ce jeune homme : à la soirée désastreuse d’Halloween, tu l’avais vu se faire inlassablement malmener par une force supérieure semblant vouloir le punir pour une bonne raison, passant de la brûlure à la noyade en un claquement de doigts.
Sur le retour, t’avais espéré qu’il soit rentré chez lui sain et sauf après toutes ces épreuves, et le destin avait répondu à tes interrogations plus d’une fois. En soirée, au bar ou même dans la rue, tu n’avais cessé de tomber sur lui depuis, et visiblement, il s’en était bien remis.
Vous aviez depuis pris l’habitude de vous échanger un simple geste de la main, comme pour secrètement vous saluer et vous rappeler de cette aventure mémorable.
Mais ce soir, c'est la première fois qu’il vient directement te parler, et t’as de la veine : cette fois, t’es pas déguisée en banane.
Après t’avoir fait rire avec une référence à votre première rencontre, il finit par te demander si tu es accompagnée.
“Ah, moi ma pote m’a lâché. Heureusement que mon sauveur passait par là…”
Tu forces un peu les yeux doux en espérant lui décrocher un rictus.
Déjà, il te propose un verre, et tu t’amuses encore de sa remarque. Sa bonne humeur est contagieuse, ça lui fait déjà gagner un bon point.
“Si c’est pour se noyer dans l’alcool, je t’abandonnerai pas cette fois, promis !”
Ouais, tu te sens encore un peu mal d’avoir flippé dans l’eau des égouts… Circonstances atténuantes, hein.
Ni d’une, ni deux, vous vous frayez un chemin vers le bar, où tu décides de prendre le même cocktail fruité que lui. Vous avez les mêmes goûts, deuxième bon point.
Et lorsqu’une petite place se libère pour te laisser t’accouder au bar en attendant votre commande, tu fais volte-face pour recroiser son regard en souriant :
“Au fait, moi c’est Rin.”
En espérant qu’il ait lui aussi oublié ton prénom. T’aurais pas l’air bête, sinon.