You know nothing - Ft. Céleste

Son verre de jus de pomme chaud entre les mains, Terri revient peu à peu à elle. La boisson est réconfortante, exactement ce dont elle avait besoin, malgré les regards perplexes du barman. Elle n’a pas l’air d’une enfant mais oui, c’est en tout cas comme ça qu’elle se sent. Est-ce que ça fait de l’effrayante dame qui l’accompagne le « parent responsable » ? Urg, vaut mieux ne pas trop pousser la métaphore. Certaines choses sont mieux non dites.

Malgré les détours étranges que prend son esprit, c’est preuve qu’il fonctionne à nouveau. Il suffisait l’amener dans un endroit tranquille pour qu’il redémarre, plus paisible. Enfin, « paisible », le mot est encore gros. La nervosité de Terri s’est amenuisée, mais elle rode encore dans ses épaules. Vautrée sur son verre, elle essaie de maintenir une certaine posture – c’est un échec en tant que ballerine, mais un énorme pas en considérant que quelques minutes plus tôt elle était en petite boule au milieu de la rue.

Une grande respiration. Le silence est confortable, mais elle sent qu’il faut le briser. Elle n’est pas ingrate Terri alors elle commence par l’essentiel :

« Merci pour le verre… ça fait du bien. »

Petite voix de souri mais sans tremblement. En tout cas rien qui s’entend. Ses doigts frôlent le comptoir de bois nerveusement avant de s’y poser à plat. Aie confiance Terri. Tu ne peux pas tomber plus bas (et tu es déjà assise).

« Du coup… les vampires… »

Les syllabes s’allongent dans une forme interrogative. Formuler des questions, c’est peut-être encore un peu trop tôt. Mais Terri ose regarder Céleste en attente de sa réponse. Un énorme pas considérant tout le reste.

Céleste répond – c’est probablement déjà un exploit en soi – à sa question sous-entendue. Très laconique, ça c’est sûr. Terri sent son corps se refermer sur lui-même. Peut-être que c’était une erreur de la suivre jusqu’ici. Elle lui fait perdre son temps, clairement. Pourtant, elle en apprend. Les vampires ne se nourrissent pas de fantômes, alors elle est en sécurité avec elle. L’autre côté de la médaille est absorbé inconsciemment – il refera surface dans son pauvre esprit en temps et lieux.

Ses doigts encerclent le verre de jus. Terri respire. Ça va. Elle va bien. Elle n’est pas en danger. L’inconnu n’a pas de raison de lui faire peur. Ou peut-être que si ? Il vaudrait mieux savoir.

« Et donc… »

Lentement les connexions se font. Elle ose lancer un regard à Céleste en formulant sa première vraie question.

« Les vampires peuvent voyager entre ici et… ? »

Et le monde des vivants ? Le monde normal ? Elle ne sait plus trop comment désigner son passé, mais l’idée est là.

Un lien existe encore ?!

Sourcils froncés. Les engrenages fonctionnent à plein régime, même s’ils sont un peu rouillés. Le monde vivant. Céleste voyage dans le monde vivant. Il y a donc un accès ?! Ah non, avant même que Terri puisse se remplir d’espoir, Céleste les avorte – prévenante. Ou peut-être pas assez. Dans le flot d’informations, Terri passe à côté de l’essentiel : Céleste est une tueuse (allo ??) pour ne retenir que cela : un accès, même impossible, existe avec sa vie d’avant.

Pourquoi ? Tu comptes récupérer quelque chose là-bas ?

« Ce serait possible ?! » Terri comprend tout de travers. Mais c’est pas de sa faute. Céleste lui a mis en tête cette possibilité en nommant l’interdit. Et sitôt, Terri se met à penser à tout ce qu’elle a laissé derrière. Sa famille, bien sûr, mais ce n’est pas quelque chose qu’elle pourrait récupérer. Elle a abandonné des notes de cours, surtout. Des vêtements qu’elle adorait. Son précieux téléphone. Ses chaussons de ballet. Et Mister Bunbun, son lapin en peluche qu’elle cajolait depuis toute petite. Si elle pouvait rapporter un seul de ces items, lequel ce serait ? Elle ne sait pas, le choix est impossible. Quelle torture Céleste lui inflige !

Puis, quelque chose clique dans son esprit. La scène qu’elle n’aurait jamais dû voir lui revient en tête. Elle ne s’en rappelle plus avec précision mais elle est presque sûre –

« … Tu ramènes des objets des vivants ?! »

Crié, presque, dans ce bar peuplé de fantômes.

Terri ne réalise pas immédiatement sa bêtise. Trop choquée par sa déduction – elle ne se pensait pas Sherlock mais dit donc, elle se débrouille ! – ça lui prend un instant de trop avant de réaliser le malaise qu’elle vient de créer. Les regards qui se tournent vers elles. Le ton sévère que prend Céleste. L’insigne qui brille devant elle – oh.
Oh.

Céleste aurait pu la réprimander carrément ça aurait eu le même effet. Terri se met à rougir. Elle plonge son visage dans son verre pour essayer de se cacher – fuir comme une autruche la situation. Elle n’a pas commis de crime. Seulement un impair ! Elle boit comme si elle buvait un vrai verre, et pas un jus de pomme. Ce sera beau à voir dans quelques mois, elle comprend déjà le principe.

« Désolée ! »

Bien sûr ça commence par là.

« Je pensais pas que c’était illégal… »

Mais maintenant qu’elle y réfléchit deux secondes sans crier, elle peut voir comment ça pourrait causer problème. Comment expliquer des disparitions d’objets dans le monde vivant ? Hey, papa, maman, j’suis là vous voulez bien me rendre mon téléphone ? J’vous aime bisous. Non, ça ne fonctionnerait pas, ce serait trop… trop.

Et juste comme ça, elle fait gueule Terri – juste un peu. Joue appuyée contre son poing, elle ne peut pas s’empêcher de marmonner :

« Ça aurait été cool de revoir Mr Bunbun… »

Mortifiée, Terri espère que ce moment ne la suivra pas toute sa vie. Ce ne sera certainement pas le cas – une erreur de novice toute innocente – mais pour le moment elle a l'impression que sa vie après la mort est fichue. Heureusement, il y a Céleste pour continuer à faire la conversation pendant qu'elle fixe son verre, tête entre main, regard perdu dans l'horreur de ses erreurs. Or, le discours qu'on lui sert n'a… rien de rassurant. Surtout quand la vampire fait mention de disparitions. Et tout à coup, tout ce qu'elle avait négligé pendant la discussion précédente lui revient en tête.

« Comment ça, "faire disparaître" ?! »

On oublie Mr Bunbun. Cette fois c'est Céleste que Terri regarde, horrifiée.

« Mais c'est même pas de leur faute ! Pourquoi ils devraient en payer le prix ? »

Mais ce n'est certainement pas elle qui va réformer le système de justice (en est-ce vraiment ?) entre morts et vivants. Pour le moment, elle accuse le choc – un énième depuis le début de cette journée cauchemardesque. Mais elle digère encore. Semble-t-il. Elle ne s'est pas encore transformée en boule inerte au sol, il faut considérer cela comme une victoire.