03 h 27.
Heures tardives de la nuit, aube bientôt naissante. Pas de sommeil réparateur pour toi ; te voilà sans repos, et pourtant bien trop agité pour ton propre bien. La nuit est vaste, la nuit est fauve. Tu as envie de courir n'importe où, n'importe comment, du moment que tu t'épuises. La fatigue est loin, comme l'aube ; c'est comme ça que tu le prends.
Pourtant, dans les bruits de la nuit, tu essaies de vivre ; parce qu'il faut bien. Tu veux profiter de la vie nocturne, tout faire pour ne plus rester enfermer dans ta chambre. Tu y as passé beaucoup trop de temps. Alors tu fais tout ce qui est en ton pouvoir pour le plus le faire. Quitte à traîner avec des gens qui en n'ont rien à faire de toi. Parce que certains lémures sont rationnels, mais toi, tu ne l'es pas.
Tu essaie de profiter, mais les sons sont trop fort, les gens trop bruyants. Tu ne veux pas danser, tu ne veux pas boire. Tu fais tâche dans la soirée. Tu ressembles au pote relou qu'on s'efforce de ramener, mais la vérité est toute autre dans cette boîte de nuit. Ce n'est pas à ton goût, tu n'es pas au goût de ces gens qui se disent être tes amis. Profiteurs, comme nombre de gens, tu n'es là que pour payer les verres. Tu n'es qu'une ombre, éblouie par les lumières des projecteurs aux couleurs changeante. Collé contre un mur, ton pied frappe le sol du
Gateway, certainement pas en rythme. Tu n'en as rien à faire du rythme.
Tu soupire.
Ombre que tu es, tu disparais dans la nuit. Première bonne décision depuis longtemps ; tu lâches enfin ces sangsues qui bave devant leur dernière addition. Un gars qui t'avait semblé bien, un gars qui t'avait semblé bon. Il dégageait de lui une aura réconfortante. Un occidental aux cheveux de braise. Sourire un peu charmeur. Pourtant, tu ne voyais pas ça en lui. Tu voyais la chaleur qui était en lui. Mais au final, il était comme les autres. Tous pareil, visiblement. Haussement d'épaule ; tant pis, les rencontres sont nombreuses à Tokyo. Tu t'en es rendu compte, au moins, que ce n'était pas des gens biens.
Et dans un battement, tu disparais.
Tu disparais dans la nuit sauvage et estivale, invisible aux yeux de ces soi-disant amis, comme si tu n'avais jamais été là. Un poids qui se retire de ta poitrine, comme si tu l'avais oublié dans le club. Tu parcours un peu la ville, éclairé par la lumière des néons et des lampadaires, tu es seul. Tu le crois. Tu te laisse attiré comme un papillon de nuit jusqu'au 7-twelves. Pas particulièrement plus loin, juste au coin, dans le bloc. Dans le monde des vivants, tu n'aurais jamais eu l'idée de te balader par ici. Coin trop dangereux, sans doute. Pourtant, ici, tu te sens libéré. Sensation que tu n'as jamais connu de ton vivant.
Les néons trop blancs se réfléchissent sur ta peau, l'odeur fruitée artificielle des slushies attaquent tes narines et tes baskets glissent sur linoleum. Paradis urbain au cœur de Tokyo, équivalent cadavérique à une enseigne connue à travers le Japon (et bien d'autres pays), tu es là, comme enfin béni par les lumières artificielles. Tu t'approches, instinctivement, près de la machine à slushies, parce que tu as besoin de ta dose de sucre, même si le goût fruité n'a rien de naturel. Le goût froid te réveille déjà. 2,34 Ø par gobelet bu. Ça te va. Un défi, stupide, tu y penses.
Le bruit des portes automatiques qui s'ouvrent. Il traverse. Tiens, le rouquin t'as suivi ou alors, c'est une pure coïncidence. Qu'importe. Tu ne vois pas le troupeau qui était avec lui.
— « Yo ! », lancé à sa figure, avec une innocente insouciance ; pour certain, une certaine impertinence. « Tu veux un slushie ? »
Sourire espiègle, tu le regardes. De toute façon, qu'importe. Il disparaîtra comme les autres, alors autant t'amuser un peu. Tu reviens à ton problème ; goûter à tous les goûts possibles, que ce soit seul ou par mélange. Ça te reviendra cher, mais au final, n'est-ce pas le prix que tu aurais de toute façon dépensé pour tes "
amis" ?
3 h 43.
Dans une heure et vingt-deux minutes, le soleil se lèvera.
Et à ce moment, tes angoisses disparaîtront avec les ténèbres.