L'abeille et la bête - [LEMON] [Céleste & Olympe]

Il doit faire nuit, je crois. Je sais pas vraiment, j'ai perdu mon portable et j'ai pas ma montre, mais j'ai sommeil. Donc ça doit être ça, faudrait que j'aille dormir. Mais ça fait trois heures que je dois aller dormir, à la louche. Plus tard, plus tard.

Je suis dans ma tente de fortune, illuminée par une vieille lampe à huile retenue d'une époque un peu oubliée, mais qui reste dans mon coeur. Je vais rapidement manquer de linge propre, donc il faudra que je refasse surface bientôt, mais pour l'instant je reste. Je sais même pas combien de temps ça fait que je suis dans les archives, à déplacer des bouquins, à regarder d'autres le faire aussi. On se sent complice, solidaire. Enfin je crois.

Le temps passe bizarrement, ici. Mais j'ai trouvé quelques papiers intéressants, donc ça valait les heures... jours? Perdus à respirer le papier, la poussière. Je dépoussière un tome, allongée dans une sorte de hamac mais à même le sol, je soupire en lisant le titre.

Et je la vois. Son visage angélique, sa crinière d'or enchanteresse. J'avoue que ça fait grandement plaisir, mais courbée de fatigue comme je suis, je ne trouve même pas la force de me relever.

"Ah, tiens, salut Céleste."

C'est vrai que j'ai pas pu lui parler, dans ma quête de feuilles jaunies. J'aurais pas du paumer mon téléphone, décidément, ça m'aide pas. Je sais pas vraiment comment elle a pu savoir que j'étais là, mais j'imagine qu'un de mes compagnons d'archivage a du l'informer, sûrement.

"T'aurais pas croisé le tome I du journal personnel de Thomas Dewulf en venant? Je le cherche depuis un moment."

Je sais pas, ça coûte rien de demander... J'ai un peu le nez dans le guidon, elle aura du mal à m'en sortir.

Non, ça va pas. Je repose le livre, relève les yeux, déjà larmoyants de fatigue et de bonheur de la voir. Elle a l'air plus qu'énervée, elle m'en veut bien trop, elle va me détester. Je sais même pas quoi lui dire, c'est ma faute.

Je me relève, et l'enlace sans prévenir, je la serre contre moi un temps. J'en avais besoin, sans le savoir. J'avais même pas pensé à la tirer avec moi jusqu'ici, elle devait être trop occupée, mais l'avoir à mes côtés maintenant, je regrette.

"Désolée, je... J'ai perdu mon téléphone, et je sais pas quelle heure il est, j'ai faim, et tu m'as manqué."

C'est décousu dans mes mots, ça l'est encore plus dans ma tête, je la relâche enfin parce que je sais qu'elle est pas tellement du genre à aimer les câlins longs. Je contemple son visage, même tordu de rage, je souris en réalisant qu'elle est venue rien que pour moi.

"Je suis désolée, d'accord?"

J'ai pas grand chose à lui dire, j'ai envie de m'excuser et de l'embrasser. Il n'y a qu'un tabouret, dans mon abri de fortune, je le lui laisse et m'asseoit sur mon lit de fortune. Avec un peu de cynisme, je l'invite:

"Fais comme chez toi..."

Mais bon, y'a pas grand chose à faire, hein.

Ah, elle a pas envie de s'asseoir. Ça m'aide pas vraiment, parce que moi j'ai pas envie de me relever. Faudra que je m'y résigne, j'imagine, mais tant que je peux, je profite d'être allongée. C'est tout juste si je retiens les yeux ouverts pour elle, je sens que je vais glisser dans un joli et profond sommeil, sinon.

"J'avais voulu t'envoyer un message, à un moment, mais j'ai perdu mon téléphone."

Oh, je radote, je sens que je lui ai déjà dit. Mais bon, je me défends comme je peux, et puis au moins, comme ça elle peut être sûre que c'est sincère. Quand elle s'indigne de l'état de mon habitat de fortune (pourtant si joliment décoré, elle abuse), je m'agite d'un sursaut de rire, ça me réveille un peu.

"Si ça c'est pas une invitation dans ton plumard, je sais pas ce que c'est."

Oui, je trouve ça rigolo, les double-sens grivois. J'ai le droit, et j'ai jamais prétendu le contraire. Allez, c'est rien que pour elle, je rassemble le peu de force que j'ai encore dans mon corps pour forcer mes muscles à me remettre debout. Bon, je vais retomber en état de demi-léthargie dès que je vais m'allonger quelque part, mais au moins je serai au chaud. Il fait froid, dans les archives.

"Bon, et on va où, alors? J'ai pas tellement le courage d'aller bien loin, là."

Allez, je finirai de ranger tout ça demain, c'est pas grave. Et puis, les livres et les parchemins vont pas bouger tout seuls, si? Ils vont m'attendre sagement, ça ira. Je peux pas dire que ça m'embête pas de les laisser derrière, comme ça, mais Céleste va me gronder si j'y retourne.  

Je crois qu'elle commence à me faire des reproches, mais je réfléchis. Son appartement est quelque chose comme trois étages plus proches de nous, et surtout, il y a pas mes colocataires là-bas. Personne va me reprocher de pas avoir fait telle ou telle tâche en mon absence chez elle.

"Ouais, viens on dort chez toi, j'ai la flemme de subir mes colocs demain matin."

Bon, je connais pas encore vraiment les gens qui partagent sa location à elle, mais ça reste préférable. Et puis je me fais déjà des films, en rêvassant à moitié, elle pourra m'apporter le café et les croissants sur un plateau, chanter avec les oiseaux...

"Mais dormir dormir, hein, là c'est pas la bonne soirée."

Enfin, si c'est seulement la soirée? Il est peut-être six heures du matin, j'en sais rien, mais ça change absolument rien à mon plan de m'effondrer sur une pile de draps chauds et moelleux. Au fond, je sais même pas si j'ai sommeil vraiment, si je peux juste me sortir la tête des archives et parvenir à me reposer. Je suis juste fatiguée, fatiguée de tout.

"Tu me chanteras une berceuse, j'espère."

Je pense pas, mais bon, ça m'amuse de la taquiner. Et puis même si elle se plie à mon caprice, j'y gagne quand même. Quelle génie, je devrais disparaître sans donner de nouvelles plus souvent.

Bon, elle a pas l'air bien plus motivée à rencontrer ses colocs que je ne le suis moi-même. Comme quoi, on aura bien plus de points communs qu'on aurait cru. Madame a des idées brillantes, quand même.

"Puisqu'on a pas le choix, va pour un hôtel..."

Je crois que tout le monde va nous regarder avec amusement ou complicité, quiconque fait la réception aussi. Mais c'est toujours préférable. J'ai beau être un peu sujette à la honte et l'embarras, TOUT sauf ma colocation. L'idée de me faire assommer m'enchante pas vraiment, donc je préfère pas insister, mais quand même je retiens que c'est une option. Au moins si je me réveille trop de fois en repensant à mon travail inachevé dans la nuit, j'aurais juste à la titiller pour qu'elle m'endorme jusqu'au surlendemain.

"Et je veux bien tout assumer, tout concrétiser si tu m'accordes juste dix heures de repos. Tout ce que tu veux, mon royaume, mon royaume pour un lit douillet."

Ça a beau être dit dans le besoin et l'urgence, c'en est pas forcément faux. C'est pas l'envie qui manque, pas le désir, et le sujet a été soulevé sérieusement, j'ai juste pas la puissance physique. Puis, quitte à réserver une chambre, autant en profiter, voilà c'est dit. Je réalise quand même que l'hôtel le plus proche reste relativement loin, je soupire. En plus j'ai besoin d'une douche, quelle horreur.

"Je crois qu'il faudra me porter sur la fin, aussi. Si c'est pas trop demander, votre altesse."