Pleasure doin' business - [TW: alcool] [Kaoru & Astard]

Qui l'aurait crû? Astard avait donné rendez-vous, comme par hasard dans un bar, avait tenté de se rendre présentable et de rester sobre. Et voilà qu'à arriver trop en avance, il avait croisé une vieille connaissance, accepté un verre offert, les six autres...

On vient le chercher à l'étage du bar, reservé aux connaissances. Quelqu'un le cherche en bas, apparemment, il sait déjà qui. Inutile de préciser qu'il n'était, selon toute mesure, plus en état de négocier ou marchander quoi que ce soit d'un peu sérieux. M'enfin, il répond quand on l'appelle, l'interlocuteur doit être arrivé. Le capitaine prend le temps de réajuster son manteau, calcule la trajectoire de ses jambes pour tenter d'affronter les escaliers sans s'effondrer. Une inspiration, il rentre en scène.

Un coup d'oeil rapide, il croit reconnaître son contact. Faut dire qu'il dénote un peu avec le milieu, trop propre sur lui, trop distingué. Il avait peut-être espéré un établissement à clientelle plus luxueuse. Le pirate s'avance tout sourire, tend déjà une main pour serrer la sienne, se retient de lui tenir l'épaule tout de même. Le négociateur envoyé par la famille à l'air... Petit. Vraiment, Astard trempait généralement dans des affaires où faire démonstration de masse, ou de poings pour le pire, était de norme. C'était un univers nouveau dans lequel il mettait les pieds.

"Ah, M'sieur Kamiya, c'est ça? Dismas Wealdborn, pour vous servir."

Tout en anglais, évidemment. C'est calculé et réfléchi, comme choix, en un instant. L'avantage d'avoir un accent particulièrement marqué, c'est sa capacité à brouiller les pistes. Sa diction et ses syllabes semblent déformées par autre chose que l'alcool.

"Je vous offre quelque chose, peut-être?"

Il tend une main sertie de bagues dorées vers le comptoir. Ça aussi, c'est une norme, enfin c'est ce qu'il prétendrait si on lui demandait.

Kaoru. Fantastique, un prénom. Qui sera promptement oublié, ce sera Monsieur Kamiya et rien d'autre. Ou alors des sobriquets un peu humiliants si les négociations tournent mal, faut voir. ET forcé de constater, commander de l'eau est déjà un faux-pas qui fait tiquer le gaillard. Qui commande de l'eau, au bar? Il se retient tout juste de lui expliquer gentiment que s'il veut de l'eau, y'a toujours les toilettes qui sont ouvertes.

"Huh huh. De l'eau."

Y'a un peu de jugement dans la voix, mais il est bon samaritain. Alors il retourne au comptoir, doit presque souffler avec honte qu'il lui faut la plus plate des eaux, et autre chose aussi. Le deuxième verre c'est le sien, ça ne concerne que lui. C'est pas de l'eau. Le petit s'était approché du comptoir, apparemment anxieux. Empli de questions un peu mignonnes.

"Bah ouais. 'Me disait qu'on pourrait causer devant le barman, j'suis sûr ça l'intéresse".

Il laisse sa blague suspendue en l'air le temps de régler, attrape les deux verres pour se retourner. Et le guider vers l'étage, plus en arrière. Évidemment qu'ils vont pas parler ici, faudrait pas non plus croire le pirate plus idiot qu'il n'est. Déjà que c'est difficile.

Seulement voilà, ça veut dire affronter les escaliers à nouveau. Et Astard avait oublié de prévoir jusque là. Tant pis, faut sauver la face, et y aller au culot.

Quelle épreuve. Les marches se font vicieuses et la rambarde est traître, mais notre héros parvient à aligner un pas après l'autre. Par quelque miracle, il renverse rien des deux verres, joue à l'équilibriste avec un brio rare pour quelqu'un dans son état. On pourra complimenter l'expérience. Il mène tant bien que mal son invité à une sorte de pièce reculée, avec tout juste quatre chaises et une table. Officiellement une réserve, officieusement le petit cloître où s'organisent les marchés discrets.

Bon, le petit manque pas de manières. C'est la première idée qui traverse l'esprit d'Astard, surtout qu'il le remarque par contraste avec sa propre attitude. C'est sûr qu'il fait moins de politesses, même devant des grands.

"L'anglais c'est très bien. 'Fait quelques siècles que j'le cause, jamais rien trouvé à lui reprocher."

C'était peut-être un peu puéril, mais il avait tenu à rappeler son âge. Comme pour asseoir une sorte d'autorité, de grandeur qui pèserait dans la négociation. Dans la même veine, il s'accoude lourdement à la table, distribue les verres et entame sans trinquer. Et monopolise la parole, aussi. Il a senti que le jeunot n'aime pas tant faire de bruit, compte en profiter.

"Moi, j'peux vous faire la même offre que tout le monde, pour commencer. J'prends les potions pas trop vendables, je les amène de l'autre côté de la flotte, j'revend à mon contact là-bas et j'vous donne votre part. Maintenant, votre part elle dépend du prix là-bas, ça c'est pas de mon ressort. En moyenne ça vous fait quatre-cents ossements la caisse, plus ou moins vingt ou trente."

Sous tous aspects, des conditions fumeuses et suspectes pour quiconque a un peu d'expérience. Ça coûte rien d'entamer avec ça, cependant. Ni de reprendre une gorgée.

Forcément, le minot veut commencer à marchander et fureter pour les détails. L'inverse aurait été étonnant, faut pas mentir, mais ça arrange pas non plus le capitaine. C'est plus simple quand les gens disent oui et se serrent la main sans poser de question. Ça fait plus de profit, aussi.

"J'vois pas vraiment comment détailler. J'les amène par bateau, sur l'océan, si c'était la question. J'ai pas d'avion sous la main."

Il répond à côté, on pourrait croire volontairement. Non, il a juste mal compris parce qu'il est bourré. Mais la suite lui permet de se concentrer un peu, de comprendre que le petit s'inquiétait des chiffres et des marges. Ouais, d'un coup, la question paraît moins con.

"Ah, négocier avec mon contact, c'est mon affaire. Pis j'le connais depuis longtemps, c'est même pas dit qu'il veuille vous causer si j'lui parle de vous." Effectivement, ça l'air insolvable. Astard sort une orange de sa poche, commence à l'éplucher avec un ouvre-lettre qui traînait dans sa poche. Et une dextérité rare, d'ailleurs, le pouvoir de l'habitude. En deux seconde, l'agrume est mise à nu. "Maintenant, j'peux faire preuve de bonne foi. Vous pouvez mettre un vos boyos sur mon navire pour voir tout le procédé et s'assurer que j'm'amuse pas à faire disparaître des thunes."

C'est déjà un bon pas, normalement. C'était inévitable que le pirate tente de soudoyer l'infiltré de la famille pour tirer une petite part en plus, ou le balance à la flotte s'il se faisait trop incorruptible, un jour. Que de perpesctives.

"Après, pour la rentabilité... On pourra voir pour augmenter votre part après quelques voyages, mais j'vais pas me saigner alors qu'on se connaît pas, hein."

Il croque dans son orange, en arrache la moitié de la chair. Pauvre fruit. D'un geste un peu ridicule, il en pique une deuxième du bout de sa lame de fortune dans sa poche, et la tend à Kaoru avec un air interrogatif. Toujours bien, de partager.

Il refuse l'orange tendue. Vraiment pas bien. Et le pire, c'est qu'il veut pas juste prendre ce qu'on lui donne, insiste comme s'il était en charge. Le pirate se permet de glisser, entre deux phrases, en marmonnant:

"Faudra pas pleurer quand tu chopperas le scorbut"

Astard, aussi idiot soit-il -et nous savons qu'il l'est- n'est pas dupe. Pour négocier à la dure, on envoie pas des gens en bas de la hiérarchie, on vient soi-même. Du coup, il baille, même pas volontairement, mais ça lui donne un genre.

"Ouais, bon, écoute gamin..." Non, ça commence vraiment mal, en vérité Kaoru ferait mieux de pas écouter. "J'sais pas t'as vraiment quel âge, mais j'suis vieux, moi. Vraiment vieux. Et j'trempais déjà dans le commerce pas honnête de quand j'étais en vie."

Ouais, la syntaxe se barre, mais avec un peu de chance, le négociateur croira que c'est simplement l'anglais de l'époque. Ou réalisera inévitablement qu'il converse vraiment avec un homme bourré. Bref, le fier capitaine enchaîne:

"Tu m'dis t'as besoin des chiffres. J'vois que vous avez besoin d'mon bateau. Sauf que j'ai les deux, donc à un moment, faudra bien jouer par mes règles."

Bon, c'était exclure qu'il y avait d'autres marins au japon, mais demandez pas à un homme ivre de réflechir en profondeur. Surtout pas à celui-là, en plus.

"J'propose encore 400 ossements par caisse, j'peux même les payer en avance quand on les charge. Et j'vous débarasse de trucs quasi-invendables en toute discrétion, en plus. Vous y gagnez déjà, faut quand même pas m'prendre pour un con, hein."

Là encore, ça dépend surtout du prix que peut tirer la famille de toutes les potions qu'elle produit, mais pour le coup, notre nécromancien n'a vraiment aucune idée du montant. Il improvise, laissez-le tranquille. Faut saluer la bravoure.